Troubles dans la cour des Dames

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Le jardin est sens dessus dessous, ces dames sont en émoi. Les robes froissées frémissent d'indignation, les contrariétés ondulent. Le vent transporte leurs récriminations au loin ; elles gémissent, l'une s'insurge :

"Qui a osé brusquer notre espace de printemps ? Déranger nos lits de mousse, nos allées parfaitement tracées ?"

"Une dormeuse, humaine bien sûr, à quoi s'attendre de cette espèce ? !"

Cette affirmation, quelque peu étouffée, intrigue ; qui a parlé ? Une tige qui vient de dessous se déroule, une fragile demoiselle violette s'extirpe tant bien que mal.

"Ah me voilà, tout étourdie, j'ai cru que je n'en sortirais pas !"

De ses feuilles émeraude, elle lisse sa corolle chiffonnée et ajoute sur le ton de la conversation :

"Muguet est tout pilé !"

Personne ne répond, la compassion n'est pas leur fort, et puis peu apprécient ce plant, aux idées révolutionnaires, et au fumet empoisonné, pernicieux. Il est oublié, et un dahlia curieux s'immisce entre les doigts fins et laqués de l'envahisseuse. Ceux-ci, il y a peu, jouaient de la harpe pour l'amoureux ; des notes d'or et d'argent s'échappaient des cordes tendues, les sons cristallins charmaient les sens masculins ; c'était peut-être il y a quelques jours ou hier au soir ? Allez savoir !

"Il faut la réveiller !"

Le ton de Dahlia est péremptoire. Papillon qui passe par là, et qui s'est arrêté pour écouter, propose aimablement :

"Mesdames, permettez-moi d'essayer !"

Il s'incline, grand seigneur. Les fleurs, émoustillées, égrènent rires légers et sourires délicats ; elles se font séductrices. Dahlia parle en leurs noms :

"Sir, nous vous en saurons gré !"

Lépidoptère obtempère. Il déploie son habit, volète autour de l'alanguie ; effleure les lèvres entrouvertes et les yeux figés sur des tiges emperlées de rosée. Sinuant en rideau de soie obscur, les cheveux dénoués se déploient, confonde le sol humide. Papillon survole la peau pâle, par endroit tachetée, fendue. Le giron déborde. Les fleurs en sont troublées. Vers elles, il revient :

"C'est étrange."

Dahlia s'étonne :

"Comment ça ?"

"Je ne crois pas qu'elle dorme."

"Que racontez-vous donc ? N'est-elle pas étendue, couchée en notre cour ?"

"Certes..."

"Alors ?"

"Je suppose qu'elle médite !"

" Médite ? Ne pouvez-vous la déméditer ? "

"Je n'ai pas ce pouvoir. Toutefois je peux aller chercher Seigneur Frelon ?"

"Je ne l'aime pas beaucoup."

"Le clan moustique alors ? Il faut quelqu'un qui pique."

"Pourquoi pas les abeilles ?"

"Elles ne feront rien sans l'aval de leur reine. Enfin madame vous le savez bien ?"

"J'en conviens."

Lady Dahlia soupire :

"Soit, je vous en prie. Messire Frelon, allez quérir !"

Il s'incline, s'en va.

Dahlia fixe l'endormie et remarque quelques mouches ; elles voltigent près du ventre, font des acrobaties, caressent un micro-cœur qui bat à peine, se posent ; même cela ne sort pas l'assoupie de sa torpeur. La fleur se détourne avec mépris ; elles les pensent quelconques et vulgaires.

Pourtant, elle devrait les écouter. Leurs chants zézayant distillent dans l'air la vérité ; elle est crue, épouvantable, insupportable. Mais, ainsi sont les puissants, ils se ferment aux tragédies qui ponctuent la vie et apportent la mort. La surdité afflige le monde et la dormante le sait mieux que quiconque. En ces lieux de linceul, elle la raconte, la crie en son vaisseau écartelé d'où s'écoule l'espoir agonisant. Il est lové ; ne va pas tarder à rêver aussi sur les ailes du néant qui l'emporteront ; le glas avant l'apparition.

Les diptères s'empressent ; ils s'en serviront de berceau pour leurs progénitures ; pourrait-on y voir une sorte d'hommage ? La question est posée.

Elles poursuivent leur bavardage tandis que Frelon arrive. Impressionnant dans son pourpoint sombre et sienne, il salue brièvement ces dames, mais reste attentif à ce que racontent les diptères. Bien que sans pitié, Frelon est dénué d'apriori. Nul besoin pour lui de s'avancer vers la gisante pour comprendre l'évidence ; son intervention, aussi douloureuse soit-elle, ne la réveillera pas. Il informe les fleurs-douairière et tire sa révérence. Près d'elles, il ne s'attarde pas. À ses yeux, elles sont sèches et sans âme, il les préfère innocentes et sauvages.

Pour cette noble cour, c'est une douche froide ; il faut attendre que dame Nature passe, que son office se fasse. Surmonter les dégouts, accueillir de bonne grâce kyrielle de visiteurs qui, en temps et en heure, et au gré des saisons, aideront fines mouches à faire place neuve. De désagréables moments en perspective ; entre étoffe crayeuse à effilocher, fluides odoriférants évaporés et délitements d'ivoire.

Alors ne resteront de ces lointains tourments que brève évanescence ; hélas, à peine le souvenir d’un simple incident. Musicienne, amoureuse, accomplie, cette conjugaison des arts, des sens, des émotions ; à tout jamais ensevelie pour la simple et lumineuse raison qu'un jour, elle a cru en lui.

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