“L'amour est un phénix qu'on ne prend pas au piège.”
“L'amour est un phénix qu'on ne prend pas au piège."
Erasme
Campus de l'université de Columbia - Décembre
Il me regarde.
Ambiance électrique d'une fête étudiante quelconque. L'alcool coule à flot, je suis d'ailleurs déjà bien imbibée. On est tous là pour oublier, les examens de fin de semestre sont terminés. L'ambiance a des allures de début de Spring Break. Ce n'est pas le Spring Break, c'est l'hiver, les congés de Noël. Noël. Je ne sais pas ce que je fais cet hiver d'ailleurs. Je ne prévois jamais rien. J'irais peut-être voir Mei Ling en France. On se disputera, elle ne me comprend plus depuis que j'ai eu ma bourse et que je suis partie aux États Unis. Ioannis nous regardera, avec son regard benêt et béat, comme à chaque fois qu'il regarde Mei. Je trouve ça particulièrement tarte. Lui, je le trouve un peu simplet. Elle persifle dès que j'émets cette opinion. Elle, elle dit que c'est son armure contre tout ça. Ne rien prendre au sérieux. « Toi, tu brules bien la vie par les deux bouts. La dernière fois que Nathanaël a dû aller te chercher, tu avais plus d'un gramme d'alcool dans le sang et tu n'avais pas fumé que du tabac ». Et on s'est encore disputé. Moi, je crie. Elle, elle ne hausse jamais le ton, jamais. Elle se contente d'être incisive, froide, un vrai glaçon. Dire que c'est elle qui est la plus jeune.
Il me regarde
Frisson. Il me fixe, je l’ignore, je fais semblant de l’ignorer. Est-ce qu’il le sait ? Il le sait surement. Mes doigts me brûlent, une petite voix dans ma tête me susurre « Tu vas mourir, Yi. Tu n’as pas le temps de t’accrocher. Tu dois passer par-dessus les choses pour en faire le plus possible et ne rien manquer.» Mes doigts me brûlent, ils vont s’enflammer. Ça arrive ,des fois, quand je ne fais pas attention. Je fais toujours très attention en public. En privé, c’est plus aléatoire, notamment quand je suis chargée, quand je veux oublier. Les diverses auréoles de brulé qui maculent le bureau de ma chambre étudiante en sont la preuve. Nathanaël a vu ,un jour, Nathanaël voit tout. Il a juste froncé les sourcils, il n’a rien relevé, rien jugé. C’est un vrai ami, Nath, un meilleur ami. Un sur qui on peut toujours compter, même si des fois, il est gonflant avec son sens de justice aigu des fois. Une épaule sur laquelle on peut pleurer sans gêne ni remords parce qu'on sait qu'il ne dira rien, à personne, muet comme une tombe à secret.
Il me regarde
Jamais deux fois. Jamais deux fois la même personne. Je n'ai pas le temps, je mourrai jeune, forcément, c'est comme ça, c'est dans les gènes, c'est mon destin, je me consume déjà, au sens propre. Ils veulent ma mort, ils y arriveront, ils sont partout. Alors, je dois vivre vite. Et personne ne peut comprendre, pas même toi qui me fixe encore de tes prunelles sombres, de ton regard un peu sévère. Tu es un soldat, y compris en dehors du service. Un vrai marin, c'était ta vocation visiblement. Ton corps est droit, le mien est agile, elastique presque. La raideur d'un militaire au garde à vous, tu me semblais plus flexible, plus agile pourtant. Ton regard me transperce de part en part, ton esprit n'est pas ici, il est ailleurs. A quoi penses-tu? Penses-tu à cette nuit ? A nôtre nuit? Quel souvenir en as-tu de cette nuit ? Te souviens tu de moi comme d'une étudiante en droit comme moi je me souviens de ton métier ?
J’ai mal
Arrête de me regarder, tu me fais mal. Je te fuis autant que j'ai envie de me perdre dans tes bras, de me blottir contre ton torse. Pour quelque chose qui n'est pas physique, pas que physique. Autre chose à laquelle je n'ai pas le droit. Alors, j'essaie de t'ignorer, je danse dans la foule, je veux disparaitre et j'y arrive, je me fonds dans la foule. Je suis invisible à leurs yeux. Sauf aux tiens.
Ça y est. Je pleure.
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