Chapitre 21

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Février 2017

Quelques jours plus tard, est née avec un peu d’avance ma nièce minuscule prénommée Lucile. Elle était en pleine forme, Julia aussi, et mon frère était heureux et soulagé. Corentin regardait avec curiosité cette petite chose rouge et fripée qui ne faisait que dormir.

Je partageais mes semaines entre le dessin et les moments que je passais à aider Julia qui pouvait enfin se lever et vivre normalement. J’étais rentrée chez moi depuis Noël, mais je venais plusieurs fois par semaine passer du temps avec elle et les enfants. Je sortais avec Corentin pendant que Lucile dormait, ou bien je surveillais la sieste de la petite tandis que ma belle-sœur rattrapait avec son fils les presque trois mois qu’elle avait passés alitée. Le soir et les week-ends, je faisais du sport - judo trois fois par semaine, ski… - et je voyais Clément, mes frères, nos amis…

Vers la fin du mois de février, Clément et moi avons décidé de partir randonner tous les deux, sur une journée. La neige tombée la semaine précédente avait en grande partie fondu, ne laissant que des congères aux endroits abrités. Mais le temps s’était bien refroidi, et le sol était gelé. A midi, l’herbe craquait encore sous nos pas, blanche et durcie de glace. L’air était froid et sec, le soleil nous réchauffait le visage. Une magnifique journée d’hiver. Clément voulait se contenter de sandwichs, j’avais insisté pour prendre en plus de la soupe en sachet, à réhydrater, pour avoir quelque chose de chaud à manger. En engloutissant son potage, il reconnut que j’avais eu raison, et que ça faisait du bien. Après quelques baisers sous le ciel immense d’Auvergne, perdus au milieu de la nature, nous avons repris notre marche. L’objectif était de retrouver la voiture avant la nuit, et ce n’était pas gagné !

En fin de journée, alors que la nuit commençait à tomber sérieusement, Clément regarda la carte et me dit qu’on avait encore trois petits kilomètres à faire. Un jeu d’enfants, en une demi-heure ce serait bouclé ! Certes à la lueur de nos lampes frontales, mais le chemin était balisé clairement, ça ne devrait pas poser de problème majeur…

« Pourquoi tu t’arrêtes, on est presque arrivés ?

_ Chut ! Tu n’entends pas ? » J’étais figée sur le sentier, tendant l’oreille pour localiser le bruit que je venais d’entendre. Immobiles tous les deux, nous avons attendu, et bientôt le minuscule couinement a repris. Clément s’est débarrassé de son sac à dos pour chercher dans les fourrés à la lumière de sa frontale, et a poussé un juron qui ne lui ressemblait pas.

« Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

_ Tu n’avais pas un polaire en plus dans ton sac ? »

Je l’avais enfilé une heure avant pour avoir chaud. Sans poser de questions, j’ôtai mon blouson, puis la veste en polaire que je tendis à Clément avant de me rhabiller. Deux minutes plus tard, il remontait sur le sentier, tenant mon vêtement en boule serré contre lui. Il s’accroupit pour me montrer l’intérieur du paquet posé sur son genou. A la lueur de nos lampes, j’ai découvert trois minuscules boules de poils blancs qui couinaient faiblement. Des chiots. Bien trop jeunes pour être sevrés, ils n’avaient même pas les yeux ouverts.

« Où est leur mère ?

_ C’est pas elle qui les a laissés là, en tout cas. Si je tenais le salopard qui les a abandonnés… » siffla Clément entre ses dents serrées tout en refermant doucement le polaire sur les petites bêtes, avant de me confier le paquet pour reprendre son sac à dos. On a regagné sa voiture le plus vite possible, et il nous a ramenés en ville, le chauffage tournant à fond pour tempérer l’air dans l’habitacle de la Clio, directement chez le vétérinaire. Un samedi à 19 heures passées, le cabinet était bien sûr fermé, mais Clément a contourné le bâtiment pour sonner à la maison voisine. J’ignorais que le Dr Ducroc habitait sur place. Il était heureusement chez lui, et a pris en charge les trois petites bêtes, dont l’une ne bougeait plus du tout depuis un moment déjà.

Clément fulminait toujours lorsque nous sommes arrivés chez moi, en rage après les maitres indignes qui avaient séparé les petits de leur mère et les avait abandonnés. Il aurait été moins dégouté s’ils avaient été tués je crois, mais savoir qu’on n’avait même pas cherché à abréger leurs souffrances le révoltait. Je l’étais aussi, révoltée, mais j’avais peut-être un peu plus de recul. J’étais lucide : leur état de faiblesse était tel qu’ils ne s’en sortiraient probablement pas. Le véto nous l’avait confirmé.

En effet, lorsque Clément est passé à la clinique le lundi soir en sortant du collège, l’un des bébés était mort, et un autre était toujours dans un état critique. J’avais refusé de l’accompagner, ne me sentant pas le courage de retourner là-bas. Revoir l’endroit où Attila était mort avait été bien trop difficile la première fois déjà.

Une dizaine de jours plus tard, en arrivant chez Clément comme convenu j’ai trouvé l’unique chiot survivant sur le canapé. Dire que j’étais surprise serait hypocrite : depuis le temps qu’il me parlait de cette boule de poils, j’aurais dû me douter que ça finirait comme ça.

« Pourquoi tu fais la tête, Lou ? »

Je ne faisais pas réellement la tête, pas encore… Avant, j’essayais d’analyser les répercussions sur l’avenir. Biberons à intervalles réguliers ; j’avais déjà donné avec Attila… Ensuite, bon… à nouveau, un chien à gérer pendant les randos, des bâtons dans les roues à chaque sortie envisagée, nous ne serions plus aussi libres…

« Je sais bien, Louise ! » éclata Clément. « Mais tu voulais que je fasse quoi ? Hein ? Si tu veux l’emmener à la SPA, vas-y. Moi, j’en suis pas capable. » lâcha-t-il en la posant sur mes genoux. Le traitre ! C’est sûr que présenté comme ça, je ne pouvais plus protester.

Je suis restée silencieuse, assise sur le canapé, à regarder le chiot dormir sur mes genoux, mais sans le toucher.

Clément est revenu s’asseoir près de moi, m’a entourée de ses bras.

« Je sais que tu penses encore à Attila… Je sais que tu n’es pas prête. Je suis désolé, je ne pensais pas que ça se passerait comme ça, mais ça m’est tombé dessus… Quand Ducroc m’a dit qu’elle était hors de danger et qu’il fallait prendre une décision… »

Je hochai la tête : oui, je comprenais. Mais ça ne changeait rien au fait que je me sentais prise au piège, mise devant le fait accompli. Je n’étais pas prête à ouvrir mon cœur à un autre chien qu’Attila…

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