Confrontation : I

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— Mais où est Ren ? demandai-je pour la millième fois à Śimrod.

Ce dernier fit un geste apaisant dans ma direction, contredit par le regard flamboyant qu’il avait.

— Tu le sauras en temps voulu. Il nous rejoindra bientôt.

— Non, pas bientôt, protestai-je, à bout de patience. Il faut que je le voie tout de suite. J’ai traversé la moitié de la galaxie et affronté mille dangers pour le retrouver, à nouveau, Śimrod. C’est la deuxième fois qu’il me fait le coup. Je dois le voir, le plus vite possible.

Visiblement ennuyé, le père de Ren – cette seule pensée était vertigineuse ! – se tourna vers moi.

— Il n’est pas disponible pour l’instant, Rika. Comprends-le… Il est en train de faire quelque chose de très important, en ce moment.

Je croisai les bras, mécontente.

— Qu’est-ce qui peut être plus important que de retrouver sa femme et ses enfants ?

Le père de mon compagnon baissa les yeux, puis les releva, soudain minéral. Śimrod, pour le peu que j’en avais vu, avait une patience limitée, et il semblait avoir bien du mal à retenir ses ardeurs.

Comme lorsqu’il a sauvagement violé cette pauvre fille, me rappelai-je. Cela, je n’étais pas prête à l’oublier.

En dépit de son air patibulaire, c’était un bel ældien. Très beau, même, et en l’ayant en face de moi, je comprenais pourquoi toutes les rombières d’Ælda se l’étaient arraché, dans sa prime jeunesse. Mais il m’apparaissait également comme très têtu et obstiné, et peu commode. Et cet air négligé... Je baissais les yeux sur sa tunique usée et trouée, probablement âgée de plusieurs millénaires. Quant à ses cheveux, on aurait dit ceux de ce chanteur terrien, Pop’Narlay, en blanc.

Isolda, qui jusque-là s’était tenue plutôt en retrait, s’avança.

— Tu le verras bientôt, Rika, fit-elle en me fixant de ses yeux calmes, la voix posée. Ren a perdu la mémoire, et il a du mal à remettre en place ses priorités. Il faudra que tu te montres patiente, avec lui.

Śimrod, qui avait écouté avec intention la jeune humaine, s’empressa d’acquiescer.

— Oui, c’est tout à fait ça : patiente ! ajouta-t-il.

Je lui jetai un petit regard en coin, puis tournais mon attention sur Isolda. Elle me semblait avoir beaucoup vieilli, depuis la dernière fois. Pris en maturité. Je ne pouvais exactement dire quoi, mais quelque chose, en elle, avait changé.

Je l’avais amplement remerciée pour tout ce qu’elle avait fait. C’était elle qui avait sauvé la vie de Caëlurín. Sans sa clairvoyance et sa présence d’esprit…

Je fis quelques pas avec elle.

— Comment ça se passe, avec Śimrod ?

— Bien, me fit-elle. Il est un peu ours, mais très gentil, tu verras.

— Ours… ?

— C’est un animal brutal et poilu qui vivait dans la forêt, dans mon monde, m’apprit la jeune fille.

— Il s’entend bien avec Ren ?

Cette fois, Isolda me jeta un regard rapide.

— Pas trop. Ils ne font que se bagarrer… C’est assez usant.

Je la fixai, surprise. Ren, se bagarrer comme un môme ?

— Comment tu trouves Ren, par rapport à avant ? lui demandai-je pour être sûre.

Isolda releva le visage vers moi.

— Franchement ?

Je hochai la tête.

— Glacial, m’asséna-t-il alors. Il est glacial. On dirait… qu’il n’a plus de cœur.

Je gardai le silence, choquée par la nouvelle. Isolda se tourna vers le muret de pierre du pont et regarda la cascade et la petite colline en dessous.

— Il a tenté de tuer Roggbrudakh, murmura Isolda après avoir jeté un petit regard à Śimrod, qui câlinait ses petits enfants, accroupi devant eux. C’est pour ça qu’Ardamirë s’est enfuie du cair… Et pour ça qu’on est là. Cela fait déjà un jour et une nuit qu’elle se cache. Là-bas, quelque part dans la forêt… Elle s’enfuit dès qu’on essaie de l’approcher.

Je soupirai. Visiblement, Śimrod était encore plus maladroit que Ren. Une belle équipe de bras cassés ! Quant à ce Roggbrudakh…

— Il est gentil, m’assura Isolda. Surtout, il est tout ce qu’il reste à Arda… Elle a perdu sa sœur, et toutes les deux, elles ont vécu des trucs très durs, depuis leur séparation d’avec leur père.

— Eren ? murmurai-je, alarmée. Que lui est-il arrivé ?

Isolda jeta un regard derrière elle, à nouveau.

— Elle a rejoint la mesnie hellequin, fit-elle du bout des lèvres. Les ylfes de carnaval.

Les filidhean. Eren avait suivi le train et s’était embarquée dans leur nef des fous !

— Śimrod est furieux, m’expliqua encore Isolda. Au début, Ren n’était pas très content non plus, mais il a fini par se faire à l’idée. Śimrod dit qu’elle ne les a rejoints que parce qu’elle s’est fait séduire par un jeune elfe, le frère du chef de la troupe, un certain Elshyn. Eren est tombée amoureuse de lui. Il a été blessé à mort lors d’une bataille, et pour le sauver, Eren a échangé sa vie contre la sienne. Elle a offert son âme au Grand Hellequin, un certain Amadán… Un genre de Satan, si tu veux mon avis. Et depuis, elle fait partie de leur troupe, et ils l’ont emmené avec eux.

Eren, amoureuse ! Je n’aurais jamais cru voir ça un jour. Et désormais, nous l’avions perdu.

— Écoute, ce n’est pas forcément une mauvaise chose, dis-je à Isolda. Eren doit être très heureuse d’être avec celui qu’elle aime. Les ældiens croient qu’ils doivent passer leur existence à trouver leur âme sœur, celui ou celle qu’ils aimaient dans leur incarnation précédente. Si Eren est allée jusque-là pour ce mâle, c’est qu’elle pense l’avoir découvert. Et comme ça, du même coup, elle a trouvé sa Voie.

Isolda secoua la tête.

— C’est ce que dit Ren. Mais Śimrod, lui, dit que ces bardes guerriers ont une espérance de vie très courte.

— Mais leur âme est rachetée par l'Amadán, ajouta le susnommé en surgissant dans notre dos. La Voie filidh est une Voie d’une grande noblesse, peut-être la plus noble de toutes. La plus brave et la plus dure, en tout cas… Sans eux, notre peuple aurait disparu depuis longtemps, dispersé dans la galaxie sans espoir de retour à la normale, lentement avalé par le néant.

Je me tournai vers lui.

— Vous semblez en savoir un rayon sur ces mystérieux filidhean, Śimrod, lui fis-je remarquer.

— J’ai grandi dans une troupe filidh, me rappela-t-il, sur une nef des fous, comme vous dites. La troupe d’Ombre des Astres Gelés. Mon père était même ollamh ! Donc, oui, je crois en savoir assez, sur les filidhean. C’est aussi pour cela que je ne souhaite à personne de ma famille d’en devenir un.

— Si c’est une Voie noble, et qu’ils sont rachetés par l'Amadán, pourquoi pas ?

Śimrod vissa son regard sur le mien.

— Ils sont les premiers à regarder l’œil de la Ténèbre, fit-il. Toujours en première ligne, sans que personne ne le sache… Sitôt tombé, aussitôt remplacé. À eux, on n’élève ni statue ni chanson. Témoin des actes de notre peuple, garant de sa mémoire. Un simple outil sans identité. Rien qu’un masque, cachant du vide. Voilà ce qu’est un filidh.

— C’est toujours mieux qu’être dorśari, observai-je.

Śimrod me tapa aimablement dans le dos, me coupant le souffle à l’occasion.

— Ah ah, bien dit ! Ces dorśari… Ils sont le déshonneur de notre race !

L’accolade virile de Śimrod ayant manqué de me faire tomber, j’eus droit à un regard surpris de sa part. Il me regarda de côté pendant un moment, plus ou moins louvoyant, visiblement en proie à une grande perplexité.

Il se demande comment je résiste aux assauts amoureux de son fils, compris-je.

N’ayant aucune envie de parler de ma vie sexuelle à Śimrod, je me penchai sur le pont à mon tour.

— Où se cache Arda, exactement ?

— Si on le savait, on l’aurait déjà récupérée, railla Śimrod, affichant un sourire sarcastique.

J’ignorai la remarque.

— Arda n’est pas un paquet qu’on récupère, précisai-je sans le regarder. C’est une jeune femelle qui a son mot à dire !

Isolda sourit, apparemment satisfaite de ma réplique. À l’évidence, ce n’était pas la première fois que Śimrod parlait d’elle ou d’Arda comme d’une chose à manoeuvrer d’un point à un autre.

— Je vais la chercher, me décidai-je. Avec Isolda. Vous, pendant ce temps-là, gardez les petits.

Śimrod me regarda, surpris. Mais il n’osa pas répliquer.

— Et celui-là ? fit-il en me désignant Naradryan.

— C’est un ami de mes enfants, et il est sous ma protection. Ses parents sont tombés pendant la bataille de Taranis : il est orphelin.

— Orphelin ! Il faut le confier à une instance de Mebd, alors, fit-il en fronçant les sourcils.

Je baissai les yeux sur le petit Naradryan, occupé à jouer avec mes enfants.

— Les instances gouvernementales sont déjà au courant, Śimrod… Et ils l’ont laissé tout seul, avec la momie de son père atteint de muil. J’ai décidé d’adopter cet enfant, et ni vous, ni même Ren, ne me fera changer d’avis. C’est clair ?

Śimrod me fixa. Pendant un moment, je m’attendais à ce qu’il explose, mais il céda.

— Belle initiative, reconnut-il. Mais il faudra tout de même en parler à mon fils.

— Votre fils est d’accord avec tout ce que je dis, lui appris-je. Surtout lorsqu’il s’agit d’accueillir de pauvres hères sur son cair.

Là, je m’arrêtai. Le cair. Justement, Ren n’en avait plus.

— Bien sûr, fit Śimrod, l’Elbereth peut y pourvoir. C’est un cair de taille honorable.

Je le regardai.

— Vous la connaissez ?

— Et comment ! C’est à son bord que nous sommes arrivés, dit-il fièrement. Un très beau vaisseau. J’ai connu Elbereth, à l’époque où ce n’était qu’une jeune wyrm. À la cour de Tintannya, tout le monde se moquait de mon fils, pour avoir pris sous son aile une petite dragonne boiteuse et être rentré d’Æriban sans vaisseau. Mais Ren lui a fait confiance, et même sous cette forme pathétique, Elbereth lui a sauvé la vie plus d’une fois. Enfin, elle a récompensé cette confiance en lui faisant le plus beau des cadeaux… C’est ainsi qu’est mon fils. Il attire l’amitié et l’admiration des gens autour de lui. Ses bonnes actions finissent toujours par être récompensées, grâce à sa constance et sa détermination à faire le Bien. Si toutes les femelles, ædhel comme adannath, sont après lui, ce n’est pas pour rien !

Je contemplai Śimrod, hésitante dans ma réaction. Oui, il avait bien décrit son fils. Parfait, d’une générosité sans faille, constant et déterminé. La dernière précision, en revanche, n’était pas nécessaire.

— Comment votre fils a-t-il pu récupérer Elbereth ? demandai-je alors. Elle a été détruite par le CERG de Singh, le président de l’Holos, et chef de ses Armées.

Śimrod éclata de rire.

— Détruire physiquement le cair d’un sidhe aussi habile que Ren, en voilà une vaine idée ! Comme tous les très bons navigateurs ædhil – l’élite des navigateurs, pour ne rien te cacher – Silivren stationne toujours son cair dans un recoin secret de l’Autremer, connu de lui seul, avant de se rendre dans un endroit de la réalité basique où il sait qu’il y aura du danger. Ainsi, s’il arrivait que son vaisseau soit détruit, il lui suffit d’y revenir et de profiter des portails dimensionnels pour récupérer une version de son cair dans un monde parallèle, tel qu’il était avant l’incident. Bien sûr, tout ce qui a été entreposé dedans entretemps est perdu… À moins d’avoir opéré une sauvegarde de leur essence par le biais de cristaux-coeurs. Et cela, crois-moi, mon fils le fait régulièrement. Le problème est que ces cristaux ont été volés par cette Tanit… Mais je mettrai bientôt la main sur elle, foi de Śimrod Surinthiel !

Tout cela était une excellente nouvelle. J’étais si heureuse de l’entendre que je pris la main de Śimrod.

— Excellent, fis-je en pressant sa grosse patte noire et griffue. Il y a un seul problème… Les clés-mémoire contenant les dernières sauvegardes d’Elbereth et de ses habitants sont aux mains du prince Lathelennil Niśven, présent actuellement dans le Ráith Mebd… Et à qui j’ai eu bien du mal à échapper.

Les yeux rouges de Śimrod se plissèrent.

— Lathelennil Niśven ? Ce gringalet bicolore infusé aux drogues qui faisait office de frère à Amarië, la mère de Ren… Il est encore vivant ? Et tu dis que c’est lui qui a les cristaux-cœurs de l’Elbereth ?

Je hochai la tête.

— Oui. Et il ne les lâchera pas facilement, prédis-je.

Śimrod se fendit d’un sourire mauvais.

— Oh, il les lâchera, crois-moi, quand je le secouerai comme un tuyal rempli de cerdyf ! Où est-il ?

— En convalescence chez Edegil Arahael, lui appris-je.

— Bon. Je m’en occupe, fit Śimrod en se frottant les mains.

J’aurais pu avoir quelques scrupules à lâcher un blessé maladif et drogué entre les pattes de cette brute professionnelle qu’était Śimrod. Mais, étrangement, pour ce cas précis, je n’en eus aucun. Lathé méritait de recevoir une bonne fessée.

— Mieux vaut ne pas nous séparer pour l’instant, lui instruisis-je tout de même. Récupérons Arda et son ami orc avant toute chose. En second lieu, nous nous occuperons des cristaux-cœurs, puis de Ren. Dans un troisième temps, il faudra retrouver Angraema, Círdan et Mana, toujours otages chez les dorśari. Mana s’est livrée à Uriel Niśven pour pouvoir le manoeuvrer à sa guise… Elle croit que ses filles sont prisonnières des orcanides.

Śimrod eut l’air ébranlé par cette nouvelle.

— Mana… Ma petite fille… Esclave des caprices de ce dépravé d’Uriel ! Il faut absolument que j’aille voir Ren. Il s’agit d’une priorité majeure !

Je l’arrêtai en agrippant sa ceinture.

— Faisons les choses dans l’ordre, vous voulez bien, Śimrod ? Mana n’est pas en danger pour l’instant. Elle mène Uriel par le bout du… Bref, vous m’aurez compris.

Śimrod grinça des dents, fou de rage. Il ne tenait plus en place.

— Ah, si j’avais Ren en face de moi ! tonna-t-il. Je lui donnerai une bonne leçon, à lui aussi. Laisser ses filles se faire capturer par les orcanides, ses petits par les adannath, sa femelle humaine et sa propre sœur aux griffes des Niśven, les ædhil les plus vicieux et les plus malveillants qui existent en ce monde ! N’est-il pas stupide ?

J’étais obligée de reconnaître que Śimrod, quoique sévère dans ses jugements, avait raison. Si Ren n’avait pas aveuglément fait confiance à Priyanca Varma… S’il avait fait plus attention à Eren et Arda… S’il m’avait parlé plus, à moi aussi… On n’en serait pas là.

Quoique tout vient de moi, en fait, reconnus-je intérieurement. C’est moi qui ai insisté pour que Tanit monte dans le vaisseau.

Mes pensées coupables furent interrompues par Isolda, qui, faisant le guet depuis tout à l’heure, nous montra du doigt une silhouette qui évoluait dans le paysage idyllique en face de nous.

— C’est elle, murmura-t-elle. Elle est sortie du bois pour boire et se laver dans le lac.

Śimrod faillit s’étrangler.

— En compagnie d’un orcanide !

— Roggbrudakh est en train de faire un feu, répondit-elle. Il semble porter quelque chose sur le dos.

Śimrod se rapprocha et regarda dans la direction qu’indiquait Isolda.

— L’imbécile, grogna-t-il. Il a tué un daurilim, et il fait un feu, par-dessus le marché. Ils vont se faire repérer par Mebd !

Je regardai Śimrod. D’après ce que j’avais compris, Mebd était une entité pensante, qui, comme les vaisseaux dotés d’une intelligence, opérait ses propres diagnostics, et remédiait directement aux problèmes qu’elle identifiait.

— Et alors ? Qu’est-ce qui va se passer ?

— Les aios vont débarquer et les arrêter, m’apprit-il.

Je reportai mon attention sur Arda, qui s’ébattait dans l’eau, nue, pendant que Roggbrudakh cuisinait. Comme d’habitude, elle n’en faisait qu’à sa tête.

Avant même que je ne puisse intervenir, Śimrod avait sauté la rambarde. Il se jeta dans le vide, bras écartés, comme un écureuil volant, cette espèce étrange et éteinte depuis plus de dix millénaires et qui me faisait tant rêver étant petite. Puis, s’étant rattrapé aux branches d’un arbre une centaine de mètres en dessous – qu’il cassa pour l’occasion – il rebondit et sauta de feuillu en feuillu, avec la vélocité qui m’avait tant surprise chez Ren au barsaman, sur Demeria Tri.

Voilà de qui il tient, pensai-je en regardant Śimrod se jeter dans l’eau et nager comme un vrai requin vers Arda. L’air, la forêt, l’eau maintenant… Un véritable triathlon. Ces ældiens étaient vraiment tout-terrain !

Ardamirë, affolée, sortit de l’eau en le voyant. Mais c’était trop tard : Śimrod était déjà sur elle, et il la ceintura. Alors Roggbrudakh se précipita pour intervenir. Je sentais que tout cela allait finir mal, très mal.

— Doucement, Śimrod ! lui hurlai-je. N’allez pas aggraver la situation avec vos manières de brute !

À côté de moi, Isolda pouffa. Mais son regard était indulgent.

— Tu sais, il est plus subtil et gentil que tu ne le crois, m’apprit-elle.

— C’est une grosse brute. Regarde-le à côté de Roggbrudakh ! On se demande presque qui est l’orcanide.

— Je t’assure. C’est un gentil ylfe.

Je me tournai vers elle. Son regard me semblait un peu trop mielleux.

— Isolda… Attention. Tu es peut-être sous l’emprise du luith de Śimrod, la prévins-je.

— Le luith ?

— Une espèce de phéromone que les ældiens mâles émettent naturellement lorsqu’ils sont prêts à se reproduire, pour que les femelles les trouvent plus attirants. C’est une stratégie de sélection naturelle. Cela se manifeste dans l’odeur, notamment. Si tu te mets à trouver l’odeur de Śimrod irrésistible et qu’elle te fait mouiller ta culotte… Alors, c’est que tu es sous l’emprise du luith.

Isolda me regarda, guère impressionnée. Je savais que cette fille en avait vu de dures, et qu’il en fallait plus pour la choquer : c’est pour cela que je me permettais avec elle un tel franc-parler.

— Je le trouve juste gentil, c’est tout. On parle pas mal, ensemble. Il s’intéresse aux humains, me pose des questions sur la vie au village. Je ne trouve pas qu’il sente meilleur qu’un autre, ni plus mauvais… J’en sais rien, en fait : je ne vais pas le renifler ! Et c’est un ylfe. Je sais que ces ylfes là, les gentils, ne s’intéressent pas aux humaines.

Ce qu’elle dit me fit un petit choc. C’était vrai. Śimrod, comme Círdan, me regardait d’une façon totalement différente d’un Arawn-Arowed ou d’un Lathelennil. Dans les yeux des premiers, il était évident qu’il n’y avait aucune attirance pour Isolda ou moi : pour eux, nous n’étions que des proies. Et, la dernière fois que je l’avais vu, le regard de Ren était pareil.

Il s’est mis à me trouver attirante quand il a compris que moi, je le trouvais attirant, me souvins-je, et surtout, lorsqu’il a réalisé qu’il n’y avait plus aucune autre ældienne dans l’univers à part sa déviante sœur. Mais à présent…

Je regardai autour du moi. Nous étions dans le Ráith Mebd, un vaisseau rempli, au bas mot, de milliers d’ældiens. Des ældiens de bonne volonté, qui n’étaient pas fascinés par la souffrance, les araignées, le sang ou la chair fraîche.

— Autrefois, appris-je à Isolda dans un murmure, Śimrod s’est entiché d’une humaine. Une esclave. Il l’a prise sur son cair, et l’a violée quotidiennement, jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Huit petits. Tu te rends compte, Isolda ? Huit petits… Imagine un peu. Déjà, se faire besogner tous les jours en mode dun-dun par ce gros morceau bien bourrin, mais alors, l’accouchement… Et puis tu sais, les ældiens ont vraiment...

— Tu me l’as déjà dit, m’interrompit tranquillement Isolda. Je ne suis pas contre entendre à nouveau cette histoire, mais là, en bas, ils sont assaillis par une troupe d’aios. Je suggère qu’on aille les rejoindre, pour ne pas se retrouver seules avec les petits s’ils se font arrêter.

Je tournai mon attention vers le lac, alarmée. C’était vrai. En bas, Śimrod était en pleine discussion avec une troupe d’aios, alors qu’Arda et Roggbrudakh, assis à genoux dans l’herbe les mains liées, étaient gardés par d’autres.

— Attendez-nous ! criai-je en agitant les bras, histoire de bien me faire remarquer. On arrive !

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