Partie 2
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En retournant dans les coulisses, les premiers mots que lui adressa son mentor, le docteur Zabowski, furent les suivant :
—Ils ont eu l’air convaincu de nos méthodes, Grégory a vraiment fait un excellent travail avec ses patients pour étayer votre thèse. Par ailleurs, je souligne la rigueur dont vous avez fait preuve durant sa réalisation.
—Merci, répondit-elle avec un sourire forcé.
—Je retourne en salle, je vous laisse ranger le matériel avec Théophraste avant de nous rejoindre.
—Entendu.
Dès que le chercheur fut hors de vue, Claire Delcours laissa échapper une flopée de jurons. Evidemment qu’ils avaient été persuadés par les résultats de sa thèse sinon le docteur n’aurait pas risqué de la présenter. En revanche, elle ne s’était pas attendue à se faire balayer par « l’excellent travail » de Grégory. Qu’avait-il fait au juste sur cette thèse ? Il avait d’abord jugé la problématique sans intérêt au lieu de la soutenir. Il s’était ensuite résigné à l’aider quand leur mentor avait émis un avis favorable sur le sujet. Enfin l’aider, un bien grand mot. Il avait surtout mis en application le protocole de Claire sur ses patients sans son autorisation. Il avait argumenté que c’était le meilleur moyen pour elle d’obtenir des résultats fiables et rapides pour rédiger sa thèse. Il avait eu raison certes mais Claire ne pensait pas que c’est lui qui récolterait l’entièreté des fruits de ce travail et pourtant, c’était exactement ce qu’il venait de se produire.
Elle prit une grande inspiration et rejoignit Théophraste dans la petite loge derrière la scène.
—C’était super, l’accueillit l’étudiant enjoué. J’espère que le professeur me donnera aussi une occasion comme ça à la fin de mon cursus.
—Il le fera si l’opportunité se présente, confirma-t-elle. Où est Greg ?
—Il s’entretient avec une journaliste. Pourquoi c’est toujours lui qui intéresse la presse ?
Claire haussa les épaules, préférant ne pas mettre des mots sur son état d’âme à ce sujet.
C’était pourtant une évidence, si Grégory attirait autant la presse c’est parce qu’il était un excellent praticien dans son domaine mais surtout il était jeune, séduisant et un incroyable beau parleur. Il usait parfaitement de ces qualités pour développer son cabinet de kinésithérapie et étendre sa notoriété. Habilement, il avait joué de ses talents et des moyens financiers de sa famille pour se faire une place dans le sport de haut niveau et le suivi des athlètes. Après deux ans d’ouverture, Grégory avait une bonne clientèle et avait en charge le suivi de l’équipe nationale de volley-ball féminin.
Pour cela, Claire était admirative de son acharnement à atteindre les objectifs qu’il se fixait en maniant au mieux ses atouts. C’est sur ces derniers qu’elle émettait des réserves. Elle aurait souhaité le voir mettre en avant d’autres qualités plus nobles telles que la rigueur. Le voir jouer de son don oratoire et de son charme naturel auprès de la gente féminine, qui composait la majeure partie de sa clientèle, agaçait Claire.
N’était ce pas parce qu’elle y avait succombé elle aussi ?
Ils s’étaient rencontrés lors du premier stage de Claire auprès du docteur Zabowski. Grégory finissait alors sa thèse de fin d’étude et préparait déjà l’ouverture prochaine de son cabinet. Il n’avait fallu que peu de temps pour que Claire tombe sous le charme du jeune kiné et encore moins pour que celui-ci ne la séduise et qu’une relation intime naissent entre eux.
Cela faisait un peu plus de trois ans qu’ils étaient ensemble et leur relation était pour ainsi dire parfaite. Jamais de disputes, des attentions régulières l’un envers l’autre, des moments partagés ensemble et tout ce que l’on peut imaginer d’un couple épanoui.
Du moins en apparence, songea Claire tandis qu’elle pliait un poster de présentation.
Plus le temps passait et leur relation évoluait, plus elle se rendait compte que ce si parfait clochait. Il lui semblait de plus en plus que leur couple était superficiel, même bien trop lisse pour être réel.
Ou alors était-ce cela que l’on appelait la routine ?
Quoi qu’il en soit, Claire ne se sentait plus aussi heureuse aux côtés de Grégory. Et bien pire, elle était de plus en plus souvent déçue par ses agissements, comme cet après-midi où il avait dépassé les bornes en s’octroyant à lui seul les lauriers d’un travail qui n’était pas le sien.
—Tu peux rejoindre Grégory, la sortit de ses songes la voix de son collègue, je vais terminer.
La dernière chose que souhaitait Claire pour le moment, c’était bien de retrouver son compagnon. Cette fois, elle était vraiment remontée contre lui et prête à le confronter mais ce n’était ni le lieu, ni le moment.
—Je vais plutôt aller m’en griller une, répondit-elle.
Le jeune stagiaire secoua la tête avec dépit.
—Ce n’est pas comme ça que tu vas arrêter.
—Surtout que je n’en ai pas la moindre intention, répliqua-t-elle en s’éclipsant.
Claire se fraya un chemin dans le hall, en direction de la terrasse, parmi l’ensemble des participants qui profitaient d’un quart d’heure de pause avant la prochaine conférence. Elle tâchait en même temps de ne pas tomber sur Grégory.
Echec. Il la héla à l’instant même où leurs yeux se croisèrent et il lui fit signe de s’approcher. Comme il était en présence de deux interlocutrices, Claire ravala son mécontentement et le rejoignit un sourire forcé aux lèvres. Elle salua les deux femmes face à son compagnon, qui lui enserra aussitôt la taille et la présenta comme sa fidèle assistante.
Elle apprit ainsi qu’il était en pleine interview pour un magasine de santé.
—Vous comptez recruter d’autres kinés ayant appris auprès du docteur Zabowski ? questionna l’une des journalistes.
—Tout dépendra de l’évolution futur du cabinet. Pour le moment, avec Claire qui va pouvoir s’occuper de la clientèle générale, c’est suffisant pour assurer le suivi d’une dizaine d’athlètes supplémentaires.
—Vous devez être contente de pouvoir travailler dans un tel cabinet en étant tout juste diplômée ?
—Parfaitement comblée, répondit machinalement Claire.
Elle l’était, puisque l’on attendait d’elle qu’elle le soit. L’ensemble de son entourage ne cessait de lui répéter depuis des semaines qu’elle était chanceuse d’avoir déjà un avenir professionnel tout tracé et qui plus est avec son formidable petit ami. C’était vrai, qui ne serait pas heureux devant tant de chance ?
L’entretien se poursuivit sans que Claire soit de nouveau sollicitée. Elle faisait figuration auprès de Grégory qui, comme à son habitude, jouait son numéro de charme. Il fit plusieurs fois allusion au rôle qu’occuperait Claire auprès de lui dans l’entreprise. S’il ne cachait rien de leur relation, elle s’étonna néanmoins d’entendre le mot assistante au lieu d’associée. Toujours pour rester convenable, elle ne laissait rien paraître de sa déception. Ils en avaient pourtant parler longuement de cette association sur le cabinet, ils avaient établi l’accord parfait et ils ne leur restaient aujourd’hui qu’à signer les documents pour que ça devienne réel. Claire ne comprenait donc pas qu’il n’expose pas la vérité aux journalistes.
Quand celles-ci prirent enfin congés, Grégory s’exclama :
—Elles sont conquises, l’article va être super.
—Qui ne le serait pas, marmonna Claire. Tu peux me dire depuis quand je suis passée d’associée à assistante ?
—Ma puce, on en a déjà parlé. Il vaut mieux attendre que tu sois officiellement sur le cabinet avant d’en parler à tout le monde. Ecoute, j’ai seulement dit ce qu’elles voulaient entendre pour l’article. On retourne à nos places ?
—Vas-y, je te rejoins.
Il lui plaque un baiser sur le front et s’éloigna.
Claire, furieuse, fit volte-face et gagna la terrasse en jurant après son petit ami.
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