Chapitre 3  Ninja, Prémisse d’une nuit d’été (T)

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Je regarde onduler la jolie rousse devant moi encore un moment. Je dois faire une drôle de tête parce qu’elle s’arrête soudainement de danser, comme si l’on jouait à "un, deux, trois, soleil". Ses yeux croisent une fois de plus les miens et je plonge dans son regard bleu comme dans l’eau pure du lac.


Elle me sourit, l'air un peu gêné. Elle presse le bouton stop du walkman, retire le casque de ses oreilles et me le tend précautionneusement.


- Excuse-moi, je me suis laissée emporter, ajoute-t-elle en rougissant à son tour.


Ah tiens, je ne suis plus le seul ! Du coup, je me sens un peu moins bête et reprends la main.


- Tu t’appropries souvent les affaires des autres comme ça ? lui dis-je avec un sourire taquin.


Elle rougit de plus belle.


- Pardon, j’ai manqué de délicatesse. En fait, ton lecteur de cassettes a été pour moi comme la madeleine de Proust et…


Je ne la laisse pas finir sa phrase, la plaisanterie a assez duré. Pas besoin de passe d’armes verbales. Pas besoin de jouer à celui qui met l’autre le plus mal à l’aise. Pas avec elle ! Je ne peux pas dire pourquoi, mais avec elle, pas besoin.


- Non, c’est rien, t’inquiète pas, je suis content que ça t’ait fait plaisir.

"Marina !" me dit-elle en me tendant la main pour se présenter.

Ah ! Bon ! Me voilà bien embêté. Qu’est-ce que je lui réponds ? Est-ce qu’elle m’a reconnu ? Quentin ou Allan ? Ben oui, c’est peut-être con, mais quand tu es dans une situation comme la mienne, eh bien tu finis par ne plus savoir. Est-ce que c’est encore une groupie qui m’a reconnu comme Allan Ientulqev, le célèbre plasticien des pays de l’Est (pseudo qui me sert de couverture quand je vends mes œuvres d’art), ou est-ce qu’elle n’a aucune idée de qui je suis et je peux me permettre d’être seulement moi ? Normalement, je me grime un peu lorsque j'endosse le personnage, donc elle ne devrait pas savoir, mais on n'est pas dans Hannah Montana : une perruque et personne ne te reconnaît. Alors moi, avec ma petite moustache style Arsène Lupin et mes lunettes rondes fumées à la John Lennon, on a vite fait de me reconnaître. Je tente donc d’en savoir un peu plus.


- Enchanté, Marina. Est-ce qu’on se connaît ?


Elle secoue sa magnifique chevelure cuivrée.


- Non, pourquoi ? On s’est déjà rencontrés ?


Je souris.


- Non, je ne crois pas, mais parfois, une impression de déjà-vu…


Je lui réponds le plus tranquillement du monde en espérant qu’elle ne tique pas sur l’incongruité de la question.


Et elle n’ajoute rien, tant mieux !


- Et donc, Marina, tu es d’Annecy ou seulement en vacances ici ?

Elle sourit, bing, je fonds ! Enfin, je devrais peut-être dire plouf, je fonds ; j’ai rarement vu quelque chose fondre en faisant bing.


- Oui, vacances, seulement pour quelques jours, après je repars. Et toi ?


- Pareil, une courte visite. J’ai un petit truc prévu puis je rentre chez moi. Je ne rentre délibérément pas dans les détails. Moins elle en saura, mieux ce sera, même si je sens une connexion entre nous, je ne la connais absolument pas !


- Et du coup, ton prénom ? Parce que tu ne m’as toujours pas dit, ajoute-t-elle avec un petit air malicieux.


- Quentin, et je lui tends la main de façon très officielle.


- Enchantée, Quentin,

dit-elle en prenant la mienne.


Le contact de sa peau me fait vibrer une nouvelle fois. Je ne me lasse pas de cette sensation. C’est doux, c’est chaud, c’est accueillant comme un nid d’oiseau. On reste un moment comme ça à se regarder dans les yeux, elle ne semble pas avoir plus envie que moi de lâcher ma main. Pourtant, il faut bien s’y résoudre ; du coin de l’œil, j’aperçois un gamin qui nous fixe étrangement, il doit se demander à quoi on joue.


On a passé un bon moment à discuter de tout et de rien, dans une bonne humeur partagée. Quelques phrases banales, et d’autres beaucoup moins, pour se connaître plus précisément. Elle est prof de français, lettres classiques : latin, grec. Je ne savais même pas qu’il y avait plusieurs types de profs de français. Eh bien, elle fait partie de la catégorie des langues anciennes. C’est cool, j’adore ça ! J’ai toujours eu une attirance pour les vieilles langues.


Quand j’étais petit, j’ai essayé d’apprendre le latin tout seul, peine perdue évidemment ! C’est déjà compliqué avec un prof, alors seul… Surtout qu'à cette époque, on n’avait pas internet dans la poche et les applications pour t’aider ! Autre truc marrant, elle est du sud-est de la France, comme moi ! Enfin, un peu plus au sud que moi ! Elle est brillante, elle a l’air de connaître plein de trucs. Tu discutes avec elle, et paf, elle te sort une citation d’un grand auteur, comme ça, un truc qui colle pile à ce que l’on était en train de dire. C’est grisant ! Et en plus, elle est marrante. Elle s'émerveille de tout, de la lumière du soleil sur les vaguelettes du lac, du bruissement des feuilles quand le vent passe au travers, elle est pétillante ! Je vous promets, cette fille, c’est Marina Joie et Bonheur ! Et c’est comme ça que je vais l’appeler. En même temps, elle ne m’a pas dit son nom de famille. Exprès ou pas, je ne saurais dire, mais elle n’a jamais répondu à la question.


- Quentin, me dit-elle au bout d’un moment, avec un petit air gêné, tu accepterais de m’accompagner à une soirée un peu… huppée ?


- Oui, bien sûr, dis-je plein d’entrain et heureux qu’elle veuille bien me revoir. Quand ça ?


- Ce soir.


Ah non ! Pas ce soir ! Quelle guigne ! Une superbe fille, hyper intéressante, sympa, gentille me demande d’aller dans une soirée avec elle et moi, je me suis engagé pour la soirée de Dimitri Williams ! J’avoue que l’envie d'annuler me titille véritablement ! Je pourrais prétexter une gastro ou une autre maladie de dernière minute, mais non, impossible, je dois être à cette soirée, il le faut, je n’aurai pas d’autre occasion avant un bon moment. Je ne peux pas faire l’impasse !


- Je suis vraiment désolé, Marina. Ce soir, j’ai un engagement important que je ne peux pas annuler.


Elle me regarde avec une pointe de déception dans les yeux, mais sourit malgré tout.


- C'est pas grave, une autre fois peut-être.


- Oui, avec plaisir. Vraiment, je suis désolé.


On échange encore quelques mots avant de se séparer, chacun partant de son côté avec des sentiments mitigés. Je ne peux m’empêcher de penser à ce qui aurait pu être, tout en espérant avoir une autre chance avec Marina Joie et Bonheur.

Et puis, impossible de lui dire de venir avec moi maintenant que je lui ai dit que je m’appelle Quentin ! Et ensuite, comment pourrais-je faire ce que je veux y faire si elle est à mes côtés ? Et puis, je ne suis pas certain qu’elle apprécierait ce que je vais faire !


- Ah non, mince, impossible ce soir, je dois voir ma grand-tante. Elle m’a préparé un dîner spécial, et je ne peux pas lui faire faux bond, mais peut-être qu’on pourrait reporter à demain ?" Je prends ma mine la plus suppliante, en espérant qu’elle ne se braque pas.


Elle fait la moue, je sens bien que ça la contrarie.


- J’aurais bien voulu, dit-elle, "mais ça sera impossible, je dois repartir obligatoirement demain. Pourtant, je te promets que j’aurais bien voulu. Tu ne peux pas inventer une excuse pour ce soir ? Une gastro subite ?"


Non, mais elle lit dans les pensées ou quoi ? Il va falloir que je fasse attention à ce que je pense !


Puis elle se ravise.


- Non, désolé, excuse-moi, laisse tomber, je suis égoïste de demander ça, va voir ta tante. Ça sera peut-être pour une autre fois, qui sait, le destin nous fera peut-être nous recroiser.


Sur ces mots, elle attrape ses affaires, se lève d’un bond et s’éloigne rapidement.


- Marina, attends, donne-moi au moins ton numéro de téléphone !


Elle me sourit, l’air triste, puis une lueur semble s'allumer lorsque je lui tends mon téléphone pour qu’elle y entre ses coordonnées. Elle tapote sur l'écran, me le tend, je baisse les yeux pour lire son nom, et lorsque je remonte la tête pour lui parler… disparue ! Marina Declair... Le nom résonne dans ma tête alors que je scrute la plage bondée à la recherche de cette énigmatique jeune femme. Mais elle semble avoir disparu aussi subitement qu'elle est apparue. Une sensation étrange m'envahit, comme si cette rencontre n'avait été qu'un rêve fugace.


Je ne peux m'empêcher de me demander qui est réellement cette fille. Une ninja, peut-être, capable de disparaître sans laisser de trace ? Ou simplement une rencontre fortuite, destinée à rester un mystère dans le cours de ma vie ?


Je sens mon téléphone vibrer dans ma poche, et en le sortant, je remarque un message nouvellement reçu. C'est Marina. Un simple "Au revoir, Quentin" accompagné d'un emoji en forme de vague.


Je reste là, sur la plage, perdu dans mes pensées, me demandant si un jour je comprendrai vraiment qui était cette Marina Joie et Bonheur. Une chose est sûre : cette rencontre restera gravée dans ma mémoire comme une énigme irrésolue, une histoire incomplète qui me laisse à la fois intrigué et nostalgique.

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