Chapitre 22
Mars 2017
« Hé ben, ma Louloute ? Ça n’a pas l’air d’aller fort avec Clément, ces temps-ci ? » On pouvait compter sur Gauthier pour remarquer ce genre de trucs… Nous étions assis dans un café autour d’un verre, rien que tous les deux pour une fois.
C’est vrai qu’avec cette histoire de chiot, on n’était pas vraiment sur la même longueur d’ondes… On n’était pas fâchés, plutôt contrariés.
J’ai parlé avec Gauthier, longuement. Ça m’a permis de mettre mes idées au clair, de mettre des mots sur ce que je ressentais. Et j’ai décidé de prendre un peu de recul, d’accepter l’invitation de mon frère qui me tannait depuis des semaines pour que je vienne passer un week-end à Paris avec lui.
Je suis donc partie, le jeudi après-midi, avec mon sac à dos. Nicolas m’attendait à la descente du TGV, et m’a emmenée à son hôtel.
« En ce moment, comme je suis tout le temps sur Paris, ma boite me paie un studio, plutôt qu’une chambre. C’est plus sympa. » m’expliqua-t-il. C’est pour ça qu’il ne rentrait plus tous les week-ends, il était mieux installé que dans une chambre anonyme.
Bon, c’était vraiment un studio minuscule. En fait, une chambre d’hôtel avec un coin cuisine. Voilà, c’était ça. Mais ne pas être forcé de prendre tous ses repas au restaurant, c’était reposant, me dit-il.
On a passé la soirée à parler, puis on a partagé son lit, comme au bon vieux temps.
Le vendredi, Nicolas travaillait. J’ai donc passé la journée seule, visitant le matin le musée Picasso, et l’après-midi le musée d’Orsay.
De Picasso, que je connaissais finalement peu, j’ai surtout aimé la période bleue. A Orsay, j’ai admiré des Renoir à la pelle, des Gauguin en veux-tu en voilà, quelques toiles du Douanier Rousseau, La Femme à l’ombrelle de Signac, des Van Gogh, des Corot, le Portrait de Karin par Othon Friesz que j’ai découvert ce jour-là, ou encore Les yeux clos d’Odilon Redon.
Puis j’ai passé un temps infini dans la salle 69, dédiée à Joseph Pernnell, un illustrateur de presse américain, et à ses dessins de cathédrales françaises, des lavis d’encre noire. J’aurais pu y passer la nuit, observant chaque œuvre à la recherche du moindre détail, si le gardien ne m’avait pas poliment priée de sortir, à 18 heures.
Nicolas avait terminé sa semaine depuis quasiment deux heures, et avait cherché à me joindre plusieurs fois. Je l’ai rappelé aussitôt sortie, et il m’a taquinée : quand on me mettait un dessin sous le nez, j’étais capable d’oublier le temps, d’après lui. Exacte vérité, j’étais bien forcée l’admettre… Il m’a donné rendez-vous dans le 13ème arrondissement, où je suis arrivée après deux changements de ligne de métro – merci le plan de Paris qu’il m’avait donné la veille, ce bouquin ne m’avait pas quittée de la journée ! On s’est donc retrouvés à la station Place d’Italie, comme prévu, et mon frère m’a invitée à diner dans un restaurant chinois. On s’est régalé de nems, nouilles sautées et canard laqué, tout en se racontant notre journée. En souriant, il m’écouta longuement lui parler des tableaux qui m’avaient plu, j’étais intarissable.
« Tu vois, c’est pas si mal, Paris ! Toi qui ne voulais pas venir… »
Même pas vrai, d’abord. Nico m’a lancé un regard en coin.
« OK… D’accord… J’ai pas que des bons souvenirs dans la région, ça te va comme explication ?
_ Rien à voir, Moustique. Ici, c’est Paris, les boutiques, les expos, les musées… pas ta cité pourrie.
_ C’était pas ma cité. » me suis-je défendue, désagréable. Mon frère s’est marré.
« Allez, Lou, tu sais que j’ai raison… Tu veux faire quoi, demain ? »
Comme je n’avais pas d’idée précise, il m’a emmenée faire un tour au cimetière du Père Lachaise, on a déambulé dans les allées, au milieu des touristes. Bon. Certains monuments étaient de toute beauté, il fallait l’admette, mais ça restait un cimetière… un peu glauque, comme balade…
On a repris le métro, et quand on est remontés à la surface, Nico a posé son bras sur mes épaules.
« Louise, je voudrais te présenter quelqu’un. »
Le ton était sérieux, presque cérémonieux, et mon frère, angoissé. Je lui ai mis un coup de coude dans les côtes en souriant :
« Ça va, Nico, j’ai plus seize ans. Et même que je m’entends plutôt bien avec Julia, maintenant… Alors de quoi t’as peur ? »
Il m’a dévisagée en silence quelques instants, avant de soupirer : « T’as raison. »
Je me demandais ce que c’était que ces cachotteries. Pourquoi en faire un secret d’Etat ? Est-ce que Virgile était au courant ? Et Gauthier ? Est-ce que c’était pour ça qu’il avait autant insisté pour que je vienne le voir à Paris ?
Mon frère, qui avait lâché mes épaules et se contentait de marcher à mes côtés, m’a guidée à travers un petit square jusqu’à une médiathèque. Près de l’entrée, un peu à l’écart d’un groupe de fumeurs, attendait une jolie fille vers laquelle Nicolas s’est dirigé.
Une jolie fille à la peau noire, engoncée dans une doudoune beige boutonnée jusqu’au col, un bonnet sur la tête, les mains dans les poches pour avoir chaud.
« Lou, je te présente Meaza. Meaza, voici ma sœur Louise. » a-t-il dit très simplement.
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