Chapitre 1

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Sur Loum, personne ne cherchait à quitter la chaleur du lit avant que le soleil ne se lève.

La nuit, un souffle chuchotait à l'oreille des habitants. Cruel, il poussait les porteurs d'Âme à sortir de leur retranchement. A l'aube, on les retrouvait noyés sur la plage, vidés de leur Âme.

Dagmar grommela en sortant de son lit, la chaleur des couvertures lui manquait déjà. Elle fit glisser ses pieds sur les lames de bois froides de sa chambre, puis passa la première robe qui lui tomba sous la main et enfila ses bottes rafistolées à la hâte. Son extérius ne s'échappait plus de la chaussure. Dagmar défit ses draps qu'elle jeta sur le rebord de la fenêtre de sa chambre pour qu'ils puissent s'aérer. Par la fenêtre, le chaos se retrouvait éclairé par la lumière du soleil : pots renversés et brisés, arbustes déracinés et les débrits de ce qui devait être hier une chaise.

Un instant plus tard, Dagmar jeta un coup d'oeil satisfait à ses fioles d'Âme, attrapa sa pochette à cueillète et sortit de sa maison sans un regard pour le bazar qu'elle avait laissé la veille.

Dagmar avait depuis longtemps abandonné l'idée d'avoir des pots de fleur sur son porche. Un jour, elle avait oublié de rentrer un superbe rosier que son père lui avait offert. Le lendemain, il n'en restait plus un pétale. Elle arrangea la lanière de sa pochette qui lui scillait la peau du cou et descendit les deux marches qui la séparait de l'herbe couverte de rosée. Elle espérait que ses semelles tiendraient le coup pour lui permettre de marcher au sec jusqu'à la plage.

  • Il faut absolument que je récupère quelques couteaux pour le déjeuner, pensa-t-elle en se rappellant qu'elle n'avait rien pour manger.

Le marché était de l'autre côté de l'île et sa journée s'annoçait très chargée, elle ne pouvait se permettre d'aller faire des emplettes. Au pas de course, elle rejoignit le chemin de la plage.

En hauteur, elle parvenait à voir la plage en contre bas. De nombreux déchêts avait été recrachés cette nuit par l'océan. Cela provenait probablement d'un bateau qui avait foncé dans la Grande Barrière. Elle sourit, soulagée qu'encore une fois, les monstres de l'autre côté n'aient pas pu pénétrer sur Loum.

Un pécheur de déchet la salua en retirant sa casquette, il tenait sur son épaule un sac en toile déjà remplis. Elle le reconnut à sa tignasse grise, Octave. Elle s’arrêta et se proposa pour l’aider. Il rouspéta en tapant sa main.

  • File Dagmar, tu as d’autres choses à faire. Fais attention, si tu t’occupes trop des affaires des autres, tu deviendras comme la Taupe.

Elle acquiesça mais ne le fit pas avec plaisir. Elle secoua la tête en accélérant le pas pour distancer son aîné alors qu’il échangeait son sac contre un vide.

Il adorait utiliser cette légende pour l’effrayer, il la considérait toujours comme une enfant alors qu’elle était depuis plusieurs années entrée dans la vie d’adulte. La Taupe, une humaine qui vivait recluse en haut de la montagne parmi les bêtes sauvages. Si quelqu’un se mêlait trop des affaires des autres, on aimait dire que la Taupe finirait par lui demander une faveur. Son père lui avait plutôt servis la version où si un enfant tente de grimper sur la montagne, il sera soit destiné à tomber et se briser la nuque, soit à finir bloqué à jamais en haut de la montagne avec la Taupe.

Le chemin de terre s’était agrandi à force des foulées incessantes qu’elle y faisait, c’était un peu son chemin à elle. Puis la terre se transforma peu à peu en sable et elle ne put s’empêcher de soupirer

  • Je rêve ! Vous vous êtes tous passés le mot aujourd’hui, râla-t-elle en voyant ses patients qu'elle verrait dans la journée soulever de lourdes planches.

Un sentiment d’oppression la submergea tandis que tous ses aînés murmuraient en regardant un point derrière elle. Elle se retourna et un mot vint à ses lèvres : « Impossible ». Là, couché sur le sable, recouvert d’écume, se trouvait une masse aux cheveux blond, un homme. Il portait une étrange chemise aux manches sublimées par des broderies dorées.

Elle retira le couteau de son étui et s’approcha de l’inconnu, l’arme au poing. Pas un seul cheveu de ses patients ne serait touché en sa présence, elle s’accroupit à côté de l’homme et constata qu’il avait à peu près son âge. Ses yeux étaient fermés et il avait la peau bleutée par le froid de la mer. Elle trembla en se relevant et son estomac remonta dans sa gorge. Si la terreur n’avait pas été aussi grande, elle aurait fait quelque chose mais elle était figée. A ses pieds se trouvait un étranger à la Grande Barrière. Ce n’était pas qu’un simple mauvais présage, c'était le signe qu'ils allaient tous mourir.

  • Prévenez le conseil et vite !

Elle se retourna pour appercevoir un Octave débrayé, il avait perdu sa casquette et tout son visage était rouge cramoisi. L'effort de la course, devina-t-elle. Le sol fut soudain si loin de ses yeux que Dagmar en eut un vertige. Qu'est-ce qu'il se passait ? Elle se laissa tombée à genoux, le coeur battant tant à ses tempes que le temps qu'elle revienne à elle, les pécheurs de déchets s'étaient regroupés autour d'elle, lui murmurant de gentils mots. Octave s'accroupit et ses genoux craquèrent, il posa ses deux mains contre les joues de Dagmar.

  • Aies confiance, ça va aller.

Dagmar en doutait. Mais sa vision s'éclaircit et elle put voir le visage d'Octave qui avait perdu de sa rougeur. Ses rides apparaissaient quand des sabots martelèrent le sol, plus haut dans l'île.

  • Ils arrivent, tu dois te reprendre.
  • Plus facile à dire qu'à faire.
  • Passe toi un peu d'eau sur le visage, et si tu ne te fiches pas des claques pour revenir parmi nous. C'est moi qui m'en chargerai. Des claques, pas de lui.

Elle posa ses pieds sur le sable dur sur lequel les vagues ne cessaient de s'écraser. Les mains ouvertes, elle recolta un peu d'eau qu'elle jetta négligemment sur son visage. Elle eut soudain conscience qu'elle s'était montrée vulnérable, là, devant un de ces monstres. Face aux siens, elle s'était écroulée.

  • Je suis désolée, je ne sais pas ce qui m'a pris.
  • Tu as été choquée, c'est normal Dagmar, répondit Paula, sa patiente de dix-heure quinze.
  • Je n'aurai jamais dû... commença-t-elle avant d'entendre un gémissement derrière elle.

Il se réveillait.

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