Les racines
Après deux bonnes minutes à expliquer à mes parents qu’aucun meurtrier pervers s’est installé chez moi et que je vérifiais toutes les demi-heures le verrouillage de la porte de ma chambre, je raccroche en essayant de me mettre à leur place. Ils s'étaient sentis impuissants face à ma détresse, alors aujourd'hui, ils veulent être présents au maximum. J'admire leur courage de m'avoir laissé partir faire mes études à plusieurs kilomètres d'eux. Ils ont toujours été un modèle de patience, d'indulgence et d'amour.
Jacques et Carole Mahé se sont rencontrés en 1966 lors d'un bal de la mairie d'Auch. À vingt ans, Jacques partait pour le Service National. Carole en avait dix-sept. Cinq ans plus tard, il la demandait en mariage. Ma mère est tombée enceinte à deux reprises, se soldant par une fausse couche et un bébé mort-né. En 1989, âgée de quarante ans, elle m'a porté puis mis au monde dans un bassin de la clinique. Un rêve de mon père, à vrai dire. Un désir soumis d'une insistance tel, qu'après une mûre réflexion, ma mère a fini par se ranger de son côté. Papa m'avait montré La Naissance de Vénus par Sandro Botticelli et me chuchotait que j'étais une vénusienne et qu'un grand avenir était tracé pour moi parce que, comme Aphrodite, j'étais née dans l'eau. Peut-être que la toile a suscité l'envie de cette naissance aquatique ? Ils ne me l'ont jamais confié.
Mes parents viennent d'un milieu modeste. Du côté paternel, notre arbre généalogique descend tout droit des Vénètes, située dans l'Armorique celte, au Nord-Ouest de la Gaule. Mon père a toujours été un manuel, apte à travailler le bois, la pierre. Doué aussi pour la peinture. C'est un artiste pour moi. De lui, j'ai hérité de ses yeux vert olive qui font la fierté familiale.
Pour ce qui est de ma mère aux origines irlandaises, ses cheveux blond clair et ses taches de rousseur lui ont toutefois valu d'être considérée comme l'une des plus belles filles d'Auch. Ses particularités physiques ont fait leur petit effet sur mon père. D'elle, j'ai hérité de ses cheveux, encore plus blonds que les siens, ainsi que de ses taches de rousseur, un peu moins accentuées et moins réparties sur le visage. Ma peau blanchâtre refuse de foncer pendant les longs étés bretons, un acquis de mes racines.
Puis, mes parents quittèrent Auch pour Lorient. Ma mère était chef au service culturel de la mairie, avant de partir à Belle-Ile-en-mer.
Aujourd'hui, à cause de leur maigre retraite, Papa retape de vieux meubles pour les vendre aux antiquaires. Quant à Maman, elle cultive leur potager pour y vendre fruits et légumes de saison.
Afin de ne pas leur causer de problèmes financiers, et bien que l'indemnisation du jugement m'a fortement aidé, j'ai opté tout de même pour une modeste chambre universitaire, grâce au Crous de Paris, nichée dans le quartier de l'Odéon. Un fond de tiroir de 17 m² avec bureau dans la Résidence Mazet, pour une somme de 400€ hors aides. Une occasion à ne pas manquer dans un premier temps.
Même si j'ai pensé vendre un de mes reins pour avoir l'honneur de loger dans cette chambre, j'y ai posé mes valises à la mi-septembre, après avoir passé des jours entiers à rassurer mes parents.
Je suis autant soucieuse qu'ils sont inquiets. Mon père a le cœur fragile depuis qu'il a subi un AVC à la suite du procès. Il est hors de question de prendre des risques pour aggraver son cas. C'est pourquoi je répondrai à leurs appels et leur donnerai des nouvelles chaque jour. C'est ma manière de les remercier pour avoir toujours été là pour moi, surtout dans les moments difficiles qu'on a surmontés ensemble.
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