Chapitre 50
Le lendemain soir, après avoir planté la tente et diné, nous sommes partis nous balader à pied. On a suivi un sentier qu’il fallait deviner plus qu’autre chose, et on a fini par s’asseoir dans l’herbe grasse pour regarder le paysage. On était bien, rien que tous les deux, dans la nature sauvage. Clément m’avait fait asseoir devant lui, entre ses jambes, et il m’entourait de ses bras, sa tête contre la mienne, son menton posé sur mon épaule. On a passé un long moment comme ça, sans rien dire, juste à profiter de l’instant présent, à respirer l’air pur, à regarder le ciel gris pâle et les montagnes aux teintes allant du blanc à l’ocre, avec parfois du vert tendre là où poussait de l’herbe.
« Dis, Lou…
_ Mmh ?
_ Ça fait un moment que j’y pense, je veux te parler de quelques chose… Ne te fâche pas, d’accord ? »
Ça commençait bien… Je n’ai rien dit, le laissant parler.
« En fait, depuis l’accident de bus, je me dis… s’il m’arrivait quelque chose, tu serais sans rien. Je ne veux pas que ça arrive.
_ Mais Clément…
_ Lou… ça peut arriver. On ne sait pas ce qui peut se passer.
_ Je veux pas… » Ma voix sortit dans un filet étranglé par l’émotion.
« Moi non plus, princesse… » Il me serra plus fort. « Ecoute-moi… J’aime la maison, je sais que toi aussi, et je ne veux pas que tu sois obligée de la quitter s’il m’arrivait quelque chose, qu’elle soit vendue à des inconnus et que tout ce que j’ai sur mon compte en banque revienne à l’Etat. Parce qu’on a beau s’aimer, officiellement on n’est rien l’un pour l’autre… »
Je la sentais pas, cette conversation !
Il m’a serrée encore un peu. « Lou… Je sais que tu ne veux pas entendre parler de mariage, t’inquiète pas princesse, je ne vais pas te sortir une bague. »
J’ai ri, il me connaissait si bien.
« Mais si tu es d’accord, on pourrait se pacser. Et aller voir un notaire pour faire un testament. » Avant que j’aie le temps de protester, il contra tous les arguments que j’aurais pu lui opposer : « Le PACS, c’est pas comme le mariage, on n’est même pas obligés d’en parler autour de nous si tu ne veux pas. C’est juste un papier à signer, rien que nous, pas de témoin, et ça se dissout bien plus simplement qu’un divorce si un jour on change d’avis. Mais c’est un truc officiel. »
Ça méritait réflexion, il fallait bien l’avouer. J’ai promis d’y penser, et il m’a embrassée sur la joue, tout près de l’oreille : « Je t’aime, Louise. » J’ai penché la tête en arrière pour le regarder, en souriant. Puis j’ai bâillé, et il a regardé sa montre : « Ouah ! minuit passé ! Allez, on rentre, on va pas pouvoir se lever demain… »
Le soleil ne se couchait presque pas en Islande à cette époque de l’année, et c’était vraiment troublant. Il faisait sombre quelques heures, comme un jour de météo couverte. Mais rien qui donne envie d’aller se coucher. C’était troublant, on se réveillait au milieu de la nuit en croyant que c’était l’heure de se lever, alors que la montre indiquait 2 ou 3 heures du matin. Et le soir, même si on était crevés par notre journée de marche, on n’avait pas réellement envie de se coucher. On bâillait à s’en décrocher la mâchoire, mais on n’avait pas le réflexe de dire ‘il est tard, allons dormir’. C’était vraiment étrange.
Le dernier jour de trek, nous avons sympathisé avec un groupe de trois randonneurs français. On a marché une bonne partie de l’après-midi avec eux, et en arrivant dans la vallée de Thórsmörk où ils avaient laissé leur 4x4, ils nous ont demandé ce qu’on faisait ensuite.
« On ne sait pas encore… On aimerait bien voir le Jokulsarlon, mais je ne suis pas certain qu’on ait le temps. » regretta Clément. « On reprend l’avion après-demain, il faut qu’on soit à Reykjavik demain soir. » Je n’avais aucune idée de l’endroit dont il parlait, je lui faisais confiance pour notre programme.
« On y va nous aussi, à Jokulsarlon. On a de la place dans la voiture, on peut vous emmener. Ce sera toujours ça de gagné… » proposèrent-ils. Oui, mais pour le retour ? Finalement, on a décidé de gagner du temps en faisant la route le soir-même, le GPS annonçait quand même cinq heures de trajet. On pourrait se relayer au volant si besoin, on arriverait tard dans la nuit mais tant pis, le lendemain on serait sur place. On s’est donc entassés dans le 4x4 avec nos sacs à dos, et comme j’étais la plus petite j’ai hérité de la place du milieu sur la banquette arrière, entre Clément et Geoffroy. Matthieu au volant, et Andy en copilote, ce qui a fait hurler de rire ses deux amis : il avait soi-disant le sens de l’orientation d’un bulot, mais il était malade à l’arrière…
Deux cent cinquante kilomètres, ce n’est pas si loin, mais quand il faut traverser des rivières en passant à gué, rouler au pas sur des pistes tout juste carrossables (pas étonnant que la plupart des routes soient interdites aux voitures citadines !), c’est long. Il y avait en tout cas une bonne ambiance dans la voiture, on a partagé des souvenirs de randonneurs, échangé des bons plans et comparé le matériel qu’on utilisait.
On est arrivés vers minuit, après une halte pour manger au milieu de nulle part.
Les gars s’étaient renseignés, le camping n’était pas autorisé près du lagon, il fallait bivouaquer avant le pont si on ne voulait pas d’ennuis. On a donc monté nos tentes là où quelques autres étaient déjà installées, en silence vue l’heure plus qu’avancée. Puis on s’est écroulés de fatigue.
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