Sous les étoiles mortes : VI

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Je profitai de l’abri de notre étape du soir – dans un arbre, comme la veille – pour remercier Lathelennil. Ce dernier avait défait les plaques supérieures de son armure pour inspecter son épaule, un peu malmenée par sa séance de rodéo sur le dos de la créature.

— Merci, Lathelennil, lui dis-je pendant qu’il massait son omoplate.

Le susnommé releva son regard noir sur moi.

— Merci de quoi ? J’ai de bonnes raisons d’agir ainsi.

Je hochai la tête. Certes. Le geas qu’avait posé Ren sur lui.

Les enfants avaient passé la soirée à se raconter encore et encore l’histoire du fauve, grossissant les faits à chaque fois. Dans la troisième version, Lathelennil avait assommé la bête à coups de poings. Dans la quatrième, c’est moi qui avait extrait le cœur… Caëlurín, qui s’était pourtant fait réprimander par Lathelennil, avait même eu droit à un compliment de ce dernier pour son opportunisme.

— C’est bien, l’avait-il félicité en lui frottant les cheveux. Tu iras loin. Tiens… Regarde ce que j’ai gardé pour toi.

Un bout du cœur du fauve.

— C’est une viande au fumet puissant, qui a beaucoup de goût. De la viande pour les mâles forts, les femelles féroces. Ce n’est pas sûr que tu aimes… Tu es sûr que tu en veux ? avait insisté Lathelennil en le fixant dans les yeux.

— Oui, oui, s’il te plaît, j’en veux ! avait supplié Caëlurín.

Lathelennil lui avait donc donné le morceau. Caëlurín avait fait semblant de se régaler, même s’il avait eu du mal à l’avaler. Mais il voulait apparemment passer pour un mâle fort et féroce.

Le blason de « l’oncle Lathé » avait été redoré par les exploits survivalistes de ces deux derniers jours. Je voyais bien que mes enfants l’adoraient, et le contemplaient avec admiration. C’était le comble, quand même !

Pour les aider à s’endormir, leur oncle leur raconta même une histoire, dans laquelle il était question d’un orc né dans une famille humaine, bien laid et noir, mais au cœur courageux. Pour venger sa sœur humaine victime d’un tour cruel (on avait remplacé sa tête par celle d’un daurilim), l’orc était parti dès le lendemain dans le repaire de ses frères de race et les avait tous massacrés.

— Est-ce qu’il a rendu sa tête à sa sœur ? demanda Cerin. Est-ce qu’elle est redevenue telle qu’elle était ?

Lathelennil secoua la tête.

— Non. L’humaine resta daurilim, et mourut daurilim, incapable de se défaire de ce sort. Mais son frère garda sa tête et la mit dans une jolie boîte, couronnée d’une tresse de fleurs jaunes. Quelle est la morale de cette histoire ?

— Les orcs sont méchants ? proposa Nínim.

— Non. Le héros de cette histoire est un orc, et il aimait sa sœur… Alors ?

— Moi je sais ! tenta Cerin. Chacun doit rester chez soi.

— Non… Qui d’autre ?

Alors, Caëlurín prit la parole.

— Il faut toujours se venger de ses ennemis, asséna-t-il avec conviction.

Lathelennil sourit, une lueur impie dansant ses yeux sans fond.

— Exactement. Même si ça doit prendre des années, des siècles… Il ne faut jamais laisser une offense impunie.

Caëlurín bailla, satisfait. Il se lova contre le ventre de Lathelennil et, après avoir regardé son monde d’un air content, les yeux mi-clos, il s’endormit. Il fut bientôt imité par Nínim et Cerin, qui commentèrent l’histoire à mi-voix avant de tomber de sommeil, l’un en face de l’autre.

— Tu dis ne pas aimer les enfants, mais les enfants t’adorent, observai-je.

— J’ai jamais dit que j’aimais pas les perædhil, répondit Lathelennil en me regardant droit dans les yeux.

Je soupirai.

— À propos de perædhil… J’ai bien réfléchi, aujourd’hui.

Lathelennil posa son regard noir sur moi. Il me laissa parler, sans presser les choses.

— Je veux avoir cette portée, lui annonçai-je. Et comme Ren n’est pas là…

Je baissai les yeux, honteuse. Lorsque je les relevai, Lathelennil était devant moi, à cinq centimètres de mon visage.

— Dis-le.

Je me mordis la lèvre.

— Est-ce que tu voudrais bien… Le remplacer, juste le temps que je le retrouve ? Je sais que c’est une période cruciale pour la portée…

— Oui ? Et encore ? Qu’est-ce que tu veux de moi ?

— J’ai besoin de ton aide, fis-je en le regardant.

— Quel genre d’aide ? insista-t-il, cruel.

Je pris une grande inspiration.

— J’ai besoin que tu me donnes un peu de ton… sperme, voilà.

— Bel effort, concéda-t-il, moqueur. Mais ce n’est pas suffisant.

Je lui jetai un regard courroucé. Lathelennil me faisait tourner en bourrique. Il se vengeait de moi pour l’avoir éconduit.

— Allez Lathé, coopère, insistai-je. Juste un peu. Ne crois pas que je te demande cela de gaieté de cœur !

— Toujours pas. Je croyais que tu savais comment séduire un ædhel… C’est nul, pour l’instant. J’ai beau avoir mes fièvres, je ne suis pas du tout stimulé par ce que tu me racontes. Et cela va bientôt faire deux cycles sans nouvel apport… Si ta portée ne meure pas, elle ne sera constituée que de petits dégénérés !

— Non ! glapis-je, désespérée.

Je l’attrapai par les épaules et lui collai un baiser, prête à tout pour sauver mes futurs enfants. Mais ce tortionnaire de Lathelennil se déroba, continuant à se faire prier.

— Il faut que tu me le dises… Si tu me dis clairement ce que tu veux et m’offre quelque chose en contrepartie, alors je t’aiderai. Sinon, ta portée mourra. Souviens-toi : ton Ren a posé un geas sur moi. Je ne peux pas te toucher à moins que tu ne me le demande expressément. Et puis, d’un point de vue plus personnel, il me faut un peu plus de motivation !

Un marché. Voilà ce que Lathelennil me proposait. Une fois de plus, il m’avait habilement poussée à répondre positivement à son chantage. Je le savais plus fort que moi à ces jeux-là, mais je n’avais pas le choix.

— D’accord, d’accord ! J’ai besoin que tu me fasses l’amour, Lathelennil. Urgemment besoin.

— Besoin ou envie ? exulta-t-il, son œil noir et brillant posé sur moi.

— Besoin et envie. Allez, s’il te plaît ! Je t’en supplie.

— Qu’est-ce que tu m’offres pour sceller notre marché ?

— Tout ce que tu veux, à condition que mes enfants survivent, et que je n’ai pas à quitter Ren.

Il tapota ses lèvres de son ongle acéré, faisant mine de réfléchir.

— Je n’ai pas d’idée pour l’instant. Il faudra que j’y réfléchisse. On en reparle demain.

— Non, ce soir ! le pressai-je.

Je savais pertinemment que si les embryons ne recevaient pas leur apport d’ADN ultari cette nuit, je perdrais la portée.

Lathelennil esquissa un sourire doucereux, plus cruel que charmeur.

— Bon… Si tu insistes… Je te demanderai mon prix plus tard.

Une main pressante posée là où il fallait me révéla qu’il me menait en bateau depuis le début : il était dur comme la corne que j’avais plantée dans le flanc du monstre.

— Fais doucement, sans bruit, et sans fioritures, lui ordonnai-je, un peu énervée. Et juste ce qu’il faut. Je te fais confiance !

Sur les lèvres de Lathelennil apparut un sourire large.

— À vos ordres, princesse, se moqua-t-il, la pâle lumière des étoiles se reflétant dans les globes d’encre liquide de ses yeux.

Et, semblable au fauve qu’il avait tué tout à l’heure, il s’avança vers moi, ses yeux obliques pleins de promesses prédatrices.

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