Jalousie éphémère

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Le soir de mes vingt ans, nous avons prévu avec Iban de les fêter dans l'appartement. Or, Bastien m'avait appelé pour proposer un repas chez lui afin qu'on finisse la soirée ensemble. Il s'est excusé de me prévenir à la dernière minute car il avait eu un devoir qui l'avait absorbé toute la journée. Après avoir insisté de réunir tout le monde, il décide d'apporter les pizzas, comme convenu, chez moi.

Toni est enfoncée dans le fauteuil, une main dans le dos de Clara, perchée sur l'accoudoir. Le couple s'était procuré du rosé et de la vodka. Les bouteilles sont restées fermées, en attendant patiemment l'arrivée de mon chéri. Pendant ce temps, nous nous débattions sur la possibilité de finir la soirée dans un club pour aller danser. C'est à ce moment que Bastien se pointe enfin, tout sourire, les mains chargées de notre festin.

— Pizzas ! s'écrie-t-il en ouvrant d'une main la porte d'entrée. Hey ! Il y a Woodstock qui saute partout dans le couloir, Sana a perdu les eaux.

Woodstock, de son vrai nom Mathieu, et Sana sont les voisins du troisième.

— Ah ! C'est ça le bruit ! Moi qui pensais qu'ils avaient adopté un p'tit porcinet, balance Iban en fourrant les cacahuètes dans sa bouche.

— Tête de con, va ! m'offusqué-je tandis que Clara lui jette un coussin en plein visage.

Bastien et Toni s'esclaffent. Un échange de regard malicieux avec Iban me suffit pour comprendre qu'il est fier de sa plaisanterie.

Je me lève en attrapant les cartons de pizzas pour les découper dans la cuisine. J'en profite pour déposer sur un plateau les verres à pied et shooters pour servir l'alcool fort. Un sourire en coin, j'écoute d'une oreille Iban se plaindre de l'odeur des pizzas, qui selon lui, pueraient des pieds et réprimander Bastien d'avoir oublié de commander une Reine. Iban adore les champignons !

Clara lui signifie qu'il n'a pas à rouspéter puisqu'il n'a rien fait. Ce dernier se plaint encore sur la végétarienne et la chèvre-miel, la meilleure des pizzas que le monde ait créées. Pour moi, c'est la base. Un goût exquis grâce au mélange du sucré et du salé. C'est la mienne, et je ne peux dissimuler mon rire face à ces futilités dont Iban en est le roi.

Le repas servi et les verres bien pleins, je m'installe à côté de Bastien sur le canapé face au ronchon à moustache, avachi dans le pouf. La main de mon copain se pose instinctivement sur ma cuisse et il se penche vers moi pour m'embrasser la tempe avant de s'allumer une cigarette.

À ce moment-là, le tintement d'un SMS se fait entendre dans sa poche. Il consulte son portable puis le remet.

— Tu ne réponds pas ? demandé-je en me levant pour reprendre une part de pizza.

— Non, dit-il en renfrognant son nez.

— Qui est-ce ? Gaël ? Camille ? Parce qu'on attend de leurs nouvelles.

— Ils nous rejoignent plus tard. Ils m'ont demandé si on sortait après.

— Ah ! Et tu ne réponds pas à ton frère ?

Confortablement installé sur le divan, je le surprends à blêmir faiblement. Sa jambe droite s'agite nerveusement. Toute la pièce se tait dans l'attente d'une réponse.

— Alors, qui est-ce ? répété-je tandis que la moutarde me monte au nez.

— Une vieille connaissance.

— Selena ? lâché-je impulsivement.

Il se tourne vivement vers moi, yeux écarquillés.

— Comment tu la connais ?

— À ton avis ? surenchérit Iban, le sourire vengeur, l'histoire de la Reine manquante encore en travers de la gorge.

— Camille a la langue bien pendue, poursuit Bastien, évitant mon regard, cigarette encore allumée.

— C'est mon amie. D'ailleurs, pour une personne qui ne l'apprécie pas, tu l'as bien sur Facebook !

— Pour mon frère. C'est pour lui que je fais ça. Dès qu'ils ne seront plus ensemble, je la vire, me jure-t-il. Cet imbécile est tombé amoureux.

Je reste bouche-bée, dégoûtée. Il l'a dit comme s'il pensait que l'amour est une faiblesse.

— Et c'est mal de s'éprendre d'une personne ?

— Pas de Camille.

— Je n'apprécie pas que tu parles d'elle comme ça, dis-je, froidement.

Il rejette sa fumée, mâchoire serrée.

— Tu vis dans un monde de bisounours, Charlie.

— Qu'est-ce que tu sais de ma vie, toi ?

Face à mon haussement de ton, Bastien reprend avec une voix plus calme, une pointe d'agacement :

— Qu'est-ce que tu veux savoir ?

— Pourquoi elle te harcèle, ta copine ? insisté-je, prête à percer le mystère.

— Elle n'a jamais supporté la rupture.

— Tu étais amoureux ?

— Attaché est plus approprié. Écoute, Lily, j'ai de la peine pour elle, de la pitié si tu préfères, m'assure-t-il en tirant une nouvelle taffe. C'est une fille qui a du mal à s'en sortir seule. Elle n'est pas comme toi. Toi, tu n'as besoin de personne.

— Ne me caresse pas dans le bon sens du poil, s'il te plaît ! Tu vas arrêter avec elle, tu m'as bien comprise là ? Tu me changes ce numéro.

— Non. J'ai envoyé plusieurs CV pour travailler dans une édition et tu le sais comme ça m'a pris du temps pour le faire. Je ne peux pas changer.

Il est vrai que ça fait depuis deux mois qu'il cherche désespérément un stage en maison d'éditions.

— Donc, tu vas la laisser continuer à t'emmerder, ou te monter le bourrichon contre moi ? Parce qu'une ex ça fait ce genre de conneries.

— Si elle avait réussi, ma Lily, je ne serais pas là avec toi à t'amener une pizza pour ensuite dîner avec tes amis. Alors arrête s'il te plaît. Qui plus est, on se donne en spectacle.

Je balaye du regard le reste de l'équipe. Je me sens soudain humiliée par avoir laver mon linge sale en public. Hormis Clara qui semble gênée, Toni et Iban continue de manger tranquillement en suivant le fil de notre dispute.

— Non, mais ça ne nous dérange pas. Ça nous donne un divertissement, on n'a pas allumé la télé encore, lance Iban excité et curieux.

— J'ai une idée ! Est-ce que ça vous dit si ce soir, je vous emmène dans un club qui ré-ouvre ses portes ? Ils ont restauré tout l'intérieur, c'est un vieil hôtel qui daterait depuis des siècles, change de sujet Bastien. Le Carmen. Le patron, c'est mon oncle. Qu'est-ce que vous en dites ?

Tout le monde s'exalte, sauf moi. Il me demande tout bas en caressant l'un de mes bras :

— S'il te plaît, viens, arrête de bouder.

Pour répondre, je tourne la tête, les yeux mi-clos, et nez pincé. Je ne veux pas qu'il m'invite dans un club, j'aimerais que pour une fois, il me dise « oui, je vais mettre un terme à ça et je vais changer de numéro ». Ce n'est pas si compliqué ?

— Lily, ma chérie, continue-t-il avec sa voix suave, en me posant un bisou sur l'épaule. Dis oui, et je change de numéro pour toi. Je renvoie tous les CV, une deuxième fois. Puis ça fait aussi le gars qui en veut vraiment ! Ce n'est pas plus mal.

Je ne le dévisage pas mais jette un œil à ses jambes et à ses pieds. L'authenticité vient de ces parties du corps, car les mains ou les expressions faciales peuvent être contrôlées par certaines personnes. Rien ne me montre qu'il me ment, mais je reste sur mes gardes. Ce dont je suis sûre, c'est que Bastien m'aime. Et rien que pour ça, je dois lui faire confiance. Ne m'a-t-il pas dit sans ciller ce qui se passe avec Selena ? Je culpabilise de lui avoir fait une scène devant tout le monde.

— D'accord, si demain tu changes de numéro, tape dans la main. Une promesse est une promesse, dis-je en lui tendant la paume.

Il tape dans ma main et me tire vers lui.

— Et j'aurais droit à une récompense ? me susurre-t-il à l'oreille.

— On n'est pas récompensé pour faire tenir son couple, chéri, lui réponds-je.

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