Chapitre 7 suite 2
Dès que le petit homme eut disparu, Aymeric desserra son étreinte sans pour autant la lâcher. Sentant la tension retomber, Alis dégagea sa main d’une secousse et par réflexe, se massa l’articulation.
- Vous ai-je blessée ?
Surprise par le ton inquiet du capitaine, Alis releva la tête et le regarda avec un mélange de curiosité et de méfiance. Etait-il sérieux ou se moquait-il encore d’elle ? Elle fut cependant étonnée de constater que le pli narquois de sa bouche avait disparu, remplacé par un sourire engageant qui adoucissait son visage au point de le rendre avenant.
Alis resta tout de même sur ses gardes et se contenta de hocher négativement la tête.
- Dans ce cas, vous pourriez peut-être me remercier de vous avoir évité de gros ennuis, souligna-t-il en retrouvant son expression moqueuse.
- Après tout ce que j’ai entendu, je ne suis pas sûre d’avoir échappé au pire. Qui me dit que je peux avoir confiance en vous ? En tout cas, sachez que je ne vous appartiens pas, pas plus qu’à lui d’ailleurs, eut-elle l’aplomb de lui répondre en désignant d’un geste vague l’endroit où avait disparu Bertrand.
Aymeric éclata de rire. Une moue taquine se peignit sur ses traits lorsqu’il hocha la tête d’un air entendu. Puis, tel un félin devant sa proie, il s’avança en souriant et en deux pas, se retrouva juste devant elle. Il la dépassait d’une bonne tête, bien qu’étant assez grande elle-même. Il était si près que, tentant de reculer, elle se cogna au mur du donjon où ses mains se plaquèrent de crainte, mais surtout de rage de s’être laissée surprendre.
Aymeric eut un instant d’hésitation devant le beau visage qui se leva vers lui, rendu encore plus ensorceleur par la lueur mouvante de la torche suspendue au-dessus d’eux.
- Peut-être me remercierez-vous alors d’avoir retrouvé cette chose ? Lui répondit-il en balançant malicieusement son baluchon devant elle.
- Où… où l’avez-vous trouvé ? Balbutia-t-elle en tendant la main pour l’attraper.
Son sourire ironique s’accentua lorsqu’il l’éleva hors de sa portée d’un air joueur.
- Un petit merci d’abord, Alis la louve… ou la sorcière ! Personnellement, je préfère la louve, ce surnom vous va comme un gant.
Le fixant de son regard devenu braise, elle repoussa la boule d’angoisse mêlée de colère qu’elle avait au fond de la gorge et articula crânement :
- Merci pour votre peine, capitaine.
- Voilà qui est beaucoup mieux, fillette.
Ils se jaugèrent du regard, se défiant à lequel des deux baisserait les yeux en premier. Soudain, un éclair cristallin attira l’attention d’Aymeric et, d’une caresse légère et sensuelle, son doigt arrêta à la naissance de son cou, une perle d’eau qui menaçait de s’aventurer dans son corsage.
Sous la brûlure de cet effleurement, la peau d’Alis fut parcourue d’un frisson. Essayant de cacher le profond trouble que provoquait son regard bleu marine qui la scrutait, elle sentit ses jambes flageoler dangereusement pendant que son cœur faisait des bonds désordonnés dans sa poitrine. Une bouffée de chaleur envahit son visage et lui vrilla les entrailles au point de lui ôter toute volonté de résistance.
Devant son absence de réaction, Aymeric s’enhardit. Il lui enlaça doucement la taille et se pencha pour l’embrasser.
Lorsqu’elle vit son visage s’approcher, Alis recouvra soudain ses esprits. Rompant brutalement le charme, ses deux mains s’appuyèrent de toute leur force sur son torse pour le repousser le plus loin possible.
- Lâchez-moi espèce de brute, laissez-moi tranquille ! Vous ne valez pas mieux que cet immonde porc, siffla-t-elle entre ses dents.
Surpris par la violence de l’assaut et par l’intense peur qu’il lisait dans ses yeux, Aymeric recula d’un pas en relâchant son étreinte.
- Je ne voulais pas vous effrayer, je croyais…
- Qu’est-ce que vous croyiez ? Que je suis aussi sotte que les autres femmes au point de tomber dans vos bras sans me défendre ? L’interrompit-elle en tremblant de colère autant que de peur. Eh bien détrompez-vous, espèce de rustre. Quand je pense que vous étiez là, caché dans l’ombre, savourant l’humiliation que ce porc me faisait subir, attendant le bon moment avant d’intervenir pour mieux m’abuser. Vous êtes encore plus ignoble que lui.
D’un geste aussi soudain qu’inattendu, Alis lança son bras et lui arracha son baluchon des mains avant de le plaquer contre sa poitrine.
Bouche bée, Aymeric regardait avec effarement ses beaux yeux bruns s’emplir de larmes. Il s’en voulait de l’avoir effrayée. Il n’avait pas pour habitude de forcer les femmes, elles lui cédaient sans qu’il se donne trop de peine. À presque vingt-deux ans, c’était la première fois qu’il faisait face à ce genre de situation, mais la beauté d’Alis le chamboulait tant qu’elle lui faisait perdre le sens des convenances. Et maintenant, malgré les horribles paroles qu’elle lui avait jetées au visage, elle avait l’air si fragile et vulnérable qu’il aurait tout donné pour pouvoir revenir en arrière et tout effacer.
Aymeric chercha à réparer sa bévue en lui murmurant d’une voix apaisante :
- Hé là, ne pleurez pas ! Vous avez raison, je suis un ignoble rustre, aussi je vous prie de bien vouloir accepter mes plus humbles excuses. Je n’aurais jamais dû attendre pour vous secourir, mais je voulais savoir jusqu’où cette vermine était capable d’aller. Jamais je n’aurais pensé qu’il eut autant de force.
Aymeric tenta une nouvelle approche en avançant d’un pas, mais aussitôt Alis recula de deux, le corps secoué de sanglots et de tremblements incoercibles.
- N’ayez pas peur, je ne vous veux pas de mal, murmura-t-il d’une voix douce en lui tendant une main amicale. Je ne chercherai plus à abuser de vous, je vous en fais la promesse. Donnez-moi la main et oublions nos griefs. Contrairement à ce que vous avez l’air de penser, je ne vous en veux pas d’avoir effrayé mon cheval l’autre jour. Cela m’a plus amusé que fâché. Ne croyez pas aussi que je me réjouisse de votre situation, je suis désolé pour votre père et désapprouve le châtiment infligé. Je n’ai fait qu’obéir aux ordres. Mais si ça peut vous rassurer, il a fait le voyage sur le cheval de Gautier. Et puis… je pourrai peut-être vous aider dans votre démarche auprès du baron. Faites-moi confiance, vous ne le regretterez pas.
Malgré le ton penaud puis rassurant qu’il employait et la douceur qu’elle lisait dans ses yeux, Alis ne pouvait s’empêcher de reculer de plus en plus vite. Pendant qu’il esquissait un pas, elle en parcourait quatre en arrière. Sa réaction était tellement inattendue et différente de l’image qu’elle se faisait du personnage, qu’elle ne pouvait s’empêcher de s’en méfier.
Comprenant que tout ce qu’il pourrait lui dire resterait sans effet, Aymeric arrêta sa progression et laissa retomber sa main. Il soupira et eut une mimique désolée :
- D’accord, d’accord, j’arrête, ne vous inquiétez pas. Allez vite vous mettre sous la protection de dame Berthe, vous pouvez lui faire confiance. Mais méfiez-vous des trois soudards dans la grande salle, traversez-la sans vous arrêter. Bien le bonsoir, belle Alis, et à très bientôt… j’espère.
Retrouvant soudain l’usage de la parole, Alis lui rétorqua froidement :
- Et bien moi, j’espère que non !
À ces mots, elle tourna les talons et remonta à toutes jambes la rampe qui menait au petit donjon poursuivie par son rire clair qui ricochait allègrement sur les murs. Avant de s’engager sur les escaliers de bois menant à la grande salle, Alis posa une main sur son coeur en attendant que cessent ses battements désordonnés.
Peu à peu, la frayeur céda la place à la réflexion. Il fallait qu’elle fasse plus attention, ici elle n’était pas dans son village et elle devait se méfier de tout le monde, à commencer par ce prétentieux capitaine qui se croyait tout permis. Heureusement, dès demain elle se rendrait chez la sœur de Johan le Roux. Si elle était aussi gentille que son frère, elle serait bien accueillie et avec un peu de chance, elle lui indiquerait quelqu’un de confiance pour la raccompagner à Sermelle.
Un peu rassérénée par cette pensée, Alis prit son courage à deux mains. Elle monta l’escalier et, après s’être fait ouvrir les portes par le garde de faction à moitié endormi, elle s’engouffra dans la salle en courant, obéissant malgré elle aux conseils d’Aymeric.
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