Marie-Madeleine [1/2]
— Rousse, Monsieur Taylor ! Non mais vraiment ! Merci le symbole de la femme objet, hein ? Le roux flamboyant de la convoitise ! C'est aberrant que vous puissiez faire cours sur ce genre de peinture à la noix ! D'un vieux bougre qui calomniait Marie-Madeleine !
— Mademoiselle Mahé…
— Sincèrement, dans ces peintures de vieux cons, Ève est sans cesse la tentatrice. Réduite à être le malheur de toute l'humanité et Marie-Madeleine, traitée comme une prostituée !
— Charlie, Charlie..., murmure James en me faisant signe de baisser d'un ton.
— En aucun cas, je vous laisserais dire ce genre d'imbécillités ! Même grand expert que vous êtes ! le fustigé-je en le montrant du doigt.
— M. Taylor ? appelle Mme Cigliano qui venait de se poster près de lui.
Alors que James rejoint le secrétaire de Mme la proviseure, je tourne les talons et fulmine encore sur ce cours.
Parce qu'étrangement, je suis restée bouche bée devant l'interprétation du tableau de Jules Lefebvre sur Marie-Madeleine, sans savoir comment l'analyser. Aurais-je dû extérioriser ma pensée, un poil féministe ? Je me suis tue. Pour la première fois.
D'après l'expert en symbologie, la rousseur de Marie-Madeleine serait donc une iconographie purement volontaire.
Depuis des siècles, la femme est perçue comme un objet de convoitise, et ce n'est pas un cas à part dans la peinture, représentée comme un être faible, chétif et obéissante envers les hommes.
La couleur rousse fait référence de façon très claire aux pulsions sexuelles, et beaucoup de prostituées sont représentées de cette couleur. Quoi de plus normal, alors, que de représenter une Marie-Madeleine à la chevelure de feu, non ? Grotesque. Sachant qu'elle venait d'Orient, je doute fort à ce cas de figure.
Bien que ce tableau face à nous, durant ce cours, ait été très beau - là n'est pas la question, mon avis reste mitigé. Certes, en sortant, j'en ai voulu à James de réitérer cette allégorie comparative entre la rousseur et la prostituée. Surtout d'un personnage biblique le plus controversé de l'histoire du christianisme !
Pourtant, un autre point m'a déçu dans ce cours et je compte bien lui en faire part.
Une demi-heure après, l'air désorienté, il descend les marches en marbre et je m'avance vers lui en suivant ses pas :
— Le péché originel n'a pas été abordé, j'en suis déçue. J'avais tellement envie de vous entendre en parler. Il y a tant de chose à dire sur la Genèse et sur le fruit défendu, non ? De cette pauvre Ève réduite à être tenue responsable de la destruction humaine et par ailleurs, à Marie-Madeleine, n'est-ce pas ?
Il lève les yeux vers moi, un sourire discret.
— Apparemment, c'est toi qui aimerais en parler, dit-il en jetant des regards autour de lui, afin de ne pas être surpris à me tutoyer.
— Bien sûr ! Deux femmes dans la Bible sont ainsi reléguées à des rangs inférieurs, que ce soit de la prostitution, de la destruction de l'humanité ou du péché. C'est franchement agaçant, expliqué-je, toujours en rogne. J'aurais dû m'étendre sur le sujet tout à l'heure mais...
Je m'interromps. En fait, je ne voulais pas le mettre mal à l'aise ou me disputer avec lui devant toute la classe de TD.
Il continue à marcher plus lentement et attends sagement que je reprenne.
— Connais-tu le mythe du Saint-Graal, James ?
— Du réceptacle ? demande-t-il en haussant les sourcils, yeux rivés au sol. Du calice qui contenait les promesses du millénium ? Le San graal de la légende médiévale ? Ou de Marie-Madeleine ?
J'arrête le pas pour le dévisager, admirative. Il m'imite et remonte ses lunettes :
— C'est bien d'elle que tu veux parler ?
— Comment le sais-tu ?
— Ta crise d'hystérie à la sortie du cours, dans le couloir, conclut-il en reprenant le chemin du métro.
— C'est justifié, contesté-je.
— Si tu le dis.
Ses réponses brèves m'agacent et je lève les yeux au ciel.
Nous tournons à droite rue d'Assas en sortant de l'Institut d'Art et d'Archéologie.
— Sais-tu ce que divulgue Dan Brown dans le Da Vinci Code ?
— J'ai une idée, oui.
— Le Graal est littéralement l'ancien symbole de la féminité et le St-Graal représente le féminin sacré et la déesse qui, bien sûr, a disparu de nos jours, car l'Église l'a éliminée. Autrefois, le pouvoir des femmes et leur capacité à donner la vie était quelque chose de sacré, mais cela constituait une menace pour la montée de l'Église majoritairement masculine. Par conséquent, le féminin sacré fut diabolisé et considéré comme hérésie. Ce n'est pas Dieu, mais l'homme qui créa le concept du « péché originel », selon lequel Ève goûta la pomme et fut à l'origine de la chute de la race humaine. La femme qui fut sacrée, celle qui donnait la vie, fut transformée en ennemi.
— Je rejoins l'historien, sur la déesse-mère des premiers hommes qui adulaient les femmes, avant même que les religions monothéistes existent. Mais, avons-nous les preuves de la liaison du Graal et de la femme sacrée ?
— Tu n'y crois pas ? me renseigné-je, impatiente de savoir son avis.
— Je ne réfute pas l'hypothèse. Beaucoup racontaient que Jésus, descendant messianique de David, et de Marie de Béthanie, descendante du premier roi d'Israël, Saül, auraient été unis par un mariage dynastique secret. Mais, cela reste encore une porte ouverte aux suppositions.
— Sans doute pour protéger la lignée royale, les Templiers aurait veillé à ce que les Romains et les tétrarques hérodiens n'aient pas vent de cette union. Après la Crucifixion, les rares personnes qui connaissaient leur identité, se seraient données pour mission sacrée la protection de l'épouse de Jésus...
— Tu ne fais que reporter ce que Dan Brown propose dans une fiction.
— Et toi, tu ne t'es jamais posé la question ? À vrai dire, ce qui est drôle, c'est que tu es une sorte de Robert Langdon, ricané-je. Tu devrais au moins honorer ceci !
En secouant la tête, il explose de rire.
Nous avons tourné sur la rue Notre-Dame-Des-Champs tentant de débattre l'un à côté de l'autre, tandis que des passants nous coupent parfois la parole en s'immisçant entre nous.
— Donc, tu dis qu'il n'y a aucune preuve ? reprenné-je.
— L'évangile selon Philippe ?
— Ah ! Tu vois qu'il y en a !
— Preuves de dires soi-disant évangiles écrits par la main de l'Homme ?
— Es-tu à ce point sceptique ?
— Non, pas sceptique. Je n'ai pas reçu don de Foi et je m'attarde sur des faits historiques. Ainsi, j'évite de rentrer dans des théories complotistes, m'admoneste-t-il, une main levée. Le jour où je pourrai lire la bibliothèque du Vatican, là, je pourrai poser un avis concret.
Nous sommes au Boulevard Raspail pour récupérer la ligne 12.
— Écoute, je ne dis pas que ce n'est pas possible, que cela est faux et que les nombreux théoriciens de Marie-Madeleine sont dans le tort. Mais cela reste une hypothèse comme la théorie de Darwin et de l'évolution, la légende du roi Arthur. Une théorie reste une théorie.
— Pourtant, on nous apprend l'évolution dès l'entrée à l'école.
— Tu as raison. On ne devrait pas l'étudier comme une certitude de notre Histoire. Je suis bien d'accord.
— Alors que sais-tu de l'évangile de Philippe ? demandé-je, revenant sur le sujet initial, après que l'on ait dévalé les escaliers pour se positionner sur le quai du métro.
— Seulement que Marie-Madeleine était intime ou du moins proche de Jésus. L'évangile selon Philippe dit « Ils étaient trois qui accompagnaient toujours le Seigneur : Marie, sa mère, sa sœur, et Madeleine, celle qui est appelée sa compagne. » Marie Madeleine jouissait une présence particulière au sein de la communauté des croyants.
Les portes s'ouvrent et nous nous accrochons tous les deux à la barre du métro, face à face.
— Elle aurait attisée la jalousie des apôtres ? m'intéressé-je.
— Selon cet évangile gnostique retrouvé à Nag Hammadi, oui, affirme-t-il avant de poser ses yeux sur mes lèvres. Apparemment, elle l'embrassait sur la bouche.
Il fait soudain très chaud dans le wagon et le métro prend un virage serré. Perdant l'équilibre, je bascule sur James et celui-ci me rattrape par le coude :
— Attention ! Tiens-toi à moi, si tu veux.
— C'est gentil, réponds-je en m'accrochant à son bras, trop absorbée par la discussion pour pouvoir m'attarder sur ce rapprochement. Et, selon Marc, la Magdaléenne, avait un statut de Première Dame ?
— Selon Marc.
Le métro s'arrête à nouveau et cette fois-ci, je m'agrippe bien à lui, une main posée sur son torse. Je lève les yeux vers lui et il me sourit.
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