Chez Lisa & Filles
Dans le quartier du marais, près de la Place de la République, la rue Commines loge diverses galeries d'art pour lesquelles je tarde un peu devant les vitrines, quelques gouttes continuent de tomber. Depuis l'obtention de son diplôme en juillet, Iban avait décroché ce poste de vendeur en décoration intérieure chez Lisa & Filles. Cette boutique, tenue par une architecte d'intérieure, a été lancé grâce à ses nombreux voyages à travers le monde et l'accomplissement d'une passion au fil des années en côtoyant différentes cultures. Le magasin en a pour tous les goûts, de la botanique japonaise aux tissus mexicains. De l'ambiance hygge typique des pays scandinaves aux mobiliers africains. Elizabeth, la grande boss, a donné la responsabilité de l'entreprise à sa fille, Chloé. Une jeune femme un peu trop sexy pour venir travailler. Je me demande presque si parfois elle n'aguicherait pas Iban.
Devant la porte d'entrée, aucun client n'a l'air d'errer dans les lieux car le petit moustachu, avachi derrière sa caisse, est en train de bailler aux corneilles.
Dès l'instant où la sonnette tinte annonçant ma visite, il se redresse comme si la Gestapo venait l'interroger. Quand il m'aperçoit, il souffle de soulagement et s'avachit de nouveau en croquant ses cacahuètes. Il secoue la tête tout en me lorgnant du coin de l'œil :
— J'ai cru que c'était Chloé, tu m'as fichu une trouille bleue !
Il regarde sa montre et me demande, alors, tandis que je dépose mon chapeau sur sa caisse et jette mon sac au sol :
— On peut savoir ce que tu fous à cette heure-ci à mon boulot alors que tu devrais être en cours ? J'aime passionnément ta compagnie mais je les préfère plus poilus sur le torse et moins sur la tête.
Je m'effondre dos contre son réceptacle, les yeux dans le vide et il faufile sa tête par-dessus :
— Le cours de symbologie a été annulé ? Ta proviseure sait que tu as couché avec James ? Camille a su aligner trois mots avec nom, verbe et complément d'objet direct ?
— James a sauté Constance Malagret.
Iban ne pipe mots durant quelques secondes et ses pas se dirigent vers moi, à pas lents. Je lève les yeux vers lui.
— Répète un peu, dit-il, simplement.
— Samedi soir, James a passé la nuit chez elle et ils ont couché ensemble, dis-je d'une voix saccadée.
— Oh mais c'est un pauvre type ! Puis veuf depuis peu, essaye-t-il de me rassurer. De surcroît, tu l'as largué comme une vieille merde, quand même. T'as cru qu'il allait faire vœu de chasteté ou quoi ? Non mais est-ce que tu as vu le morceau que c'est ! ajoute-t-il.
Il tousse.
— Enfin, t'as compris ce que je voulais dire.
Une pointe de jalousie m'empêche d'être objective sur son veuvage et sur notre « rupture », qui pour moi, était commun accord. J'avais pensé que j'allais être l'unique femme avec qui il eut un coup de foudre. Je me suis bien fourvoyée sur ce James Taylor, galeriste à Londres.
— Mais qu'est-ce qui lui trouve tous à cette face de grenouille desséchée ? Bastien, James, Lombardi, même Rocha, je crois, l'année dernière. Serais-tu le seul qui ne t'es pas rabaissé ainsi ?
— Pardon de te décevoir mais... j'ai aussi couché avec Constance.
Sans réaction, je bloque sur mon colocataire. L'homosexuel aux idées loufoques.
— Hein ? C'est-à-dire ? Tu as partagé son lit ? Je ne comprends pas très bien ta langue.
Il hoche la tête, désespéré.
— Tu as bien entendu. Constance et moi, nous étions dans le même collège et elle est ma première ET dernière petite amie.
Je me relève si vite que j'en ai la tête qui tourne. Une migraine ne va pas tarder.
— De quoi tu me parles ?
— Hé ! À quinze ans, je me cherchais encore, puis Constance et moi, on aimait les mêmes pratiques sexuelles...enfin...surtout une.
— Ce n'est pas possible, tu me fais marcher là ? Elle est homophobe et elle te déteste.
— Bien sûr qu'elle me hait, lors d'une soirée chez elle, je me suis fait son cousin. C'est là que j'ai compris que les hommes m'attiraient. Donc, je l'ai largué pour cette raison. Elle n'est pas homophobe. Elle était amoureuse et je lui ai brisé le cœur.
Les yeux fermés, je me masse les tempes. Il y a un peu trop de dossiers sur cette fille-là aujourd'hui.
— Et tu comptais me le raconter quand ?
— Dès que tu aurais une histoire délectable. J'ai toujours aimé patienter pour prendre mon pied et ta tête est un orgasme pour moi.
— Mais, comme tu me déçois ! Plus que James !
— Et bien voilà, je t'ai fait oublier cette histoire.
— Merde ! Iban. Je dois être sur sa longue liste de femmes d'un soir, en rien, lui et moi, ça a été exclusif et passionnel. Il n'y a que moi que cela a marqué.
— Tu peines à le montrer, en tout cas. Ecoute, tu n'as qu'à lui parler.
— Non, merci. Je ne veux pas me rabaisser à ramper à ses pieds.
— Alors, qu'est-ce que tu veux que je fasse, moi ? Tu ne souhaites pas qu'il couche ailleurs et tu ne veux pas revenir vers lui. T'es compliquée toi aussi !
Des larmes commencent à me monter aux yeux et je me jette dans les bras d'Iban, qui se radoucit.
— Je peux être l'homme de ta vie, si tu veux bien de moi ? Mais faudra que tu acceptes mon côté volage. J'accepte volontiers que tu me sois infidèle aussi... si tu partages le butin.
Je ris en reniflant.
— Tu es déjà l'homme de ma vie, imbécile, lui annoncé-je en lui caressant le dos, sans me détacher de lui.
— D'ailleurs, j'ai préparé des amuse-gueules pour ce soir, ne serais-je pas le meilleur des amants ?
— Quoi, comme amuse-gueules ?
— Des chips et des pistaches, dit-il, sérieusement.
J'éclate de rire et lui administre une calotte derrière la tête avant de chercher un mouchoir dans mon sac, toujours vautré contre la caisse.
La porte de la boutique s'ouvre et j'aperçois les jambes impeccables jonchées sur des talons aiguilles noir, de Chloé.
— Mademoiselle Goldberg, salue Iban, au garde à vous.
— Ah ! Je vois que votre petite amie s'intéresse à notre boutique, lâche-t-elle en se raidissant.
Sac à l'épaule, j'allais rétorquer lorsqu'Iban m'interrompt :
— Elle s'en allait.
Il se retourne vers moi et m'embrasse... sur la bouche.
— On se voit tout à l'heure, chérie ? dit-il, avec des yeux ronds, puis me chuchote entre ses dents :
— Elle n'arrête pas de me draguer.
Je hoche la tête pour lui signaler que j'avais compris la petite mise en scène.
— Iban, oublie-moi, je viens de te le dire tout est fini entre nous, certifié-je, bien fort.
Je pimente en m'adressant à sa patronne :
— Il est libre comme l'air, maintenant. Vous ne me verrez plus ici. Au plaisir !
Je claque la porte, me retourne et découvre un Iban perdre tous ses moyens. Derrière le dos de Chloé, il fait mine de vouloir m'étriper. Sourire satisfait, je lui envoie un baiser.
En sortant, je réfléchis à ce que vient de me dire Iban. Ai-je envie qu’il soit avec moi si je suis jalouse de ses relations sexuelles ? Il est indéniable à l’heure actuelle que je laisse gagner Constance, et de manière à me démarquer, je vais prouver à James qu’il a loupé la chance de sa vie. L’obsession n’a jamais fait partie de son vocabulaire ? Ni de ses qualités ni de ses défauts ? M’a-t-il traité comme la dernière des traînées en me comparant à toutes les femmes qu’il a pu baisées depuis sa venue à Paris ? A mon tour de jouer ma partie.
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