Fraternité, alcool à volonté, (presque) tous bourrés

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Trois heures du matin, un verre dans chaque main, tous les protagonistes de cette scène absurde titubent. Y en a même qui vomissent dans les coins. Ah, elle est belle la jeunesse ! Et après on me demande pourquoi j’aime pas ce genre de soirées. Vous êtes sûrs que vous avez pas d’autres questions moins débiles à poser ? Pourquoi je suis venue ? Ça, c’est une super question… je m’ennuyais, alors, comme Sissi arrêtait pas de me casser les bonbons pour que je vienne avec elle, j’ai fini par plier. Ouais, dans la vie, vaut mieux être un roseau qu’un chêne. De toute manière, y a déjà assez de glands comme ça ; j’en ai une parfaite illustration devant moi, derrière moi, et même sur les côtés. Pour une fois, y a pas que mes yeux qui sont cernés ! Et maintenant, plus que jamais, je suis certaine de détester ça.

Alors que Sissi fait déjà de la spéléo pour trouver une bière au fond d’un seau rempli de glaçons, moi, j’essaie de disparaître. Je suis invisible, vous ne me voyez pas !

Faut croire que c’est pas tout à fait faux, je fais un pas en avant et un mec chocolat bleu pâle me bouscule avant de s’étaler à mes pieds. Coma éthylique ici ! Appelez les pompiers ! Ah non, il tourne la tête vers moi et émet un son inarticulé ; ok, j’ai rien compris mais ça ressemblait quand même à une insulte. Le ton qu’il a pris pour gerber son borborygme, ça trompe pas. Je lui marcherais bien sur la main, histoire de le réveiller un bon coup… ouais, je sais, j’ai de drôles d’idées des fois. Mais je les assume hein, enfin 99% du temps, quoi.

Les 1 % du temps qui reste, je me pose quand même certaines questions sur le bien-fondé de ce genre d’envies subites et quasiment irrépressibles ; mais ça passe toujours très rapidement. Dixit un psy côtoyé quelques années auparavant : avoir ce genre de pensées est très sain, même les envies de meurtre le sont. Encore faut-il savoir s’arrêter aux idées !

Tout à mes pensées, j’enjambe l’abruti qui poursuit sa logorrhée, le visage posé sur la moquette crado et me dirige vers le balcon ; vu le froid qu’il fait, je suis presque sûre de n’y croiser personne.

Manqué ! Trois glandus sont installés sur des transats en plastique et débattent joyeusement de l’utilité de la seule cabine téléphonique posée au beau milieu de la place du village et qui doit être la dernière dans le monde entier.

À mon approche, les trois têtes se tournent. Ronds comme des queues de pelles ou pas ronds comme des queues de pelles ? Là est la question.

Le plus éloigné de moi esquisse un léger sourire et les deux autres suivent ; pas de sourire niais, non, juste des sourires souriants qui redonnent un peu foi en l’humanité.

Je souris à mon tour puis m’approche de la rambarde. On dirait pas comme ça, mais c’est haut un sixième étage. Lorsque je suis en hauteur comme ça, il m’arrive de me demander ce que ça donnerait si je sautais… De chez moi, je peux pas, Sissi et moi habitons au rez-de-chaussée.

Ne vous y trompez pas hein, je ne suis pas suicidaire ! Bien que, des fois, lorsque je me retrouve coincée dans des soirées telles que celle-ci, cette idée me paraît la moins mauvaise de toutes.

Tout à mes conjectures, je n’ai pas fait attention à ce qu’il se passait à l’intérieur. Mais maintenant que je suis revenue à la réalité, j’entends quelqu’un beugler. Un drame ! Chouette ! Après tout, la soirée sera peut-être pas si pourrie que je le redoutais !

Requinquée par le froid, je retourne au salon. Quelqu’un, sûrement un moins beurré que les autres, a éteint la musique et tente, à grand renfort de noms d’oiseaux, d’éloigner les curieux amassés autour de l’attraction de la soirée.

En catimini, je m’approche de la scène. Et là, désillusion ! « L’attraction » n’est autre que le mec qui m’a bousculée tout à l’heure avant de faire un vol plané vers le sol dégueulasse. Et ce porc en a rajouté une couche en vomissant ses tripes et ses boyaux… Si j’étais pas quelqu’un de civilisé, j’essaierais pas de faire redescendre ce que je sens remonter le long de mon œsophage ; mais voilà, je sais me tenir. Pas comme certains…

C’est pas grave les gens ! Il va s’en remettre. Il a juste trop bu. Comme 99 % d’entre vous. Mais lui, il a pas la chance que vous avez, il boit peut-être moins souvent et ne tient pas l’alcool aussi bien que vous. Enfin, quand je dis que vous avez de la chance, je m’entends, si c’est pour crever d’une cirrhose à quarante balais, je serais vous, j’y réfléchirais à deux fois.

Ah ! Ça y est, il bouge ! Miracle et miraclette ! Sa joue droite — celle qui était posée sur le sol — est maculée de nouilles à moitié décomposées, à moins que ce soit du riz… j’suis pas bien sûre… il essaie d’articuler quelque chose mais sa tentative demeure vaine une nouvelle fois.

Je m’approcherais bien pour l’accompagner aux toilettes pour qu’il se débarbouille, mais d’un, je sais pas où sont les chiottes et de deux, j’en ai vraiment aucune envie.

Je me sens tout à coup épiée. Je lève la tête, scrute l’assemblée et découvre Sissi qui me regarde de l’autre côté de la pièce en secouant la tête, un sourire en coin affiché sur le visage. Elle me connaît trop bien. Ça doit faire trop longtemps qu’on vit ensemble toutes les deux. On est en quelque sorte un vieux couple, mais sans les avantages en nature, quoi ! En tout cas, on se dispute comme un vrai couple… pour tout et n’importe quoi. Hier, c’était à cause de la poêle qu’elle avait laissée traîner dans l’évier sans mettre d’eau dedans, et ce soir, juste avant de partir, c’était pour la tenue que je porte. Mais, au fond, on s’aime ; je crois qu’on appelle ça l’amour vache. Enfin, vous l’aurez compris, tout est prétexte à chamailleries. Et dire que j’ai failli ne pas répondre à l’annonce quand elle est parue sur le tableau d’affichage de la fac ! Ça aurait été dommage… mais vu que je ne crois pas au hasard, c’est que nous devions nous rencontrer.

Cinq heures du matin, un verre à côté de chaque main, tous les protagonistes de cette scène absurde dorment. Même Sissi, qui a trouvé une place sur un canapé en cuir défraîchi. Et moi, j’ai réintégré le balcon déserté ; c’est quand même vachement haut un sixième étage… et si je rentrais ?

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