2.4
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Emeric maintint la porte pour laisser passer la kinésithérapeute.
Elle ! Pourquoi elle ?! Pourquoi fallait-il que ce soit elle ?! Elle n’était quand même pas la seule praticienne qui existait ?
Il se serait attendu à n’importe qui sauf à elle, qui l’avait laissé comme un con sur cette terrasse.
Quelle poisse !
Pas un jour n’était passé depuis leur rencontre sans qu’il n’ait repensé à elle et ses yeux verts. A la façon dont elle l’avait défié d’entrée de jeu. Aux émotions qu’elle avait provoquées chez lui et dont il ne parvenait plus à se débarrasser. Ils n’avaient même pas eu une réelle conversation, encore moins fait connaissance et pourtant elle avait réussi à l’envoûter. Il l’avait embrassé, oubliant les risques qu’il aurait pu s’attirer. Elle avait ensuite blessé sa fierté.
Ce n’était qu’un stupide baiser !
Il se passa rageusement la main dans les cheveux avant de se remettre en marche. S’il avait eu un ballon à proximité, il aurait volontiers frappé dedans pour évacuer la frustration qui l’accablait. Il devait oublier tout ça le plus vite possible.
Heureusement, il avait réussi à rester impassible quand il l’avait reconnue. Il comptait bien continuer à jouer la carte de l’indifférence. Pas question qu’ils évoquent ce qu’il y avait eu entre eux ce jour-là, il ferait comme s’ils ne s’étaient jamais vus. Et si, à voir la façon dont elle avait rougi, cela la mettait mal à l’aise, c’était tant mieux. Après tout, c’était de bonne guerre.
Cependant, cela n’expliquait pas pourquoi elle se trouvait à nouveau sur son chemin. Il avait du mal à imaginer que ce soit le pur hasard qu’elle ait justement postulé au club. Il savait que Messaoudi cherchait un kinésithérapeute supplémentaire depuis environ quatre semaines. Etrange coïncidence, il l’avait choisi, elle, à peine une semaine après la conférence alors que jusque là il avait refusé plusieurs candidatures.
Emeric avait deux hypothèses : soit elle s’était servie de leur rencontre pour obtenir la place et avait réussi avec brio. Soit elle était une de ces groupies à footballeurs qu’il haïssait tant et elle avait profité de l’occasion pour se rapprocher des joueurs.
De lui ?
Ce ne serait pas la première à lui courir après et à utiliser des subterfuges pour l’atteindre. Il devait, dans ce cas, reconnaître que pour feindre de ne pas savoir qui il était et paraître aussi désintéressée à la conférence, elle était particulièrement douée en ruses.
Quoiqu’il en fût, aussi près du but était-elle, le jeu s’arrêtait là. Elle était dans son univers maintenant et c’était à son tour de s’amuser avec ses propres règles.
Sans échanger un mot, il l’avait conduite jusqu’à leur salle de pause, sûr d’y trouver une bonne partie de l’équipe avant le débrief du match de samedi avec le coach.
Il ouvrit la porte avec énergie, fit signe à la praticienne de le suivre et siffla dans ses doigts pour attirer l’attention de ses équipiers.
—Les gars, c’est la nouvelle kiné ! leur annonça-t-il.
Tandis que certains approchaient pour la saluer, il la vit devenir cramoisi et agiter maladroitement la main pour leur répondre. Elle, qui paraissait si sûre d’elle quand elle lui avait demandé son briquet sur la terrasse avant de le défier de dire un mot, semblait parfaitement intimidée à présent.
—Elle s’appelle comment ? demanda Jérémy Landreau, l’un des défenseurs, depuis le comptoir où il s’était attablé avec les deux gardiens de but pour prendre leur café.
—Claire Delcours, répondit dédaigneusement Emeric.
Comme il s’y était attendu de ses camarades et surtout des plus jeune, les questions fusèrent : savait-elle de qui elle s’occuperait, avait-elle des techniques de massage secrètes, les accompagnerait-elle en match, avait-elle l’habitude d’utiliser les crochets et ainsi de suite.
Emeric s’amusa un instant de l’embarras dans lequel elle se trouvait avant de s’avouer pour lui-même qu’il avait peut-être été un peu loin en la jetant ainsi dans l’arène. Les gars avaient beau être tous des mecs bien, quand ils étaient ensemble, ils n’en restaient pas moins une bande de gamins un peu lourds et indisciplinés.
—Stop, rugit-il pour ramener le calme. Ça suffit !
Il se tourna vers la jeune kinésithérapeute et croisa son regard vert qui éveilla en lui un sentiment coupable.
—Venez, dit-il, je vous emmène voir Guillaume, notre kiné.
Ils ressortirent de la salle des joueurs et elle dut reprendre son souffle avant de le suivre dans le couloir.
—Ils sont toujours comme ça, se risqua-t-elle à lui demander au bout d’un moment.
—Parfois pire, éluda-t-il.
Emeric frappa deux coups à la porte du bureau de staff médical et entra.
L’ensemble de l’équipe médicale ainsi que l’entraîneuse adjointe étaient occupés à travailler en prenant leur café. Guillaume Voggel, le kinésithérapeute et un de ses plus proches amis, releva la tête de son bloc note.
—Tiens donc ! Te voilà enfin ! s’exclama-t-il. On n’avait pas une séance plus tôt ce matin ?
—Non, mentit Emeric avec aplomb. Tu as encore dû te tromper de planning. Je t’ai ramené ta nouvelle recrue.
Il s’écarta pour laisser place à la silhouette frêle de la jeune femme. Cette fois, il fit un effort pour lui faire les présentations et lui désigna tour à tour : Guillaume, Clément le préparateur physique, Sabrina l’entraîneuse adjointe et Fanny la médecin. Tous l’accueillirent chaleureusement et Guillaume lui proposa de prendre un café avec eux pour commencer.
Emeric, qui souhaitait malgré les apparences en apprendre davantage sur la nouvelle praticienne, se servit à son tour et s’appuya contre le rebord d’un meuble. Ainsi en retrait, il pouvait l’observer et ne rien louper de leur échange.
—Je te ferais le reste de la visite et le tour des machines, expliqua Guillaume à sa consœur. Tu viendras avec moi pour l’entraînement cet après midi et on fera le point sur les joueurs à…
—Dix sept heures, confirma Fanny avant d’ajouter : j’imagine que tu vas devoir créer un programme de travail, quand t’ont-ils demandé de débuter ta prise en charge ?
La kinésithérapeute leva un instant les yeux sur Emeric puis répondit avec assurance :
—Mon programme sera prêt pour la fin de la semaine et mis en application dès le lundi suivant.
—Ca te laisse un peu temps pour bien cerner le problème, commenta le préparateur physique.
—Et choisir de fuir au plus vite quand tu sauras à quel point ils sont pénibles, renchérit l’entraîneuse.
En bon spectateur, Emeric ne perdait pas une miette de la conversation. Si la jeune femme avait simplement haussé les épaules à la remarque de Sabrina, il avait bien perçu les regards tantôt assurés, tantôt inquiets qu’elle lui adressait. Il se doutait bien que si elle braquait sur lui ses iris vertes c’était pour essayer de jauger la situation tout comme lui. Elle avait cependant un train d’avance sur lui car il ignorait tout du programme qu’ils évoquaient. De ce qu’il savait Guillaume avait juste émit le souhait de se décharger d’une partie de son suivi des joueurs et il n’avait jamais fait mention de la mise en place de programme.
—Niveau foot, tu t’y connais bien, demanda le préparateur physique pour changer de sujet.
La praticienne eut un petit rire avant de répondre avec malice :
—Je sais que la France a gagné la Coupe du Monde en 1998 et en 2018. Je crois comprendre approximativement cette règle de hors-jeu et Cristiano Ronaldo est aussi beau que légendaire.
L’ensemble de l’équipe s’éclaffa de rire. Emeric, lui, manqua de s’étouffer avec sa gorgée de café.
—De mieux en mieux, laissa-t-il échapper mi-figue mi-raisin. Le coach va être ravi d’entendre ça.
Fanny, la médecin de l’équipe, le fusilla du regard prête, à n’en pas douter, à le sermonner mais la jeune kinésithérapeute la devança en le fixant durement :
—Je sais aussi que les blessures les plus fréquentes sont les entorses, les tendinopathies et les lésions musculaires. Je n’ai pas besoin de savoir ce qu’est un corner pour connaître la biomécanique du corps et proposer des exercices pour prévenir des risques de blessures ou gérer le post-traumatique.
—Je suis tout à fait d’accord, approuva Fanny. D’ailleurs Emeric, pourquoi tu ne vas pas avec les autres ?
—Parce que tu fais du meilleur café et que connaître les compétences de mademoiselle Delcours me semble indispensable.
Il adressa un sourire moqueur à cette dernière qui l’observait à présent avec ce même air de défi que lors de leur premier tête-à-tête. Il était sûr qu’elle mourrait d’envie de lui faire une remarque cinglante. Il croisa les bras en attente, le regard rivé sur ses yeux verts. Mais ce fût Sabrina qui porta le coup de grâce.
—En attendant, elle vient de te mettre 1 à 0 alors au lieu d’être con, tu ferais mieux de prendre de l’avance pour être au brief.
L’entraîneuse se leva, lui prit sa tasse des mains d’autorité et lui enjoignit de sortir.
Il croisa une dernière fois le regard émeraude de la kinésithérapeute en sortant et se dit que ce n’était que partie remise.
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