Chapitre 7

10 minutes de lecture

Traversant les eaux devant elle, un navire pirate grand comme une montagne flottait. Elle pouvait voir des silhouettes bouger de droite à gauche, courant sur le pont comme si leur vie en dépendait. Elle se figea, à ses pieds, trois couteaux dont deux émoussés et des victuailles qu’elle avait gobées dès qu’elle les avait aperçus. Elle n’avait aucun objet précieux. Ils allaient la dévorer, elle. Ces monstres marins n’avaient jamais l’occasion de trouver d’animaux au sang chaud, ils allaient en profiter avec elle. Devrait-t-elle pagayer ou faire comme si elle était morte ?

Elle n’eut pas besoin de se faire de nœud au cerveau, un cri surgit. Puis un deuxième. Et en quelques secondes, une grande dizaine de paires d’yeux étaient fixés sur elle. Le soleil de fin de journée se répercuta sur les bijoux dorés d’un d’entre eux, puis sur une longue-vue qu’il dirigea sur son visage. Elle eut la nette impression que ses lèvres bougeaient pour prononcer les mots « Attrapez-la. »

Impression renforcée quand on braqua d’étranges armes sous son nez en lui intimant de ne pas bouger. Elle mit les bras en l’air et se laissa transporter. Personne ne prit la peine de l’entraver, ils savaient que la menace de leurs armes suffisait. Ils avaient de tout, des couteaux, des sabres, des rapières… et même ces étranges engins qui ne ressemblaient à rien de ce qu’elle connaissait déjà. On l’amena jusqu’au capitaine qui l’attendait sur le pont. Les bras croisés sur la poitrine, il la toisait avec un petit sourire en coin. Sa fine moustache se leva quand il ouvrit la bouche. Elle eut un haut le cœur dû à l’odeur de sueur et de sang qui se dégageait de lui. Autour de ses yeux, elle pouvait voir les traces de larmes séchées sur sa peau noire.

- Voyons voir sur quoi on est tombés les amis.

Une femme blonde s’approcha et leva le menton de Dagmar à l’aide de sa dague. Une très jolie dague, très chère, plus difficile à faire que ce que son père avait l’habitude de faire

- Salut l’capitaine, tu veux bien ?

- Bonjour, lâcha simplement Dagmar peu sûre de la manière dont elle devait s’adresser à ce dernier.

- Bonne fille, la félicita-t-elle en rejoignant le capitaine pour se poster juste derrière lui.

La prisonnière eut le temps de voir le visage fin de la pirate, ses longs cheveux noués et sales. Mais elle se reconcentra sur Capitaine : il était sa priorité. Si elle voulait vivre assez longtemps pour assouvir sa vengeance, elle devait le convaincre qu’elle valait beaucoup plus vivante que morte.

- Corrigez-moi si je me trompe. La seule île aux alentours, dans cette direction, (il montra là d’où venait Dagmar), c’est Loum.

Dagmar ferma les yeux. Elle n’aurait jamais dû continuer droit au nord. Elle aurait dû dévier mais elle aurait pu perdre la trace de sa cible.

- En effet, confirma-t-elle.

Il souriait à pleines dents. C’était exactement la réponse qu’il attendait. Elle savait que ça ne servait à rien de mentir.

- Parfait. Occupe-toi d’elle Neya.

Neya n’eut l’air que d’attendre cet ordre et se lança en avant dès que Capitaine eut finit de prononcer son prénom. Dagmar sentit son coup arriver et le bloqua avec ses deux avant-bras qui prirent tout l’impact. Neya reposa sa jambe droite à terre et se mit à tourner autour de Dagmar comme un chat autour de sa proie. La soigneuse n’était pas prête à se laisser faire.

- Ça te plaît de tuer des gens, sorcière ?

- Je ne les tue pas, je les soigne, pirate.

- Pirate ? Tu as entendu mon prénom, soit polie je te pris.

- Neya. Tu ne devrais pas t’amuser à jouer avec moi.

- Oh, mais je te laisserai tranquille si tu me racontes vos secrets.

- Quels secrets ? Demanda Dagmar piquée par la curiosité. Vous faites du commerce de secret maintenant les pirates ?

Tout autour d’elles, les pirates se mirent à rire. Touchée dans son égo, Neya leur grogna dessus et ils s’arrêtèrent.

- Cette nuit, vous nous avez fait couler un bateau, saleté de sorcière. On a perdu beaucoup d’hommes par votre faute. Et tout laisse à croire qu’un des nôtres est venu sur votre foutue île maudite pour enfin s’occuper de vous massacrer. L’as-tu-vu ?

- Le noyé, murmura-t-elle entre ses lèvres entrouvertes.

- Le quoi ? hurla Neya en sautant sur l’occasion pour se jeter sur elle.

Neya lui empoigna les épaules et se mit à étrangler Dagmar.

- Foutue sorcière, foutue sorcière, tu vas le regretter.

Dagmar la fit passer par-dessus elle, Neya tomba dos le premier sur le sol. Elle faucha Dagmar avant qu’elle ne pût savourer sa victoire et reprit son étranglement. Tandis que Dagmar tirait un des couteaux sur le bras de Neya et l’enfonça dans la poitrine de son adversaire, le capitaine commença à s’agiter et ordonna qu’on sépare les deux femmes mais le mal était déjà fait. Du sang s’écoulait de la plaie de Neya, souilla sa chemise beige et goutta sur Dagmar. Elle poussa le corps de la pirate et le fit tomber par terre.

Un vieil homme se dépêcha d’arriver avec une valise qu’il ouvrit pour en sortir de l’alcool et des tissus, dès qu’elle aperçut une aiguille, elle cria :

- Ne refermez pas la plaie ! La lame était empoisonnée !

Elle sentait le poison d’ici. Il s’était déjà répandu à travers les veines de Neya et s’ils comptaient la sauver, ils devaient le faire immédiatement.

Le vieil homme inspecta la lame de ses deux yeux globuleux et constata que son sang coulait abondamment. Trop rapidement pour faire quoi que ce soit. Il secoua la tête de droite à gauche, fataliste. Tous les pirates se retournèrent vers elle, prêts à lui sauter dessus pour avoir causé la fin de leur amie. Elle se dégagea de la prise du pirate qui la tenait et recula de quelques pas, s’écartant de la victime.

- Je peux l’aider. Mais va falloir que vous mettiez du votre et que vous ne me tuiez pas.

Un pirate à la peau claire sortit son sabre, il était jeune.

- Je vous assure que je peux la sauver. Je n’ai fait ça que pour me défendre, d’accord ?

Le jeune pirate l’attaqua, elle n’avait rien sur la main pour se défendre, elle fit une retraite. Mais il continuait à attaquer, encore et encore jusqu’à ce qu’elle se retrouve dos au bastingage, prête à tomber.

- Soit, je me laisse tomber et vous pouvez dire adieu à votre amie, soit vous l’obligez à arrêter et je pourrais faire quelque chose.

Elle n’avait aucune envie de finir torturée. Le Capitaine trancha.

- Il suffit Sam.

Sam rangea son sabre et retourna à sa place initiale, près des autres. Dagmar ne se fit pas prier et glissa sur le pont pour rejoindre sa victime. Elle convulsait, le blanc de ses yeux devenait rouge. Elle jura. Ce poison, elle ne le connaissait pas et elle était loin d’avoir le nécessaire sur elle. Elle croisa les doigts dans sa tête et posa ses mains sur la poitrine de la pirate. Elle allait commettre une nouvelle abomination : elle allait utiliser sa magie renforcée par les Âmes assimilées pour sauver une ennemie. Tout ça pour espérer vivre. La chaleur n’arriva pas comme avant, c’était un feu immense qui traversa ses veines et qui se jeta dans le corps de Neya. Comme une cascade, elle nettoya tout, ne laissant plus aucune forme de poison. Et tandis que Dagmar refaisait venir à elle la brûlure, elle sentit une normalité dans le corps de Neya qu’elle n’eut pas le temps de nommer. Neya se réveilla et dans un réflexe quasi impossible, lui balança un des petits couteaux qu’elle avait à la ceinture. Dagmar le reçut en plein bras et gémit de douleur.

- Bon sang ! Dîtes lui d’arrêter, ordonna-t-elle aux pirates en voyant Neya s’armer d’un autre couteau, prête à lui faire la peau.

- Neya, tonna Capitaine. On a besoin d’elle en vie si tu veux des informations sur lui.

Dagmar écarquilla les yeux en apercevant la rage brute et épaisse qui logeait dans le visage de Neya. Elle inspirait et expirait et on aurait pu dire qu’elle le faisait avec l’entièreté de son corps. Tout son corps suivait les violents à-coups que faisaient l’air en sortant et en entrant. Elle se battait contre elle-même pour ne pas sauter à la gorge de Dagmar.

La soigneuse arracha le couteau de sa plaie et enfonça ses ongles dans sa peau. Ce couteau était également empoisonné ! Dagmar paniqua en enfonçant en profondeur ses ongles, elle ne serait jamais capable de se sauver, elle était trop épuisée. Sa vision s’assombrit et elle tomba à genoux. Les sons disparurent. Elle se concentra sur la douleur et uniquement sur la douleur qui la traversait de part en part, sur ces filaments sombres qui parcouraient son corps, les détruisant sur son passage. Elle continua, consciente que si elle ne se sauvait pas, personne ne le ferait à sa place. Mais la douleur était tellement forte qu’elle en vida son estomac jusqu’à ce qu’il n’y reste plus rien. Elle sentit qu’on l’attrapait par les épaules, qu’on la secouait, qu’on se disputait autour d’elle. Elle le sentit car son corps tomba, l’empalant jusqu’à la deuxième phalange dans son propre bras. Cela aurait pu être son arrêt de mort mais elle put atteindre des parcelles encore inexplorées de son corps, des parcelles qui avaient aussi été attaquées par le poison, des tissus qui avaient été déchirés. Elle répara le tout avec minutie. Une minutie qu’elle n’avait jamais eu avec aucun de ses patients.

*

Tout son corps la fit souffrir d’un seul coup, la tirant de son inconscience avec une violence inouïe. Elle ouvrit les yeux, tout tanguait autour d’elle. Elle étudia la pièce et constata qu’elle se trouvait dans une chambre, ou quelque chose qui y ressemblait en tout cas. Elle était collée au mur, tout portait à croire qu’elle avait valdingué jusqu’à s’écraser sur le mur en brisant un tableau au passage. Ce dernier illustrait un dragon, un peu comme ceux qu’elle avait l’habitude de voir dans ses livres d’écoles. Elle recula et renversa un plateau qui était posé là. Comment était-il resté en place alors qu’elle avait valdingué ? Qu’est-ce que c’était que ce délire ?! Elle toucha le plateau et remarqua qu’on l’avait ficelé et collé à l’aide d’une substance qu’elle ne connaissait pas.

Elle frissonna de la tête aux pieds. Puis pour lui rappeler qu’elle était sur un bateau, elle fut encore une fois projetée sur le mur. Sa tête frappa la première sans qu’elle ne puisse l’empêcher.

- Aouch, pleurnicha-t-elle en touchant son crâne.

Elle ne saignait pas. Mais elle ne comptait pas rester là dans cette pièce à se laisser malmener par le vent et l’océan ! A ce rythme-là, il ne resterait plus grand-chose d’elle dans quinze minutes. Elle ouvrit la porte qui frappa dans le mur du le couloir. Il lui fallut plusieurs essais pour marcher sur ce sol qui n’était ni plat, ni statique, mais elle réussit et finit par monter les escaliers à la suite de pirates qui grimpèrent avec une agilité étonnante. La gravité était-t-elle un phénomène inconnu pour les pirates ?

Sur le pont supérieur, c’était le chaos. Elle n’aurait pas pu décrire ce qu’elle voyait autrement, ça courrait, ça criait, ça glissait.

— Cinq degré bâbord, cria le cartographe à un pirate qui passait à côté de lui.

Un autre jetait des seaux d’eaux pleins à la mer. Dagmar tenta de comprendre ce qui se jouait devant elle. Toute la hiérarchie semblait s’être mélangée et les pirates tentaient de faire de nombreuses tâches en même temps. Elle s’avança au milieu de l’agitation, son bras blessé raide à cause des chocs qu’elle venait de recevoir dans l’escalier. Que faisaient-ils ?

Elle monta des marches vers le gouvernail, et aperçu l’horizon avec horreur : des éclairs blancs se créaient sur une espèce de dôme doré. Ils faisaient face à la Grande Barrière.

— Qu’est-ce que vous faites ? demanda-t-elle en se rendant compte de l’étendue de la catastrophe s’ils parvenaient à briser la Grande Barrière.

Ce fut Neya qui lui répondit, elle tenait la barre.

— Je vais chercher les réponses que tu refuses de m’apporter sorcière.

— J’étais quasi morte !

— Justement ! Si tu étais morte, toutes les réponses mouraient avec toi si je ne me bougeais pas.

— Bon sang change de direction tu vas tous les tuer !

— Tu me diras ? demanda Neya en levant les sourcils.

— Oui, acquiesça Dagmar, sincère.

Elle réfléchit à toute vitesse tandis que Neya changeait de direction.

— Il est mort, c’est ça ? Demanda Neya en jetant un regard de biais à la soigneuse.

— Bien sûr que non. Je l’ai soigné. Contre l’avis général, mais je l’ai fait avec discrétion. Il… il était presque mort mais il devait être plus fort que ce que je pensais parce qu’il s’est réveillé. Je lui ai fait comprendre que je l’avais aidé et qu’il devait partir discrètement, trouver un bateau et s’enfuir. Que les miens avaient prévus de le tuer. Mais… il, il a été vu par mes voisins et ils m’ont fait arrêtée. Il m’avait dit qu’il prévoyait de retourner en Ascal mais je n’en sais pas plus. J’ai été exilée… je tente de le retrouver pour qu’il me rend la pareille.

Dagmar avait dû mal à se reconnaître, elle parvenait à mentir comme si elle était convaincue de sa propre histoire.

- Cela ne lui ressemble pas. Quel type de bateau a-t-il pris ?

- Aucun. Il n’en a pris aucun.

Neya entrouvrit les lèvres, prête à poser une nouvelle salve de questions mais aucun son n’en sortit si ce n’est un vague borborygme.

- C’est lui ?

- C’est lui, confirma-t-elle.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nine Birdy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0