Galerie Daniel Templon

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L'histoire de l'art est devenue bien plus attrayante que l'archéologie. Madame Cigliano est très pédagogue et son travail passionnant. En analysant l'esthétisme des œuvres présentées, je me suis plusieurs fois demandée si ces peintres avaient calculé tous ces messages subliminaux. Ou s'ils n'avaient pas, tout simplement, peint un paysage ou, une personne, et que nous, étudiants et enseignants, nous nous torturions à trouver absolument une signification.

En ce moment, j'apprends la perspective sur les tableaux anciens. Elle n'existe pas dans l'art médiéval. Au détriment d'un réalisme bafoué, les artistes mettent en scène des personnages régis par des symboles volontaires telles que leur taille déterminée par leur position dans la hiérarchie sociale ou religieuse respective ; les personnages les plus grands sont les plus importants dans l'échelle sociale - l'exemple du seigneur figurant plus grand que son serviteur. C'est ce que l'on appelle la perspective symbolique ou hiérarchique. Et on ne passe pas à côté de la signification catholique et aux codes influençables sur les Enfers et le Paradis céleste. C'est flagrant !

Par ailleurs, un personnage biblique a attiré mon attention : Ève. Figure de la tentation, dépourvue de justice divine et humaine, humiliée par tous ces hommes d'Église. Qu'a fait Adam ? Est-il intervenu ? Influençable. Faible. Le tentateur n'est-il pas autre que ce maudit serpent ? Adam ne pouvait-il pas protéger Ève et la soutenir ?

Au lieu de l'épauler, il a préféré prendre le pouvoir sur elle, la traitant ainsi comme le sexe inférieur. Bénéficiant d'une musculature bien plus avantageuse, il la soumet, l'interdisant de s'instruire, de se développer en société. Bonne qu'à faire le ménage, cuisiner, écarter les jambes, pondre des marmots, s'en occuper et surtout se taire. Adam détient le monopole de ce qui allait devenir le paradis terrestre.

Cependant, Ève ne reconnaîtra plus le Paradis. N'étaient-ils pas deux à avoir mangé le fruit défendu ? Si. Punie à être le souffre-douleur. Lorsque son père ne commandera plus sa vie, son frère prendrait le relais, puis son mari pour finir veuve et dirigée par son propre fils. Autant mettre au monde des filles ? Pas de chance, elle aura un vieil oncle ou un cousin éloigné infect pour s'occuper d'elle.

Depuis la nuit des Temps, je pense qu'il est difficile d'être Ève, les vieilles mœurs médiévales perdurent encore dans la mentalité patriarcale occidentale comme orientale au XXIème siècle. Je suppose qu'on nous laisse croire à une liberté, mais que celle-ci est remise en cause, critiquée. On pointe du doigt les dames qui sortent du rang et j'ai de l'admiration pour ces femmes qui décident de tout plaquer pour faire le tour du monde, coucher sans attaches. Celles qui placent leur vie professionnelle au premier plan, qui n'ont pas besoin d'un homme pour subvenir à leurs besoins. Qui n'en ont rien à faire d'être mariées, qui ne veulent pas être mères par choix. Je les vénère parce que je suis une trouillarde, timide, introvertie et incapable d'affronter mes problèmes. À ce jour, je n'ai aucune conviction de réussir et je ne sais pas encore quel chemin poursuivre.

14 novembre 2009

Un devoir doit être remis pour les partiels avant Noël, sur une exposition de notre choix. Je prends de l'avance afin de bien rédiger et me renseigner sur l'artiste et le mouvement artistique de ce dernier. Parmi une longue liste d'intervenants en art, je choisis l'expo sur Georges Segal, se déroulant actuellement à la galerie Daniel Templon. Mouvement pop-art des années soixante et soixante-dix, plusieurs galeristes rendent hommage au sculpteur américain décédé en 2000. Sous le froid pré-hivernal d'un samedi après-midi, je me rends à Saint-Germain-des-Près, dans le 3ème arrondissement de Paris. La galerie Daniel Templon est une galerie d'art contemporain fondée en 1966 par le galeriste et marchand d'art du même nom.

J'entre d'un pas hésitant. C'est un endroit bien trop élitiste pour moi et je ne sais comment me comporter face à une exposition de cette envergure, grandiose et impressionnante par sa structure muséologique, par ces œuvres dressées à nous intimider. C'est une voix féminine avec un accent supposé anglo-saxon qui m'interpelle :

— Mademoiselle, bonjour.

Je porte mon attention sur cette femme élégante et raffinée. De longs cheveux noirs bouclés lui tombent dans le dos. Son tailleur noir la met en valeur. Son visage doux est remonté de pommettes hautes. Des petits yeux aux regards tombants semble la rendre heureuse continuellement. Quant à sa posture, elle se distincte par sa démarche distinguée, perchée sur de hauts talons. Mes baskets et mon jeans troués séparent nos mondes. L'élégance face à la négligence.

— Bonjour Madame.

— Puis-je vous aider ?

— Oui, voilà, je suis étudiante en histoire de l'art à la Sorbonne et nous devons rendre un devoir. Votre galerie et votre exposition m'intéressent.

— Très bien. Je peux vous aider si vous le souhaitez, dit-elle avant un court silence. Connaissez-vous Georges Segal ?

J'aimerais m'enterrer six pieds sous terre.

— Très peu, avec mes propres moyens, mais nous n'en sommes pas encore sur l'art contemporain. C'est une raison pour laquelle, j'ai souhaité me lancer un défi.

Elle s'approche de moi, les mains jointes sur sa jupe crayon, un léger sourire placardé sur ses lèvres.

— Peut-être, alors, avez-vous entendu parler d'Andy Warhol ?

— Le cinéaste américain ?

— Oui, affirme-t-elle, amusée. Mais, aussi le précurseur du pop-art. Georges Segal est également un sculpteur renommé dans le mouvement.

— Je l'ignorais.

Ses yeux noirs brillent d'intelligence. Enfin, est-ce qu'on peut reconnaître un intellectuel simplement par le regard ? J'avais entendu dire que les yeux sont le miroir de l'âme.

— Est-ce votre vraie couleur de cheveux ?

J'ai un mouvement de recul. Je ne m'attendais pas à cette question... décalée.

— Euh... ou..oui, bégayé-je, interloquée.

— C'est rare, dit-elle avec un sourire éclatant. Souhaiteriez-vous effectuer une visite guidée par mes soins ?

— Euh... oui. Avec plaisir, dis-je, hébétée par ses remarques au sujet de ma chevelure.

La galerie est vide, sombre. Un halo de lumière éclaire les sculptures. Des scénographies de personnages dansants. Des pièces terreuses où gisent d'autres moulures semblent représenter le chaos.

La galeriste m'emmène dans chaque recoin de l'exposition et commente. Mon petit calepin en main, je retranscris ses propos.

— Les mises en scène de Segal sont conçues comme une réflexion sur l'individu et sa place dans la société du XXème siècle. Jouant sur l'accessibilité des espaces, il invite le spectateur à communiquer avec ses figures anonymes et immobiles. Sa technique de moulage par bandes de plâtre assemblées à même le corps lui permet de lever le voile sur sa force du geste et sa dimension poétique, sociale, érotique ou politique, m'explique-t-elle.

Le claquement de ses talons sur le parquet fait écho, accompagnant les représentations exposées devant mes yeux vers l'étrange. Elle continue sa visite et je m'attarde sur un petit écriteau près de la Nature Morte où est inscrit : « c'est vraiment si difficile de colorer une sculpture que j'ai rejeté la couleur pour le moment. Je travaille en noir, en blanc et en gris. Je regarde beaucoup du côté de Rembrandt. Je regarde les tableaux des maîtres anciens qui ont, en fait, une toile plane peinte comme par enchantement pour qu'elle ressemble à une sculpture en trois dimensions afin de voir ce qui se produit si je parviens à indiquer certains de ces clairs et de ces obscurs qui sont purement imaginaires. » Georges Segal, 1988, propos recueillis par Mark Livingston.

En relevant la tête, je me rends compte que mon guide s'est arrêté et me contemple, sourire aux lèvres.

— Cela ressemble beaucoup plus à des vestiges archéologiques. Je ne sais pas pourquoi, mais je vois les corps moulés de Pompéi, dis-je afin de ne pas laisser ce blanc entre nous.

— Vous avez l'œil. La scène est très poétique. Étrangement poétique venant de Georges Segal. Il n'a cessé de rendre hommage par influence pour des peintres tels que Courbet, Degas, Picasso ou Manet. Mais la compassion du sculpteur envers les marginaux de la société, les dépossédés, les pauvres, les anonymes, les ouvriers ou les maîtres artisans, ressort clairement de la rétrospective des sculptures pop. Le décor qui entoure ses personnages de plâtre amplifie leur sentiment d'impuissance et donne l'impression que ces gens ne sont que des accessoires d'une transe extra-terrestre.

— C'est impressionnant comme vos explications me donnent encore plus envie de m'intéresser à l'artiste.

— C'est mon travail d'amener les passionnés à comprendre les idéologies, pour ainsi les familiariser avec les artistes et les rapprocher de leurs œuvres. Nous vendons de l'art. Ne l'oublions pas.

— Lauren ? entends-je au fond de la salle.

Dans la pénombre, un métis, d'une carrure impressionnante et d'un raffinement certain, s'avance d'un pas assuré pour se joindre à nous.

— Pascal Durand, auctioneer, asks to see you, lui annonce-t-il.

Very well. Tell him I'll be his in a few minutes, Simon.

Fine, acquiesce-t-il avant de se tourner vers moi. Excusez-moi Mademoiselle, ajoute-t-il dans un français parfait.

Le galeriste s'arrête une fraction de seconde et rapidement je constate qu'il s'attarde sur moi, en détails... Je coupe court :

— Ce n'est rien, Monsieur.

Il hoche la tête en signe de salutation et prend le temps de filer vers l'entrée de la galerie. Son corps prend une place impressionnante dans la salle. La dénommée Lauren, dubitative, fronce les sourcils. Elle guette ce Simon puis, à mon tour, me fixe. J'ai comme l'impression qu'elle réfléchit :

— J'ai quelques petites questions sur vos connaissances, si vous souhaitez poursuivre avec moi sur votre devoir.

— Oui ?

— Bien. Ne voyez là aucune présomption ni aucune obligation...

Elle demeure un instant silencieuse.

— Connaissez-vous la date de la fondation de Rome ?

— Je crois me souvenir que c'est en 753 avant Jésus-Christ.

— Quel est le véritable nom de Constantin Ier ?

Je ne comprends pas très bien ce test mais me prête tout de même au jeu. La date, le lieu, le personnage. C'est ce que j'ai appris en histoire. C'est une devise que je me répète pour affilier les faits et les événements du passé. L'empereur Constantin Le Grand est romain et il a orienté l'empire vers une nouvelle religion, le christianisme. Comment s'appelait-il ?

— Ah ! Flavius Valerius Aurelius Constantinus, m'écrié-je, fière.

— Qui est la première femme de l'Humanité ?

— Je serais tentée de vous dire Ève mais d'après quelques traductions hébraïques dans l'Ancien Testament et de mythes mésopotamiens, Lilith serait la première femme d'Adam, non ?

Ses sourcils froncés laissent paraître des rides autour de ses yeux, esquissant un sourire.

— Excellent ! s'exclame-t-elle en me serrant la main. Si vous souhaitez plus d'informations et un coup de main pour votre devoir, repassez donc me voir à la galerie. Je vous aiderai volontiers. Demandez Mrs Smith, co-organisatrice de l'exposition Georges Segal. Je suis là encore pour un mois durant l'exposition avant de repartir pour Londres.

— Et bien, merci.

— Tenez ma carte.

Je la saisis.

— Je vous remercie, Madame.

— Comment vous appelez-vous ?

— Charlie Mahé.

— Enchantée, Mademoiselle Mahé. N'hésitez surtout pas. Nous pourrions faire du beau travail ensemble. À moins que vous ne vouliez pas connaître la science des symboles et les vérités qu'elle y occulte.

Je la considère, attentive, s'éloigner élégamment dans la même direction que son collègue. En retournant sa carte, je peux lire : Lauren Smith, art expert, Smith Art Gallery.

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