Chapitre 5

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Dagmar sortit de son atelier, la boule au ventre. Elle s’était soignée. Pourtant elle peinait à tenir debout, la fatigue menaçait de la faire flancher d’une minute à l’autre. Au moment où elle leva la tête vers la foule qui s’était regroupée sur la place du quartier, elle entendit la voix d’Octave dans sa tête.

— Dagmar ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas bien ?

Les yeux de la Soigneuse clignotèrent pour se faire à la lumière de ce milieu d’après-midi.

— J’ai été agressée par un étranger. Il faut que je voie un membre du Conseil, il faut que je tente de le retrouver. Il est dangereux.

— Dagmar tu ne marches pas droit. Tu vas bien ?

— Non.

Ses genoux lâchèrent, elle se rattrapa sur la paume de ses mains. Mais ses bras tendus tremblèrent et elle s’effondra.

-

Traînée par les bras, Dagmar fut réveillée par la douleur lancinante dans ses genoux qui raclaient contre le sol. Jack et John, deux jeunes hommes de son âge, qu’elle avait toujours connu la tenaient avec fermeté. Plus musclés qu’elle, ils semblaient l’amener à un endroit.

— Alors, les fioles d’Âme, elle les a détruites, commença Jack.

— Elle les a utilisés, regarde là. Elle est couverte de sang mais n’a pas une plaie.

— La traitresse.

Son corps lui hurlait sa peine. Elle essayait de lever la tête pour identifier où elle se trouvait mais tout était trop flou et trop rapide. Une foule se tenait d’un côté et de l’autre du chemin, la tuant du regard. Aucun visage ne lui revenait, comme si une foule d’inconnus la regardait. Quand ils prirent tous le visage de cet horrible intrus qui l’avait blessée, elle gémit de peur.

— La Grande Barrière est en danger… marmonna-t-elle tandis que sa vue s’obscurcissait.

Elle tentait de répéter cette phrase mais sa voix portait de moins en moins loin, à tel point qu’elle ne s’entendit bientôt même plus penser.

Les huées fusèrent de part en part, les insultes s’aggravaient à mesure qu’elle s’approchait de ce qu’elle supposa être le conseil. Un homme bloqua le passage, elle reconnut sa voix.

— Père ?

— Ma fille ! Bon sang mais vous ne voyez pas qu’elle est blessée ? Il lui faut des soins ! De toute urgence !

— Écartez-vous Hector, ne nous contraignez pas à employer la manière forte.

— La manière forte, répéta-t-il comme un perroquet. Non ! Non surtout pas. Le continent nous en soit loué, je ne suis pas aussi violent que cela.

Il s’écarta presque aussi rapidement qu’il s’était interposé. Dagmar soupira et ravala un sanglot qui faillis déborder. Si son père ne cherchait même pas à la défendre, à les faire lâcher, elle était fichue. Elle se laissa tomber comme une poupée de chiffon et sans résistance, elle fut entraînée à travers les couloirs du Conseil pour être jetée en prison, comme une criminelle.

Dagmar serra ses genoux contre elle et se laissa tomber sur le côté, par terre. Tandis que le bruit s’était calmé autour d’elle, elle parvint à réfléchir un peu. Il fallait qu’elle parle au Conseil.

Elle tritura les plaies de ses genoux pour en retirer toutes les impuretés, laissant s’écouler un peu de son pouvoir à travers ses doigts. Ses genoux lui faisaient un mal de chien. Les plaies étaient profondes.

— S’il vous plaît, lança-t-elle à un garde qui faisait sa ronde. Il me faut parler au Conseil.

Un homme vint à sa rencontre, il serra la grille entre ses doigts, son visage était rouge de rage. Elle posa sa main droite sur son front pour empêcher sa tête de tourner.

— Il te « faut », mordit-t-il. Il te faut surtout crever, espèce de de… pff. Tu ne méritais même pas mon attention.

Elle se rappelait de son visage, elle l’avait soigné pas plus tard que le mois dernier. Il l’avait noyée sous des compliments tous plus extravaguant les uns que les autres. Maintenant, il la regardait comme tous les autres. Il savait pour les fioles.

— Ton procès se tiendra dans pas longtemps, reste éveillée. Ou ton réveil ne sera pas des plus agréables, la menaça-t-il en continuant de marcher comme si de rien n’était.

Elle chercha son arme mais ses fourreaux avaient été débarrassé de ses armes. Elle eut un doute, elle ne les avait pas au moment de son agression.

— Pitié, il est armé ! S’il vous plait ! Il faut entamer des recherches, maintenant !

Aucune réponse ne lui parvint excepté les quelques rires de prisonniers qui avaient certainement déjà entendu ça à maintes reprises, qui l’avaient peut-être déjà même prononcé eux-mêmes. Dagmar s’autorisa pour la première fois depuis de longues semaines à s’écrouler. Elle tomba le front la première contre le sol et pleura. Ce ne fut pas des larmes discrètes mais des sanglots épais et sombres comme un soir de tempête. Son cœur se déchira en deux sous les tremblements de son corps. Les murs en pierre se rapprochaient et l’écrasaient.

Alors qu’elle parvenait à entrapercevoir une forme derrière ses cils collés de larme, des clés cliquetèrent dans la serrure et en un temps trois mouvement, on lui jeta un sac sur la tête, l’enfermant elle et ses idées cauchemardesques. Elle lutta pour ne pas vomir tandis qu’ils la dirigeaient à coup de pied dans les jambes. Ne pas se laisser envahir par le désespoir était si difficile qu’elle hésita à entamer un combat avec l’un d’entre eux afin d’en finir au plus vite. Mais ils la désordonnaient tellement, repassant dans des couloirs, franchissant des portes déjà traversées que Dagmar ne parvenait même plus à savoir si les coups venaient de derrière ou de devant.

Quand ils finirent par la faire tomber d’une simple poussée, ils se félicitèrent d’avoir réussi à la ramener ici en un seul morceau, fiers comme des bœufs. La vue dissimulée l’aida à se concentrer sur ce qu’elle entendait. La salle était quasi vide, comme à chaque procès, on veillait à ce que seuls les conseillers et douze personnes choisies au hasard dans le village y assiste. Cette discrétion lui allait plutôt bien. Dagmar n’avait pas envie qu’on étale son crime devant tout le village. Tout se saurait très vite, si tout ne se savait pas déjà. Mais les visages de ces gens qui étaient des proches, des amis, des patients… décontenancés, choqués. Cela serait trop à supporter.

Malgré tout, au signal de la présidente du Conseil, on retira son sac et elle fit face aux vingt-quatre conseillers qui la dévisageaient avec effroi. Ils auraient pu à leur tour l’insulter ou se lever et la frapper. Mais ils n’en furent rien. La présidente prit la parole d’une voix mesurée

— Alberta Bois, Présidente de l’actuel Conseil et siégeant depuis vingt ans, déclare le procès de la soigneuse Dagmar Cotier ouvert. Durant ce procès moralement très difficile, je vous demanderai de garder votre calme et de pas engager de conversation directe avec l’accusée ici présente. Les invités d’honneur n’ont le droit à aucune intervention. La moindre parole engagerait des travaux de Pêche des déchets durant une période qui resterait à définir. Bien. L’ordre du jour, je vous prie, très chère.

La présidente passa un doigt à travers ses boucles rousses enroulant quelques mèches de ses cheveux autour de sa main en attendant que la conseillère chargée d’écrire l’ordre du jour ne le retrouve dans ses affaires. La petite femme cherchait dans sa sacoche tandis que les autres conseillers levaient les yeux au ciel. La maladresse de cette conseillère n’était plus à prouver. Elle avait à maintes reprises coupé la soutenance de Dagmar lors de la validation de son diplôme par des questions impertinentes qui n’avait rien à faire avec le sujet que traitait la jeune femme. Quand, enfin, la conseillère remit la main sur le parchemin plié et taché d’encre. Elle le tendit à la présidente qui l’attrapa du bout des doigts. Puis elle le secoua pour l’ouvrir et s’éclaircit la voix.

— Bien, reprit la présidente en baissant les yeux vers le parchemin. Je vous remercie pour votre patience. Aujourd’hui, le vingt-cinq jour de mars de l’an 172, Dagmar Cotier a pendant sa balade quotidienne sur la plage ouest entouré de Pécheurs de Déchets, trouvé le corps vivant d’un jeune homme. Le conseil a été rapidement prévenu de l’évènement et Loïa, Rafael et Laurent se sont rendus sur la plage et ont confié à la soigneuse Dagmar Cotier ici présente les ordres suivants « Soignez l’intrus coûte que coûte, en utilisant s’il le faut vos pouvoirs. Tout en restant d’une discrétion irréprochable. ». Plusieurs heures après que la soigneuse l’ait amené à son atelier, l’intrus est ressorti de l’atelier muni de plusieurs armes et à tuer des villageois sur son passage, incendiant trois maisons, tuant sept hommes, cinq femmes. Pour avoir davantage d’informations sur les événements qui ont pu entraîner cette catastrophe, Jack et John se sont rendus dans le quartier de la soigneuse ici présente. Avant de l’attraper, ils ont fait un tour dans l’atelier. Atelier dans un piteux état, meubles brisés, éclats de verres et sang. Pour cause, le meuble qui contenait toutes les fioles d’Âme s’était écroulé, les brisants toutes sans exceptions, causant la disparition, selon le registre de Dagmar Cotier, de deux cent treize Âmes. Le Conseil accuse Dagmar Cotier d’avoir causé la disparition de deux cent treize de nos Âme par assimilation.

L’entendre prononcer à voix haute donna à Dagmar envie de s’arracher les âmes du corps, de s’arracher chacun de ses filaments de son être. Mais elle savait que c’était impossible à faire tant qu’elle n’était pas morte ou enceinte. Chacun se retenait de se lever et de la tuer. Mais ils savaient tous qu’ils n’en avaient pas le droit et que ça les dirigerait eux directement devant ce tribunal. Les âmes qu’elle avait assimilées étaient à jamais souillées par ce geste d’abomination qu’elle avait fait : les respirer.

— Nous laissons donc la parole à l’accusée, trancha la présidente.

Dagmar n’était pas certaine d’être en capacité de s’exprimer. Les sanglots menacèrent de repartir de plus belle et elle serra les lèvres l’une contre l’autre dans l’expectative que quelqu’un prendrait sa défense, que quelqu’un leur montrerait que tout n’était pas de sa faute. Que c’était de sa faute à lui, l’intrus et que la Grande Barrière était sur le point de s’écrouler si ce n’était pas déjà fait et que des monstres ne tarderaient pas à arriver et à tous les massacrer. Mais on attendait qu’elle se défende, qu’elle dise quelque chose. Alors, elle se redressa, le dos droit et déclara de la voix la plus sûre qu’elle put :

— L’intrus a brisé la Grande Barrière, m’a agressée et m’a volé. Je pense qu’il a de sombres idées en tête et qu’il va faire d’autres victimes. Je peux le retrouver, je sais à quoi il ressemble. A l’aide d’une ou deux autres personnes dotées capable de traquer, je pourrai vous le ramener.

On ne la regarda plus seulement comme un monstre mais comme un monstre fou.

— La Grande Barrière n’est pas brisée, nous l’avons vérifié. Il a pourtant réussi à la passer, peut-être qu’il a été aidé… lança le doyen du Conseil. Nous n’allons pas vous laisser l’occasion de partir rejoindre votre allié.

Dagmar grogna d’indignation en voyant jusqu’où les théories allaient. Ils l’accusaient ouvertement ! En plus d’assimilation d’âme, ils voulaient lui mettre sur le dos l’intrusion. Elle ne pouvait pas supporter de répondre aux deux chefs d’inculpation.

— Je me suis toujours montrée loyale.

— Dagmar s’est surtout toujours montré attirée par les Âmes, ça a été son sujet de soutenance rappelez-vous. Elle a mené des analyses poussées. Qui sait ce qu’elle a pu découvrir pendant son épopée scientifique à travers nos gênes, conjectura un autre Conseiller plus jeune à l’opposé de la place de l’aîné.

La présidente frappa dans ses mains pour stopper les Conseillers dans leur hypothèses farfelues.

— Nous ne sommes là que pour un chef d’accusation : l’Assimilation d’Âme par Dagmar Cotier. Je vous demanderai de vous consacrer à apporter des preuves.

— Eh bien regardez ces genoux chère présidente, lança la voix rocailleuse de l’aîné. Regardez comment ils sont guéris malgré les mauvais traitements de nos soldats. Qui je l’espère seront fouetté pour leur incompétence.

— Approchez, ordonna la présidente.

Dagmar avança et laissa les conseillers admirer la peau parfaite de ses genoux.

— Elle l’avait prédit ! Accusa le jeune Conseiller. Elle l’avait prédit ! Et en a profité pour en faire l’expérience directement sur elle ! Quelle indignité ! Quel choc ! Avec les Âmes de nos ancêtres. Elle ne peut rester sur l’Ile !

— Qu’on l’exile !

— Qu’elle aille sur l’Île des Dragons !

Les idées pour ses châtiments fusèrent à tel point que Dagmar se demanda si la présidente parvenait à toutes les entendre. Son visage laissa planer le doute, et tandis qu’elle se releva, prête à réexiger le calme. Elle n’eut qu’à dire un mot pour que toute l’attention de la salle se recentre sur elle.

— Votons.

Dagmar, terrorisée, ne souhaitait pas entendre sa proposition mais ses mains entravées lui empêchaient de faire quoi que ce soit pour bloquer ses oreilles.

— Pour ceux qui souhaitent l’exil de mort, levez la main.

Vingt-quatre mains se levèrent, les premières en un instant, d’autres se plièrent à la majorité. Et tandis que le verdict était asséné comme le coup qu’elle avait reçu sur le crâne. Elle sût qu’elle n’aurait qu’une chance d’en rescaper. Une seule parmi une étendue de choix possible, pour garder un tant soit peu d’humanité. Elle devait le retrouver et lui faire payer ce qu’il lui avait fait, ce qu’il avait fait au siens. Elle le massacrerait pour avoir osé détruire ses fioles. Elle le détruirait. Quitte à mourir aussi, elle l’entraînerait dans sa chute.

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