Les enchantements de Lathé : VII
Je me réveillai le lendemain avec une sérieuse gueule de bois. Ma tête me faisait mal, j’avais visiblement bu trop de gwidth la veille. Ou un cru particulièrement fort. À tel point que je m’étais imaginé coucher avec Lathelennil… Je n’avais que des sentiments confus de ce rêve étrange. Je me souvenais d’une impuissance totale, une espèce de rêverie nébuleuse où je me voyais allongée sur le canapé, les bras en croix, à moitié endormie alors que l’ældien bicolore allait et venait au-dessus de moi, ses yeux obsidienne brillant dans le noir d’une lueur affamée. Mais, loin d’être un cauchemar, ce rêve bizarre m’avait laissé quelques impressions singulièrement sensuelles et difficilement imputables à Lathelennil. Un murmure cajolant, une odeur capiteuse de mâle ældien, des cheveux venant caresser ma peau. Et un tiraillement caractéristique dans le bas-ventre.
Ren a raison, me dis-je, entendant Caëlurín bâiller. C’est ce lieu, et le fait de se sentir – faussement, bien sûr – en sécurité pour la première fois depuis longtemps.
Cela dit, avoir fantasmé sur ce taré de Lathelennil – et l’avoir imaginé si bon amant – était problématique. Il allait falloir que j’y réfléchisse sérieusement.
Se séparer du dorśari s’avérerait peut-être nécessaire, pensai-je en roulant sur le côté.
En lieu et place de mon fils que je pensais juste derrière moi, je me heurtai au corps dénudé de Lathelennil. Il dormait les yeux fermés, ses cheveux noirs, déversés sur le côté blanc, le faisant terriblement ressembler à Uriel sur le moment. Son oreille pointue chargée d’anneaux tiqua un instant, mais il n’ouvrit pas les yeux. Une sorte de plaid, visiblement arraché du canapé, était posé sur nos hanches respectives, mais nous étions tous les deux nus. J’avais présentement le nez collé sur une espèce de pentacle gravé à même la peau dont les sombres runes aux lignes agressives s’étalaient sur le poitrail de mon voisin de lit, rejoignant ses tétons pareillement traversés par une cruelle épine en iridium, dont les pointes ressortaient des deux côtés.
Horrifiée, je roulai sur le dos à nouveau et posai ma main sur mon front comme pour dissimuler ma honte aux yeux de spectateurs invisibles. J’avais bel et bien couché avec Lathelennil. Pourquoi, alors que j’étais convaincue que c’était bien la dernière chose dans l’univers dont j’avais envie ? Comment, alors que l’idée ne m’avait pas une seule fois traversé l’esprit, et que j’aimais profondément mon compagnon, ne désirant que lui ? Ren et moi ne nous étions même pas disputés. Et nos gamins étaient dans le canapé, eux aussi, depuis la veille. Si ça se trouve, ils avaient tout vu.
Je me tournai à nouveau sur le côté opposé, cherchant mes petits du regard. Il dormaient à moitié les uns sur les autres, comme dans leur panier. Nínim se gratta le ventre et bailla, avec de retomber dans le sommeil. Cerin fronça le nez et rabattit sa petite queue contre elle. Caëlurín, lui, tétait la sienne, de loin la plus fournie et la plus spectaculaire des trois.
Le bras de Lathelennil vint insidieusement glisser contre moi, me tétanisant immédiatement. Dormait-il encore ? J’espérais que oui. Mais un baiser déposé de sa part sur ma nuque m’assura du contraire.
— Tu as bien dormi, ma douce ? roucoula-t-il dans mon cou.
Je bondis du lit. Lathelennil, toujours allongé, s’étira, avant de me regarder d’un air paresseux.
— Ne m’appelle jamais ainsi, le mis-je en garde.
— Pourquoi donc ? Pour moi, tu es ma bien-aimée, la moitié de mon cœur. Je ne t’oblige pas à me rendre la politesse… Quoique tu m’en as dit de belles, cette nuit ! eut-il l’audace de dire avec un sourire narquois.
— Je ne t’ai rien dit du tout. Tu m’as droguée avec ton gwidth de cuvée spéciale, qui devait être plein d’ayesh ou de champignons hallucinogènes, tout ça pour faire ton affaire, en profitant de ce que je te croyais passé à autre chose !
Lathelennil éclata de rire.
— Arrête, je ne suis pas un petit joueur à ce point… C’est à un prince de Sorśa que tu parles. Pour toi ça ne veut peut être rien dire, mais à nous autres Niśven, on prête un charme particulier, même au sein des Cours… On appelle cela la fascination, ou gleámsýni. Personne n’y résiste. Même pas toi, Rika, l’humaine qui tient tête à tous les dwol et même au luith… Du reste, j’avais dit que je t’aurais, et je t’ai eue. Un chasseur traque toujours sa proie jusqu’à la mise à mort !
J’avais donc été victime d’un dwol de haut vol de la part de ce nécromancien du dimanche. Mécontente, je m’empressai de récupérer mes vêtements, abandonnés là sur le sol, et me hâtai de les enfiler.
— Rhabille-toi, lui dis-je. Je ne veux pas que les petits – ou pire, Ren – te voient dans cet appareil.
Lathelennil poussa un soupir résigné.
— Et moi qui espérais remettre ça ce matin… se lamenta-t-il en passant ses doigts dans sa longue chevelure dénouée.
— Dans tes rêves, sifflai-je entre mes dents. Allez. Habille-toi.
Je ramassai sa chemise lie-de-vin et la lui lançai. Lathelennil l’attrapa, et se redressant, il fit malencontreusement tomber le plaid, m’obligeant à contempler son corps nu et à vérifier sa bichromie : son corps fin et musclé était couvert de taches basaltes, dont l’une couvrait son entrejambe. Je me hâtai de détourner le regard, mais je l’avais laissé trainer une seconde de trop : Lathelennil m’avait vu. Il me fixait, triomphal.
— Curieuse, hein ? me tança-t-il d’un ton moqueur. C’est ce qui vous perd toujours, vous, les humains !
Je lui jetai le reste de ses vêtements au visage, saisis mes mômes encore endormis et quittais la pièce sous le rire sardonique de Lathelennil. Il était diabolique. Les oreilles en feu, je l’entendais encore lorsqu’il fut couvert par une sirène assourdissante, une série de bruits stridents qui résonnaient par série de cinq, se taisaient avant de reprendre. Mes enfants se réveillèrent immédiatement, les yeux grands comme des billes, et Lathelennil, qui avait sauté du canapé tout habillé, bondit devant nous.
— Qu’est-ce que c’est ? grogna-t-il.
C’est alors que l’IA domestique fit son apparition devant nous.
— Ceci est une alerte de niveau critique, nous annonça-t-elle très calmement. Nous sommes attaqués. La compagnie vous présente toutes ses excuses pour ce désagrément, et vous demande de gagner la zone d’évacuation immédiatement.
Annotations