Son train part dans 10 minutes. Le temps de fumer une dernière cigarette et il monte dans le train. Le signal sonore retentit. Les portes se verouillent. Il a un peu moins de 4h30 de trajet.

4h30 pour se retrouver face à lui-même. 4h30 qu'il appréhende. Il a prévu le coup. En allant acheter ses cigarettes et ses cafés, il en a profité pour s'acheter un livre. Un livre qu'il a presque pris au hasard. La seule raison de son choix était l'épaisseur du bouquin. De quoi tenir le plus longtemps possible pour ne pas se laisser absorber par ses pensées. Ces pensées qui le torturent et l'effraient. Ces pensées qui risqueraient de le dévaster.

Le train démarre et plus il s'éloigne du quai plus il espère s'éloigner de ce qui l'a tant anéanti. Ce qui l'a tant anéanti n'est pas nécessairement le décès de sa cliente. Après tout cela arrive plus souvent que l'on croit ce genre de féminicides. Il le sait car depuis le décès de sa cliente il se rend tous les jours sur "NousToutes.org"

A chaque fois qu'un féminicide est commis dans des conditions similaires à celles de sa cliente cela est affiché. Lorsqu'il voit le chiffre une part de lui se sent rassuré. Cela paraît horrible mais ça lui permet le temps d'un instant de moins culpabiliser. De moins croire que sa cliente est décédée à cause de lui. Après tout c'est monnaie courante dans ce monde. Et lorsque cet instant "déculpabilisant" est passé, il se sent envahi d'un rejet profond de tout ce qui l'entoure. Il se sent envahi par l'envie de quitter ce monde. ll se sent envahi par un sentiment des plus abjectes pour lui. Un sentiment d'impuissance face à la réalité du monde.

Il a perdu la notion du temps. Il n'a même pas ouvert son bouquin. Il a finalement été pris dans un vortex de pensées. Une voix le sort de son esprit, il reprends tout doucement conscience de son corps. Il sent les vibrations du train qui s'accentuent, il sent que son train ralenti. La voix qui l'a sorti de son esprit était la voix indiquant "Votre train va arriver en gare de..."