Partie 4

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* *

Que venait-il de se passer au juste ?
Emeric Vitelli se le demandait encore quand le gardien de but le retrouva sur la terrasse.
—Belle esquive ! s’exclama-t-il. Tu as loupé le meilleur sujet de la journée.
—Vraiment ? s’agaça le capitaine.
Estéban lui assena une tape amicale sur l’épaule, un sourire entendu sur les lèvres.
—Tu n’as pas idée ! Enfin, le bar est ouvert et, au cas où tu en aurais quelque chose à faire, le coach te cherche.
—Ok, soupira-t-il peu décidé à retrouver son entraîneur.
—Je peux te donner un conseil ?
Emeric haussa les épaules, peu lui importait. Un conseil de plus ou de moins, il en recevait tous les jours depuis des années.
—Profite de ce cocktail pour trouver une fille sympa et tirer un coup.
Sans attendre de réaction de son coéquipier, le gardien de but tourna les talons et se dirigea vers le grand hall où le cocktail de clôture se tenait.
Emeric reporta son attention sur la ville devant lui. L’intrusion de son ami ne l’avait pas détourné de ses pensées et de sa préoccupation du moment. Il l’avait en fait à peine écouté. Il n’avait qu’une chose en tête : ce regard vert plein de défis braqué sur lui et cette sensation électrisante qu’il avait ressentie. La confrontation avec ce regard avait été si intense, si magnétique qu’il avait dû baisser les yeux sur les lèvres pleines de la jeune femme. Un tas d’image indécentes avaient alors envahi son esprit, provoquant en lui une réaction à laquelle il ne s’attendait pas. Il avait eu envie d’embrasser cette folle furieuse et aurait certainement céder à la tentation si elle n’avait pas pris la fuite tout à coup.
Il n’avait pas pour habitude d’être dérouté de la sorte à l’idée de ressentir du désir pour une femme en sachant qu’il ne pourrait l’assouvir. Son statut de star du ballon rond faisait qu’il était convoité par des femmes aussi attirantes que désirables mais il n’avait jamais ressenti une telle attraction, même pour son ex.
Est-ce qu’il perdait la raison ? Il en avait bien l’impression.
Il se gratta la nuque et se dit qu’il devait oublier tout ça sur le champ. Son esprit lui jouait juste un sale tour.
En claudiquant, il regagna le grand hall avec l’idée de retrouver son entraîneur. Quoi de mieux que d’affronter le coach Nelson et sa rigidité de caractère pour se remettre les idées en place.
Quand il l’eut rejoint, celui-ci lui tendit une coupe de champagne en affichant une expression qui signifiait : « tu ne perds rien pour attendre ».
Ils trinquèrent en silence et Emeric se risqua à dire :
—C’était plutôt intéressant toutes ces conférences.
—Ne te fous pas de ma gueule Emeric, riposta l’entraîneur assez bas pour que personne d’autre n’entende. J’en ai fait courir toute la nuit pour moins que ça. Tu ne perds vraiment…
—Emeric Vitelli ! Coach Nelson ! furent-ils alors interrompus par la voix d’un journaliste qu’ils connaissaient bien. J’espère que vous avez tous les deux un peu de temps à m’accorder.
Les deux se tournèrent vers lui affichant leur sourire le plus faux et sympathique. L’un comme l’autre, ils détestaient la mascarade médiatique de leur sport mais avaient appris à s’y conformer.
—Bien évidemment, répondit le coach.

Pendant plus d’une heure, Emeric dut se prêter au jeu médiatique, répondant aux questions des différents journalistes, se laissant photographier avec son coach et le président du club qui les avait rejoints. Entre deux tournées de questions, il avait dû feindre de s’intéresser aux conversations autour des diverses conférences. Il sauta sur l’occasion offerte par Estéban et Guillaume, le kiné de l’équipe, qui les rejoignaient pour s’éclipser vers la terrasse.
Il retourna s’accouder à la rambarde et en profita pour soulager sa jambe blessée en prenant appui sur l’autre. Enfin la possibilité d’un peu de calme.
—Ah quelle aubaine, reconnut-il la voix. Vous êtes là !
Il fit volte-face pour voir miss énervée aux yeux verts fendre sur lui d’un pas déterminé.
—Vous avez toujours votre briquet ? demanda-t-elle.
Muet de surprise, il le sortit de la poche intérieure de sa veste de costume et lui tendit. Elle s’en saisit et lui proposa une cigarette en échange. Ils allumèrent leur clope et Emeric s’apprêta à ouvrir la bouche mais elle le devança :
—Surtout ne dites rien, j’ai eu ma dose de cons là.
Il n’en croyait pas ses oreilles, comment pouvait-elle le rabrouer ainsi sans qu’il n’ait le temps de dire le moindre mot. Comme s’il allait se laisser faire.
—Ok miss énervée, c’est vraiment sympa d’être à vos côtés !
—Je ne vous demande pas d’y rester ! rétorqua-t-elle sèchement en plantant ses yeux émeraudes sur lui.
—J’étais là avant vous, lui fit-il remarquer en détachant chaque syllabe.
Ils se toisèrent l’un, l’autre, pendant ce qui lui sembla une éternité puis la jeune femme se mit à rire.
—Je suis désolée, dit elle entre deux rires mélodieux. Il est temps que cette journée de merde s’arrête.
Elle se frotta les yeux, passa les doigts dans sa frange châtain et lui adressa un sourire. Il lui offrit le sien en retour ne pouvant se détacher du magnétisme de ses iris.
—Je ne suis pas aussi abrupte en temps normal, lui expliqua-t-elle. Mais là je suis suffisamment hors de moi pour ne pas avoir envie de supporter une de vos remarques de mauvaise compagnie.
Il se refusa à tout commentaire. Il n’avait certes peut-être pas été très cordial durant leur premier échange mais c’est elle qui avait commencé.
—Pourquoi vous restez dehors en permanence ? l’interrogea-t-elle.
—Disons que j’essaie d’éviter certaines conversations.
Ils terminèrent de fumer en silence, se jetant des regards de temps à autres. Emeric appréciait les traits fins de son visage et sa frêle silhouette. Il trouvait dommage qu’elle se cache derrière des vêtements aussi basiques qu’un jean et un t-shirt pour la mettre en valeur.
Le téléphone de l’inconnue près de lui sonna et elle laissa échapper un juron en le consultant.
—Un problème, se risqua-t-il à demander tandis qu’elle scrutait nerveusement les environs.
—Venez, dit-elle en le saisit par la main et en l’entraînant vers le coin le plus sombre de la terrasse.
—Qu’y a-t-il ? l’interrogea-t-il
Elle se retourna et s’appuya dos à l’angle des murs sans pour autant lâcher sa main.
—Disons que je cherche à éviter quelqu’un, l’imita-t-elle.
Emeric acquiesça et se rapprocha d’elle pour la dissimuler derrière lui. Bien que le contact de leurs mains lui donnait agréablement chaud, il se dégagea pour appuyer la sienne contre le mur. Il était un peu plus grand qu’elle et il était sûr, qu’avec cette posture, tout ce qu’on verrait était deux personnes en conversation intime sans que ni l’un, ni l’autre ne puisse être reconnu. Car s’il était prêt à jouer le jeu, il espérait que ça ne lui causerait pas d’ennui comme faire la couverture des tabloïds.
Sa complice du moment s’appuya d’une main contre son torse et se hissa sur la pointe des pieds pour regarder par-dessus son épaule. Il sentit la chaleur de sa paume sur lui ainsi que les effluves de son parfum aux notes envoutantes. Il serra les dents pour refouler la vague de désir qui grimpait en lui et se concentrer davantage sur le subterfuge en cours.
—Merde, souffla-t-elle
—Cessez d’essayer de voir par-dessus moi.
—Mais …
—Pour quelqu’un qui veut se cacher, la coupa-t-il, vous n’êtes pas discrète. Regardez-moi !
Elle s’exécuta et plongea ses iris vertes dans les siennes. Cela acheva toute tentative de résistance chez Emeric. Elle était trop proche de lui, trop enivrante, trop agaçante, trop attirante, trop, trop…
Il succomba, allant à la rencontre de ses lèvres. Elle parut d’abord surprise par leur contact mais bien vite, il la sentit fondre contre sa bouche, entrouvrant ses lèvres pour mieux se laisser goûter. Emeric se délecta de sa douceur. Avide d’en avoir plus, il s’autorisa, d’une main dans son dos, à la rapprocher encore plus de lui. Elle agrippa sa nuque, s’offrant un peu plus à son baiser. A cet instant, il lui sembla que le temps avait interrompu sa course, les enveloppant dans une bulle où il n’y avait plus qu’eux. Deux inconnus passés par le même désir.

Combien de minutes s’étaient ils embrassés, Emeric n’en n’avait aucune idée quand il mit fin à leur échange, trop haletant pour poursuivre. Dans le même état que lui, sa complice desserra sa nuque et prit appui sur son torse. Ses joues rougies, ses lèvres gonflées, les yeux encore fermés, elle affichait un sourire satisfait, savourant aussi, probablement, leur échange. Il la trouva encore plus irrésistible ainsi.
A bout de souffle, il appuya son front contre le sien et attendit que les deux émeraudes le fixent à nouveau.
Il pensait y voir de la passion comme lui, il n’y découvrit que de la panique.
—Oh… c’était… c’était… mer…, bredouilla-t-elle. Mer… merde. J’ai fait n’importe quoi !
Elle se dégagea de ses bras et prit la fuite le laissant complètement désemparé.

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