Partie 1
La salle de théâtre était bondée depuis le matin. Cette journée dédiée au sport de haut niveau avait rencontré un franc succès et nombreux professionnels s’étaient réunis pour assister aux différentes conférences et débattre autour des thématiques abordées. Sportifs, entraîneurs, préparateurs physiques et professionnels de santé s’étaient rassemblés pour cet événement.
Les interventions proposées avaient même réussi à attirer le milieu footballistique et une petite délégation de joueurs du FCR Stadium accompagnés de leur staff médical avaient fait le déplacement.
Parmi eux, Emeric Vitelli, le capitaine de l’équipe, s’ennuyait ferme et profitait que son entraîneur soit à bonne distance de lui pour tuer le temps sur son téléphone. Il s’était montré plutôt intéressé par les deux thèmes de la matinée en lien avec les différentes méthodes d’entraînement et la construction des performances, mais depuis le début d’après-midi, il manifestait moins d’enthousiasme. Il aurait de loin préféré suer à l’entraînement toute la journée mais une blessure récente l’avait contraint au banc de touche pour les mois à venir. Ainsi il était devenu le joueur idéal aux yeux du directeur sportif pour représenter le club lors de ce meeting et n’avait eu d’autres choix que de se plier à cette exigence.
Certes les sujets de cette deuxième partie ne manquaient pas d’intérêts mais le joueur, se sentant peu concerné, écoutait d’une oreille distraite. Les autres membres de l’équipe, eux, étaient en journée off pour l’occasion et pouvaient donc profiter de leur famille et d’activités de détente. En général, cela se traduisait pour le capitaine et ses plus proches coéquipiers par une soirée privée bien arrosée et une journée ensemble le lendemain autour de la piscine ou d’un tournoi Fifa. Emeric appréciait particulièrement ces après-midi devant la console où il ne ratait jamais une occasion pour mettre une tôle à Hugo Mothay, l’attaquant et butteur de l’équipe. Cela aurait été bien plus relaxant que de passer la journée dans une salle de conférence et, qui plus est, engoncé dans un costume. A défaut, il avait au moins un super jeux de RPG sur son mobile et un tas d’autres pour l’occuper jusqu’à la fin.
—Fais gaffe mec, lui chuchota Estéban Balderas, le gardien but, en lui assénant un coup de coude dans les côtes. Le coach va te griller, il n’arrête pas de nous surveiller.
Emeric dirigea son regard vers l’entraîneur et haussa les épaules
—Qu’est-ce que je risque ? Faire dix tours de terrain ?, ironisa-t-il.
—C’est vrai pour le moment tu es à l’abri mais méfie-toi de ses idées tordues.
—Si ça lui déplaît, il ne fallait pas nous forcer à venir. Je ne sais pas pour toi, mais personnellement, je me fais chier et je vais finir ankylosé à rester assis.
—N’abuse pas, certains sujets sont intéressants.
—Tu parles, maugréa le capitaine, si encore ils parlaient d’une solution miracle pour les mauvaises blessures.
—On te l’a déjà dit, s’emmêla alors Clément Forger, le préparateur physique. Du repos, du temps et de la kiné.
—Oh ta gueule Clem, râla le joueur de mauvaise foi, tu vois bien que ça ne fonctionne pas.
Les trois hommes se reconcentrèrent sur la présentation en cours. Sur la scène, un homme d’une cinquantaine d’années, accompagné de trois assistants, présentait des nouvelles méthodes de rééducation, résultats de plusieurs études qu’il avait menées. Emeric fit un effort pour s’y intéresser puisqu’il pouvait être concerné par ces innovations, mais bien vite, il se sentit happé par le douloureux souvenirs de sa blessure quelques semaines plus tôt.
Ce jour-là, il avait vécu une descente aux enfers rapide passant en quelques minutes des lumières éblouissantes du stade à l’ombre de ses gradins. Il se rappelait parfaitement cette trente septième minute de jeu où il avait armé son pied gauche pour tenter une reprise de volée vers les buts avant d’être percuté par le défenseur italien. Il entendait encore la stupeur des supporters tandis qu’il était au sol, les mains enserrées sur sa jambe disloquée. Il revoyait la mine déconfite de ses équipiers autour de lui et leur regard désolé. A ce moment-là, ils savaient tous ce qu’il en était, lui aussi savait.
Et maintenant il se demandait jour et nuit ce qu’il adviendrait de l’avenir. Les doutes et la peur de ne plus jamais toucher un ballon ne le quittaient plus.
Il n’avait toujours eu que le football, il lui avait consacré toute son énergie et dédié toute sa vie. Pour ce sport, il avait fait de nombreux sacrifices et transpiré ses trippes à chaque entraînement, à chaque match. Etape après étape, il avait gravi les marches du haut niveau, plaçant ses objectifs toujours plus loin. Chaque palier franchi lui apportait un nouveau défi et le rapprochait de son rêve ultime. Jusqu’à cette trente septième minute de France – Italie où tout s’était écroulé comme un château de cartes.
Avec de la patience, il est toujours possible de reconstruire l’édifice carte après carte mais le joueur perdait espoir au fil des jours. L’équipe qui l’entourait se montrer confiante mais lui, il savait que remonter la pente serait impossible. Aucun autre joueur n’avait réussi cet exploit après une blessure d’une telle gravité. Ceux qui avaient vécu une situation similaire avaient tous mis fin à leur carrière prématurément et étaient tombés dans l’oubli.
Emeric n’était pas encore prêt à l’accepter même si l’espoir de rejouer s’amenuisait petit à petit. C’était trop tôt pour raccrocher, trop tôt pour tomber dans l’oubli alors qu’il s’était enfin fait une place sur la scène internationale. Trop tôt pour tirer un trait sur son parcours dans la sphère du football et les nombreuses embûches qu’il avait dû enjamber.
A toutes ces pensées qui s’agitaient en lui, il sentit des picotements dans les yeux. Il les frotta avec ses mains, secoua la tête pour se ressaisir et observa la scène.
Le maître de conférences était en train de conclure avec l’intervenant sur le sujet des méthodes de rééducation chez les sportifs. Les trois assistants, deux hommes et une femme, souriaient l’air ravi. Enfin, pour la jeune femme, cela semblait plutôt être un sourire forcé.
Tandis qu’ils quittaient la scène et que l’on introduisait déjà la prochaine thématique, Emeric saisit l’occasion pour aller prendre l’air.
—Je vais dehors, indiqua-t-il au gardien de but à ses côtés.
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