L'interprétation
J'accours en fuyant sur les abords d'une rivière. Je transpire. J'anhèle. Une journée qui aurait dû être paisible, mais qui s'accentue de nuages au fur et à mesure que ma course m'entraîne de l'avant. Qui fuis-je ? Des larmes me coulent le long des joues. Mon cœur va exploser dans ma poitrine tellement je me force à ne pas m'arrêter. Toujours tout droit. Toujours plus vite. Pas un regard en arrière. J'entrevois au loin un pont et sens soudain que mon poursuiveur me rattrape. J'accélère jusqu'à parvenir sur l'aqueduc. Je trébuche, m'étale sur le béton, puis peine à me relever. Une ombre se place à contre-jour au-dessus de moi. Je recule, toujours au sol, râpant mes mains contre le bitume bouillant, pour m'en éloigner. Sans même réfléchir, ravagée par la peur, je me redresse d'un bond et enjambe la balustrade. La chute est longue. Très longue avant que je ne distingue le fleuve, soudain devenu clair...
— Charlie !
Iban me secoue afin de me réveiller. Les joues mouillées, le cœur battant, je me blottis contre lui, par sécurité, et il m'entoure de ses bras, caressant soigneusement ma chevelure ébouriffée par le sommeil agité.
— Tu ne te reposes jamais, toi ! Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Je me tiens instinctivement le crâne, souffrante.
— Ma migraine est insoutenable. Peux-tu me passer mes cachets sur le bureau s'il te plaît ?
Il se lève en se donnant du courage, pour marcher seulement deux mètres, en baillant bruyamment. Le visage de Bastien vient flotter devant moi et je soupire.
— J'ai embrassé Bastien, tout à l'heure, Iban, lancé-je d'un ton coupable.
— J'ai vu. Et ?
Il abrège en s'asseyant sur le bord du lit, me déposant la boîte de comprimés dans mes mains.
— Je ne suis pas attirée par ce genre de mecs, sportif et populaire, et là, j'ai agi comme une groupie en lui ayant donné facilement ce qu'il voulait... Je me déçois.
— Rien ne t'y oblige, tu sais ?
— Tout ça, à cause de l'alcool, m'admonesté-je en mettant une pastille sous ma langue.
— T'as bu qu'un verre.
Je lui montre deux doigts.
— Waouh ! Quelle folie ! Va falloir te calmer, ivrogne !
— Ouais, mais ça n'a pas une bonne influence sur mon comportement.
— Peut-être que l'alcool t'a fait ressortir ce quelque chose en toi qui avait envie de braver tes interdits.
Il fronce les sourcils puis ajoute :
— Je n'ai rien compris à ce que je viens de dire.
Le sourire en coin, j'admets qu'il est plus efficace qu'un doliprane.
— Mouais..., dis-je simplement en reposant ma tête sur mon oreiller, un bras sur mon front. Je crois que c'était une moi bourrée surtout.
— Tu dois refouler quelque chose, ce n'est pas possible autrement. Tu refuses d'avoir un petit ami, tu es horrifiée par ton corps... et quand tu bois, le voile de tes inhibitions se soulève. Il faut que tu acceptes... je ne sais pas... ce pourquoi tu te fais tant souffrir, finit-il par me confier. Et c'est pour ça que tu t'agitais comme une groupie devant les One Direction ?
— Non. Un drôle de rêve.
— Raconte-moi, j'adore les interpréter, s'enthousiasme-t-il en rebondissant sur mon lit. J'ai même un livre dessus.
— Ha ha ... non je n'y crois pas à ces conneries, assuré-je en massant mes tempes.
— Dis-moi. Et, on verra bien qui rira le dernier.
Je lui raconte. Puis il sort de ma chambre.
Deux minutes plus tard, il revient et s'installe à mes côtés, livre en main : L'interprétation des rêves.
— Ne lève pas tes yeux comme si j'étais fou ! bougonne-t-il, assis sur le rebord de mon lit. J'te signale que la seule cinglée ici, c'est toi.
— J'ai eu peur, c'est tout. J'ai simplement cru que c'était réel, et toi tu me sors carrément l'analyse du parfait psychologue, me moqué-je en frottant mes yeux.
— Il faut en comprendre l'interprétation, c'n'est pas sorcier.
— Je te répète : je n'y crois pas à ces choses-là.
— Bon, ta gueule et écoute. Par exemple, la rivière représente les instincts sexuels refoulés chez les jeunes personnes. Tiens tiens... le fantasme, le revoilà lui ! Bon.... Attends.... La chute, cherche-t-il dans le livre. Ah ! La chute dans l'eau, c'est... tu vas être submergée par des événements inattendus. Se faire courser veut dire que tu n'affrontes pas tes problèmes. L'ombre, quant à elle, annonce une rencontre prochaine, d'une personne à priori bénéfique pour ton avenir. Un changement radical.
Il lève son nez du livre pour me fixer :
— Solution : tu baises une bonne fois pour toutes, ça va déjà régler ton problème à crier comme un putois partout. Et t'attends ce prince charmant qui va t'aider à arrêter de m'emmerder en pleine nuit avec tes rêves. Est-ce clair ?
— Limpide, réponds-je avant d'éclater de rire.
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