Chapitre 6

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L’exil de mort sonnait comme une réponse mesurée pour une atrocité de ce rang-là. Pourtant, Dagmar ne parvenait pas à s’y faire, pas à se rendre compte qu’ils ne lui accordaient pas le bénéfice du doute. Ils la condamnaient comme elle se condamnait elle-même. A la fin de son existence. Pire, à l’oubli de son existence. Sans collecter les âmes qu’elle avait en-elle, c’était renier même son utilité en tant qu’être vivant. En plus de renier la vie des toutes les personnes dont elle portait le souvenir.

On ne lui accorda pas le droit de voir son père. Et elle dût, le cœur lourd marcher derrière des gardes qui l’amenaient à la barque. Suivie de près par le conseiller Rafael, elle tentait de l’interpeller sur le danger immédiat d’une telle intrusion. Elle ne parvint qu’à se faire insulter. Les bras toujours entravés par une épaisse corde, elle fit rouler ses épaules et sa tête. Il fallait encore marcher des kilomètres pour arriver jusqu’à la côte nord-ouest. Tous ses anciens patients pourraient la voir embarquer et disparaître à l’horizon.

Est-ce qu’ils la pleureraient ? Est ce qu’ils lui en voulaient ? Elle ne savait pas. Ils se tenaient trop loin de son passage pour qu’elle puisse identifier l’émotion sur leur visage. Son père se tenait parmi eux, il n’avait pas les bras croisés, il les tenait le long du corps comme si un poids anormal l’empêchait de les lever, de les plier.

— Dagmar, je l’ai vu. J’ai entendu ses pensées, il rentre en Ascal. Il va aller à la première ville portuaire qu’il atteindra, lui chuchota Octave dans son esprit.

Dagmar trébucha sur une racine qui dépassait du sol et s’effondra à terre. Le conseiller derrière elle pesta de sa maladresse.

— Allez, relève-toi, râla Rafael.

Elle arracha à pleine poignée des fruits d’un arbuste et les plongea dans sa bouche. Il lui fallait regagner des forces, un plan se dessinait dans sa tête. En se remettant sur ses pieds, elle desserra de manière quasi imperceptible les nœuds de ses liens, pour faciliter la circulation de son sang. Ils arrivèrent en peu de temps au port et elle sentit son ventre se contracter d’appréhension. Si jamais elle ne réussissait pas son coup… elle mourrait en tant que paria. Et son père en paierait d’autant plus les conséquences. La distance qu’il avait mise avec elle suite à son arrestation faisait pencher l’opinion en sa faveur. S’ils croyaient qu’elle avait mijotée tout ça seule, ils seraient moins enclins à faire un nouveau procès pour le juger lui. Son père, la définition même de la droiture était forgeron depuis ses jeunes années, il fournissait les armes et n’hésitait pas à travailler tard si ça pouvait permettre à sa fille d’avoir de quoi manger pour les jours suivant.

Son père laisserait un vide dans sa vie. Elle cracha par terre sur le sable doré avant de monter dans la barque. Il avait brisé des vies. Pauvres âmes qui s’étaient sûrement échappées des corps de ses victimes avant qu’un soigneur de puisse les embouteillées. Tout ça parce qu’il était parvenu à faire une brèche dans la Grande Barrière. La verrait-t-elle complètement fissurée en la traversant ? Ou serait-t-elle inchangée ? Assise sur la planche en bois, elle inspectait son bourreau. Il s’était muni d’une ribambelle de couteaux. Dont la plupart avaient sans nul doute était fabriqués par son père. Peut-être l’avait-il fait exprès ? Trouvait-t-il cela amusant de l’égorger avec la création de son père ? Pour laquelle il avait fait couler sa sueur et passait des nuits blanches.

Ils partirent de l’île sans un bruit. Dagmar en avait marre de supplier, d’essayer de les faire changer d’avis. Rafael attrapa les pagaies et les plongea dans l’eau réchauffée de fin d’après-midi. Il ignora son regard paniqué et les fit entrer dans l’océan. Elle ferma les yeux un instant et attendit qu’il soit pleinement concentré dans son mouvement. Puis elle les ouvrit.

— Pourquoi faites-vous cela ?

Il marmonna dans sa barbe poivre et sel quelque chose qu’elle ne comprit pas. Un vague sous-entendu quant à sa nouvelle nature de traitre à la magie, de traitre à la nation.

— Non pas pourquoi vous personnellement vous m’amenez à ma mort mais pourquoi vous ignorez mes avertissements sur cet intrus ? Il est dangereux. Il vous tuera.

Il serra ses lèvres l’une contre l’autre avant ralentir son avancée. Ils étaient déjà presque à la Grande Barrière, plus que deux et ils seraient à l’extérieur, dans la zone de tous les dangers. Là où rodaient des monstres dont elle ne connaissait même pas le nom.

— Nous sommes bien assez nombreux pour nous débrouiller. Tu as voulu profiter du stock de pouvoir que tu avais sous la main, tout ça pour quoi ? Pour pouvoir te montrer indispensable et pouvoir prendre la tête du Conseil ? Ça ne marche pas comme ça. Tu devrais avoir honte d’avoir cracher sur tes ancêtres en les assimilant. Tu as sûrement collaboré avec lui aussi. Il n’a pris aucun bateau, sache qu’on le retrouvera.

Elle sentit une rage sourde ébouillanter ses oreilles. Comment pouvait-il se permettre de lui parler comme ça ?

— Je n’ai jamais eu de tels objectifs. Vous vous êtes monté la tête tout seul.

— A cause de votre saleté de collaboration, ma sœur est morte ! s’enragea-t-il en pagayant plus rapidement. Les miens sont morts, parce que tu as planté un couteau dans leur dos.

« Les miens », elle n’en faisait désormais plus partie. Exilée, se rappela-t-elle. Rayée de tous les registres, son identité disparaîtrait peu à peu comme celles des autres exilés avant elle. Quand il se mit à ralentir la cadence, elle sut qu’elle allait devoir faire preuve de rapidité. Il sortit un couteau, 10 centimètres, sans dorure, une simplicité que son père avait forgé en grand nombre. Elle en connaissait le mouvement par cœur. Quand il se leva et fit tanguer l’embarcation, Dagmar inspira. Le couteau descendit en arc de cercle près de son cou. Elle leva ses mains et le couteau coupa un bout de corde, démêlant avec facilité le tout qui tomba à ses pieds.

— Merde ! Qu’est-ce que tu fais ? J’avais raison !

— Je ne compte pas te laisser me tuer sans broncher.

Il s’accroupit et posa une main sur l’extérieur de la coque, prêt à toucher l’océan. Dagmar lui balança un coup de poing et sa tête retomba avec un « bong » sonore contre la coque qu’il venait de toucher. A son tour, Dagmar s’accroupit et pris son sac en bandoulière. Puis, sans un regret, elle jeta l’homme par-dessus bord.

— Bonne chance, lui souhaita-t-il.

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