Le Temps de l'Innocence
En ce temps-là, c'était moi qui était innocent. Innocent des chagrins de la vie, des trahisons humaines, des chagrins inconsolables. Nous avions quinze ans.
Que de souvenirs !
Les fou rires, les discussions endiablées entre gars.
Les gentilles moqueries sur la patrouille guide où était ma sœur qui ne parvenait pas à allumer un feu quand le bois était mouillé.
Et elle est arrivée dans la patrouille de ma sœur.
Pour être honnête, je n'y fis d'abord pas attention.
A cet âge là, le monde se divise en deux catégories :
Les gars qui s'intéressent aux filles.
Et ceux qui ne s'y intéressent pas du tout.
J'étais plutôt dans la deuxième catégorie. Cela m'amusait parfois de faire rougir les filles du lycée, mais ça n'allait pas plus loin.
C'est ma sœur qui intégra dans notre famille le syndrome Blanche.
Blanche était devenue chef de patrouille et en un mois, elle avait déjà réussi l'impossible : chaque guide pouvait allumer un feu par tous les temps. Jeanne n'avait que ce mot là à la bouche quand elle revenait des weekends sous la tente.
Blanche a fait ceci, Blanche a fait cela... Patati patata...
Les filles, qu'est-ce que ça parle !
Je ne devins ami avec Blanche que quand elle rejoignit notre groupe de jeunes à la paroisse. Je fis enfin connaissance avec cette fille qui avait conquis le cœur de ma sœur.
Bon soyons franc, c'était une bonne camarade, sportive, marrante, qui ne parlait pas trop pour une fille, et qui riait facilement aux éclats. Son regard noisette brillait de franchise et de joie de vivre.
Mais ça n'allait pas plus loin.
Elle resta un an et puis sa famille déménagea. Ça ne me fit presque rien.
Presque.
Parce qu'elle était de bon conseil.
Parce qu'elle manquait à ma sœur, au groupe.
Au départ, nous en parlions beaucoup.
De nos bons souvenirs.
De ses côtés agaçants aussi.
Puis nos langues sur elle se turent.
Occasionnellement nous en reparlions, quand l'un de nous recevait des nouvelles.
Mais nous étions de notre côtés comme elle, trop avares de nouvelles.
Celle-ci s'espacèrent.
Et les années passèrent.
Son souvenir n'était plus qu'une photo de notre groupe, accrochée parmi tant d'autres sur le mur de ma chambre.
Sur la photo, elle souriait à la vie.
Elle semblait sans soucis.
Son souvenir, s'était aussi ses emails à mon anniversaire, à Noël, au nouvel an, à Pâques.
Deux mots ou trois à chaque fois.
Et puis cela dura trois ans.
Blanche n'était plus pour moi qu'un bon souvenir de l'année de mes quinze ans.
Mais si j'avais su...
Peut-être aurais-je davantage profité de son sourire.
De son chant si pur.
De son visage rayonnant de bonheur.
De sa façon de mettre un béret sur son chignon auburn décoiffé, à la Gibson Girl.
Mais avec des "si", on mettrait Paris en bouteille et New York en Russie.
Blanche.
Oh Blanche !
Qui aurait pu prédire pareille tragédie ?
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