Chapitre 60

3 minutes de lecture

Fin janvier 2018

« Lou, on a besoin de ton avis ! » me dit mon frère un dimanche où Meaza et lui étaient venus passer la journée chez nous. Je les regardai, l’un après l’autre. Meaza avait une main posée sur son ventre bien rond, l’autre sur le genou de Nicolas.

« C’est une fille. » annonça-t-elle.

« Et on n’est pas d’accord pour le prénom » compléta-t-il.

Oulà ! et ils voulaient que je les départage ? J’ai dû faire une drôle de tête, parce qu’ils ont pouffé de rire, puis mon frère a repris : « Je voudrais lui donner un nom érythréen, et Meaza veut un nom français.

_ On vit en France, notre fille va être française, je veux qu’elle ait un prénom français. » exposa calmement ma belle-sœur.

« Je sais, mais tu es érythréenne, elle sera à moitié érythréenne, c’est ses racines, ses origines, c’est important… »

Nicolas la regardait en disant ça, je sentais à sa façon de parler que ce n’était pas la première fois qu’il le lui disait, et qu’elle avait déjà trouvé des raisons de refuser. Mais, alors que je m’attendais à ce qu’elle réponde, ils se sont tous les deux tournés vers moi. L’invitation était claire.

« Franchement ? Je pense que Meaza a raison. » Elle se redressa en souriant, tandis qu’il me lançait un regard noir en faisant la moue.

« Nico, je suis passée par là… elle va déjà avoir à faire face à des remarques à cause de la couleur de sa peau…. C’est suffisant, tu ne crois pas ? »

Il grommela une réponse inarticulée, clairement contrarié.

« Mais je comprends que tu veuilles lui donner un prénom qui témoigne de ses origines. Les deux se défendent…

_ On avait pensé aux prénoms de nos mères. » murmura Meaza en regardant Nicolas, puis moi. Le message était encore plus fort… et la solution s’imposait presque. La première épouse de mon père s’appelait Sophie, mais j’ignorais le prénom de la mère de Meaza.

« Alors appelez-la Sophie, et donnez-lui en deuxième prénom le nom de ta mère, Meaza.

_ Zula… » murmura-t-elle.

« Sophie, Zula… » Mon frère réfléchissait tout haut.

« Et puis si plus tard elle préfère son deuxième prénom, rien ne vous empêchera de l’utiliser… »

Ils sont repartis en milieu d’après-midi, heureux d’être enfin tombés d’accord. Un autre sujet de friction les animait : mon frère avait la ferme intention de déménager, il cherchait un appartement plus grand. Meaza, elle, n’en voyait pas l’utilité, elle trouvait leur deux-pièces plus que suffisant, et ne comprenait pas pourquoi il voulait une seconde chambre. Ils n’avaient pas fini de se heurter à des incompréhensions, des différences culturelles… Mais pour le moment, ils finissaient toujours par trouver un compromis, et ils en sortaient grandis à chaque fois.

La grossesse semblait réussir à Meaza, en tout cas. Elle rayonnait, paradait avec son ventre en avant et un grand sourire aux lèvres. Ses cauchemars semblaient l’avoir définitivement quittée, mais Nicolas continuait d’emprunter à Clément des bouquins de poésie, qu’ils lisaient ensemble le soir avant de se coucher.

Après leur départ, je proposai à Clément de sortir nous promener avec les chiens. Il faisait un temps acceptable. Un peu humide à mon goût, je préférais le bon froid sec et piquant, mais il ne pleuvait pas, et fin janvier on était bien obligés de s’en contenter !

« Jagger ! Lenka ! » Le grand tourna nonchalamment la tête vers nous, allongé qu’il était devant le poêle, alors que la petite nous sautait déjà dessus, excitée par le simple fait qu’on l’ait appelée.

« Allez, Jag’ ! En route ! » Ce mot-là, il connaissait. Il se leva, s’étira, et alla directement s’asseoir devant l’escalier qui menait au garage, là où on leur mettait leur harnais avant de sortir. Pour Noël, ils avaient eu chacun un harnais ergonomique, pour les balades. On voyait fleurir ce genre d’accessoires partout, tous les chiens en avaient un plutôt qu’un collier, maintenant. On en avait discuté avec Clément, et on était tombés d’accord : c’était mieux notamment pour Lenka qui tirait énormément sur sa laisse, on avait toujours peur qu’elle s'étrangle ou se blesse sur son collier… Et puis la poignée sur le dessus du harnais était assez pratique pour la soulever ! Pour Jagger, pas question de le porter vu son gabarit, mais comme il nous arrivait de les attacher l’un à l’autre, autant qu’il ne risque pas d’être étranglé par Lenka… Ils avaient un collier avec leur plaque d’identification, mais en balade on utilisait le harnais pour les tenir en laisse.

Main dans la main, on a marché deux bonnes heures dans la forêt, et on est rentrés de nuit, à la lumière de nos lampes frontales.

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