Chapitre 2 : Menaces.
Noah avait toujours les côtes bien gardées. Si ses copains manquaient à l’appel, cela ne signifiait qu’une chose : une fille ne devait pas être très loin. Une fille qui finirait sans aucun doute aussi déçue que toutes les autres. Le garçon était connu pour se lasser très vite, ou bien, aimait-il juste la diversité ? Quant à Christopher et Sébastien, alias Chris et Seb, ces deux-là baignaient dans les mêmes idées. Il ne manquait qu’une planche sous le bras du premier pour qu'il prétende être originaire d’Australie. Par-dessus le marché, le blond s’exerçait à la natation. Il avait gagné quelques prix et s’en vantait régulièrement, bien que toute sa crédibilité s’en était allée le jour où il avait glissé au bord de la piscine municipale. Seb ne manquait jamais de lui rappeler cet épisode. Pourtant, ce dernier avait la langue bien moins pendante et c’était ce charme en particulier qui lui valait des conquêtes. Ça, et son goût pour la fête, là où l'exotisme de sa peau hâlée, ainsi que de ses yeux en amandes jouaient le plus en sa faveur.
Le dernier membre de la bande était étonnement le plus proche de Noah. La raison était qu’ils se connaissaient depuis presque toujours. Erwan était un gars qui donnait l’impression de s’en foutre de tout. La seule chose que l’on remarquait chez lui était ce pantalon qui tombait sur ses fesses et le bonnet sur sa tête, qui ne le quittait jamais. Par dessous, l’on trouvait des cheveux mal coiffés, qui faisait de l’ombre à ses yeux cernés. Contrairement à ses potes, la seule chose que ce dernier avait dû pouvoir manipuler entre ses mains devait s’apparenter à une manette de playstation. Aucune nana à l’horizon, ce qui donnait l’occasion à ses potes de le charrier. Soit disant, penchait-il pour l'autre bord, ce à quoi Erwan répondait par un flirt improvisé, car derrière ce visage impassible se cachait un humour chargé.
Personne n’aurait pu imaginer que ce gars-là changeait du tout au tout la nuit venue. Si bien que Judith ne l’avait pas reconnu tout de suite à sa sortie de l’ascenseur. Le garçon bien fringué lui avait filé le tournis, et davantage quand il eut retiré son chapeau, l’instant même où une idée fantastique lui traversa l’esprit. Parée d’un immense sourire, elle régla son premier paiement auprès de Monsieur Gilles.
La politique du Major voulait que le premier entretien consiste en un tête-à-tête. Il avait lieu dans le bâtiment même et toute relation sexuelle était proscrite : une petite heure où la cliente et l’escort devait en profiter pour apprendre à se connaître. Cette discussion avait pour but de poser les bases, ainsi que les limites entre les partenaires.
Judith fut sidérée du changement de comportement de “Kley”. À l’instant où les billets quittèrent ses mains, un doux sourire orna ses lèvres. Elle gloussa lorsqu'il l’invita cordialement à le suivre. Quant au dernier regard qu'elle octroya au réceptionniste, il en disait long.
- Quelle petite peste ! s'exclama Monsieur Gilles.
***
L’ascenseur les projeta deux étages plus haut. Erwan, ou Kley, elle ne savait plus comment l'appeler, emprunta délibérément un chemin tranquille, ce qui ne manqua pas de l'interpeller.
- Pourquoi on ne passe pas par là ? releva-t-elle l’endroit où passait d’autres escorts.
- C'est plus intime, répondit-il, en se retournant à peine.
En effet, le couloir qu’ils empruntèrent les plongea dans une ambiance tamisée. Les murs insonorisés et recouverts de velours faisaient un poil vampirique, mais Judith apprécia le décor. À destination, Kley sortit une clé de sa poche et en joua. Enfin, il la regardait dans les yeux. La porte ouverte, il l’invita à entrer d’un large mouvement, sa main se calant dans son dos au premier pas qu’elle entreprit. La première chose qui la frappa dans la chambre fut ce mini-bar vers lequel Kley se dirigea :
- Qu’est-ce que je peux vous servir ?
- … Un jack, répondit-elle, alors que son sourire grandissait. Et on peut se tutoyer.
- Très bien, acquiesça-t-il.
Deux verres à Whisky apparurent sous son nez. Kley les remplit en gardant brièvement un regard sur sa cliente. Elle ne pouvait s’empêcher de rigoler toute seule. De rebonds, elle testa l’épaisseur du matelas tandis que ses doigts délicats gagnaient la douceur des draps sombres.
- Tu te refuses rien !
Elle faisait référence maintenant au tapis zébré sous lequel trônait de larges fauteuils, le bar juste en face, à disposition. Il semblait qu'un dressing était dissimulé derrière le mur où trônait les bouteilles. En guise de réponse, Kley brandit les deux verres, l'incitant à s'asseoir, ce que fit Judith, le tout en prenant une gorgée. Ses prunelles se balladèrent dans les siennes tandis qu’il l'imitait. Combien de femmes avait-il baisé sur ces divans ? La rouquine sut faire le tri parmi toutes les questions qui l'envahissait pour n'en poser qu'une seule :
- Kley, c’est ça ? Depuis quand travailles-tu ici ?
- Ça m'aurait étonné que je passe à côté de l’interrogatoire.
- Ha ! Comment je pourrais ne pas demander ?? Je veux tout savoir, déclara-t-elle férocement.
- Ça n’a rien d’exceptionnel, répondit-il, las, et en remontant ses manches.
- Tu trouves ? Ce n’est pas tous les jours qu’on apprend qu’un de ses potes vend son corps.
- … Je ne savais pas qu’on était potes.
- Sois pas méchant ! Je vais le dire à ce vieux croûton si tu ne travailles pas bien.
La noirceur dans le regard de Kley s'effaça rapidement. Judith devina qu'il prenait sur lui. Elle en eut la confirmation quand il s'adressa à elle avec aussi mièvre que menaçante.
- J’aimerais beaucoup savoir ce que tu fais… là, dit-il, en jouant de ses doigts sur l’accoudoir.
- Je m’ennuie des gars de l’école.
- Du coup, tu as décidé de trouver l’âme soeur dans un bordel, intéressant !
- Haha ! Je ne cherche pas l’amour, mec !
- Qu’est-ce que tu cherches alors ?
- Je veux m’envoyer en l’air, mais… pas avec toi ! Ca, c’est sûr. Moi, j’ai demandé les services d’un homme. Un homme comme Adam…
- Va donc retrouver Adam, suggéra-t-il.
- Si je le pouvais, je le ferais. Mais apparemment je suis trop jeune pour accèder à ses services, comme toi, d’ailleurs, pour les entreprendre.
Kley l'observa enfoncé son coude dans le dossier derrière elle, sa joue reposant au creux de sa main. L’étincelle qu’il trouva dans son regard, à l'instar de celle d'une enfant prête à faire une farce, lui déplut.
- Tu veux quoi ? lança ce dernier.
- Je m’ennuie tellement, ce serait bête de pas profiter de ton petit secret. Tu crois pas que t’es le mieux placé pour me divertir, le temps qu’ils acceptent de me donner quelqu’un d’autre ?
- Quoi, tu veux que je te divertisse, c’est ça ? pouffa-t-il pour tenter de chasser l’exaspération qui grimpait en lui.
- Ouais, il n'y aurait rien de sexuel ! On se ferait des restos de temps en temps, ou on irait au cinéma… Oh, je sais ! J’ai jamais fait de bowling, tu pourrais m’accompagner pour ma première fois ? Je parie qu’avec ce boulot, tu fais ça un tas de fois !
- En gros, tu veux me faire perdre mon temps. Trouve toi un mec, Judith… Ah, mais oui, on dirait que c’est pas dans tes cordes, répondit-il sur le même ton agaçant qu’elle avait utilisé jusque-là, ce qui la fit se redresser. Bon, au pire, tu peux sortir avec tes supers copines… Tu sais, Éloïse et Clara ?
Il n’arrivait cependant pas à lui faire effacer cet air de gagnante.
- Tu feras l’affaire, déclara-t-elle. Tu n’as pas le choix de toute façon. Parce que je te paye et parce que ce serait dommage que tout le monde soit au courant de tes petites activités extra-scolaires.
Kley se pinça les lèvres.
- C'est ridicule... J’ai aucune envie de jouer au faux couple avec toi.
- Pourquoi ? C’est un plan parfait ! Tu gagnes de la thune, tu me divertis, je m’amuse, et je garde une porte ouverte sur le Major. Avec un peu de chance, ils finiront par accepter que je consomme du mâle ! Allez, accepte, et tu pourras continuer à travailler ici.
Il envisagea son plan la tête baissée, assez d'exemple avec l'école pour savoir que rien ne la ferait changer d'avis.
- Ok, marché conclu.
- Génial ! s’exclama Judith, en sautant de joie. T’inquiète pas, avec moi tes petites activités illicites seront bien gardées.
Dès lors, ses deux petites canines apparentes lui firent le même effet qu’à Monsieur Gilles. Cette fille était un cancer. Il attrapa la main qu'elle lui tendit en gage de promesse. La poignée échangée, Judith finit son verre d’une traite. Elle cambra le dos pour le redéposer, ses fesses atterrissant au niveau du visage de l’escort. Agacé du regard coquin qu’elle lui lança, il détourna la tête. Son cul ne l’intéressait pas et il fut bien content de le voir s’éloigner, en direction de la sortie.
- Ciao, ciao, “Kley” ! On se voit à l’école de toute façon, avec le toi, qui n’est vraiment pas cool !
Aussitôt partie, aussitôt il relâcha la pression. Kley fondit dans le fauteuil, sa nuque écrasée contre le dossier. Il apporta sa main à l’arête de son nez, qu’il pinça sévèrement.
- Et merde…
D'un air sombre, il fixa le bar. Il lui faudrait bien un deuxième verre.
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