Chapitre 3 : "C'est dégueulasse."

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Cinq minutes à pied séparaient la maison d’Erwan et l’arrêt de bus où il descendait tous les matins. Le trajet en transport ne durait pas plus longtemps, et il en allait de même pour la petite balade rafraîchissante qui effectuait pour se rendre au lycée.

Erwan appréciait ce rituel, sauf peut-être le lundi. Le premier jour de la semaine était toujours le plus difficile après un week-end chargé à travailler. Travail qui lui demandait de se donner physiquement.

Adossé à l’entrée de l’école, il attendait ses copains, assailli par les courbatures. Il vit malheureusement arriver avant eux le mal en personne. Judith descendait de la grosse bagnole de son chauffeur. Voilà pourquoi elle n’avait aucun problème à se payer ses services, ses parents étaient bourrés de thune.

Bien qu’il essaya de se faire tout petit sous son bonnet gris, la rouquine se manifesta en le lui arrachant de la tête.


  • Salut p'tite pute ! chantonna-t-elle. Comment tu vas ?

Erwan lui reprit de force, et ne la salua pas en retour.

Son envie de l’étriper fut difficile à réprimer. 


  • Tu me nies là ? envoya-t-elle, d’une bouille faussement attristée.
  • Tu devrais revoir ta façon de saluer les gens…
  • Quoi, tu préfères que je t'appelle Kley ?
  • Mais... Tais-toi ! Ne m'appelles pas comme ça, marmonna-t-il entre ses dents.
  • Oooh, mais tu es tendu comme un string !
  • Arrête ! Tu me veux quoi, sérieusement ?
  • Pfff, je voulais savoir quand tu étais libre, pour… tu sais quoi. J’ai besoin de ton horaire pour m’organiser avec les cours et puis donne moi ton numéro de téléphone, tu me l’enverras par message.

Aussi discrètement que possible, il lui cita les chiffres un par un. Erwan travaillait tous les week-ends et quelques mercredis après-midi.


  • Les mercredis… cool, ce sera pratique ! lança-t-elle avant de s’égarer, en joie à la vision de l’arrivée de ses copines.

Plus vite que la lumière, ce sont ensuite les garçons qui déboulèrent autour d’Erwan.


  • Depuis quand tu parles avec elle ? le questionna Noah, qui s’attarda sur les fesses de cette dernière.
  • … On ne se parle pas. Je crois qu'elle voulait juste faire la conversation avant qu’elles arrivent.
  • Fais gaffe, ce genre de filles manipulent tout ce qui bouge ! s’exclama Seb.
  • Il n’a pas tort, et celle-là, c’est une vraie garce…
  • Noah. On sait que tu l'aimes bien au fond, fit-il en jetant un regard rieur à son acolyte.
  • Rien avoir, c'est une salope ! se défendit-il aussitôt.
  • Ouais et c'est pas du tout ton style de fille ça, hein, se moqua Seb.

Il se laissa aller à un grand rire ironique. Noah avait effectivement montré un certain acharnement à l'égard de Judith. Souvent, il se montrait désobligeant, mais son attention envers elle grandissait à mesure qu’elle le rejetait. Il était curieux pour lui qu’une fille n’atterisse pas facilement dans son lit. Erwan en avait parfaitement conscience, et il se demandait comment Noah réagirait s’il apprenait pour leur petit arrangement.


***


Durant l’heure d’étude du matin, ce fut autour des filles de se laisser aller aux rumeurs :

  • De quoi tu parlais avec Erwan ? lança Eloïse, qui grignotait un biscuit telle une petite souris.
  • De rien, j’attendais que vous arriviez, répondit Judith, simplement.
  • J’espère bien ! Parce qu'il n'a franchement pas l’air d’être un bon parti, surenchérit Clara. D’ailleurs, vous avez entendu la nouvelle ? Il paraît que Violette se fait payer, murmura-t-elle à quelques centimètres du visage de ses copines. Je savais que c’était une salope, mais une prostituée…
  • Ce n’est pas juste une rumeur ? répondit l’autre.
  • Bah, aujourd’hui ou demain, c’est comme ça qu’elle finira !

Judith, enfermée dans ses pensées, se fit réveiller par une boulette de papier qui atterrit sur son crâne. Noah… Elle le foudroya sur place.

  • Vous êtes pas discrètes, les filles ! On vous entend.
  • Tu crois qu’on essayait d’être discrètes, pauvre tâche ? lança Clara.
  • Mince, moi qui pensait vous donner une confirmation…

Piquée par une folle envie de connaître la suite, la blonde s’invita à la tables des garçons. Chris se prit une tapette sur la joue à l’instant où il glissa un œil dans son décolleté, ce qui fit sourire Seb, ravi de l’avoir à ses côtés.

Bientôt, ils furent tous installés autour du bureau où s’accumulaient les bonbons et boissons achetés précédemment aux distributeurs.

  • Vas-y raconte, Noah. Tu l’as payé ? l’interrogea Clara, vicieuse à souhait.
  • Nan, mais j’ai des potes qui soutiennent que c’est vrai, répondit-il en haussant les épaules.
  • Quelle honte, dit Éloïse.
  • Bah alors, où est passée la solidarité féminine ? lança Seb.
  • Moi en tout cas, l’idée me plaît bien, plaisanta Chris.
  • C’est bien une réponse de mec ça !

Judith, qui était restée jusque-là aussi silencieuse qu’Erwan, ce dernier jouant mécaniquement à un jeu sur son téléphone, fut illuminée d’une idée.

  • Moi aussi, j’ai un scoop pour vous !

Il remonta la tête d’un coup, le reste du groupe en haleine.

  • Apparemment, ce ne sont plus uniquement les femmes qui se prostituent maintenant ! J’ai vu ça à la télé l’autre jour, des hommes qui vendent leurs corps, ça donne envie, nan ?
  • Tu nous prends pour des cons ? Depuis le temps que ça existe, lâcha Noah, railleur. Gagner de la thune en baisant, si c’est pas la belle vie, ça !
  • Tu parles en connaissance de cause ? le charia Seb.
  • Oh, ta gueule !
  • Ouais, dis-nous, Noah. Tu le ferais, toi ?
  • Ça va pas la tête… C’est dégueulasse ! Pas moi !

Judith enfourna des billes au chocolat dans sa bouche, pliée en deux.

  • Toi qui disait que c’était le pied y a deux secondes ! Les gars ? Ça vous tente pas d’élever le prix de vos bijoux de famille ?
  • Le plan me paraît intéressant, avoua Seb.
  • Vu ta gueule, tu ferais pas fortune, dit son copain blond.
  • T’as vu la tienne !

Les filles éclatèrent de rire tandis qu’ils se lançaient des bonbons à la figure. Le boucan attira des têtes curieuses. Judith, fière, adressa un petit sourire en coin à Erwan :

  • Et toi ? Tu le ferais ?

Il s’immobilisa.

  • Filles ou garçons, je ne pense pas que ce soit un choix facile à faire. On rigole, mais généralement les gens font ça pour la thune.
  • Pourquoi pas par pur plaisir ?
  • Par plaisir ? lâcha-t-il, d’un rire étouffé. Tu crois vraiment que c’est une option ?

Erwan devint si sérieux que cela jeta un froid parmi le groupe. Ses copains ne le connaissaient pas sous le joug de la mauvaise humeur. Il fit de son mieux pour la garder en lui-même, mais le débat qui prit de l’ampleur autour d’eux lui donna du fil à retordre. Constater que Judith jubilait de son malaise le rendit complètement fou.

  • Je vais pisser, dit-il, mais personne autour de la table n’y fit attention.

L’effervescence loin de lui, il arriva à relâcher la pression, mais quand il tomba sur Judith à la sortie des toilettes, il explosa.

  • C’est quoi ton problème ?!

Il l’attrapa à part, mais il n’y avait de toute façon aucun élève pour assister à cette scène. Judith joua immédiatement à celle qui n’avait rien à se reprocher.

  • Arrête ! s’écria-t-il. Arrête de faire des allusions ! C’est peut-être un jeu pour toi, mais ça ne me fait pas rire…
  • Bah, c’était pour rire pourtant.
  • Évite, s’il te plait ! T’as aucune idée de l’importance…

Il se ravisa, le poing fermé. Il lui aurait fait manger.

  • Tu parles pas de ça ici, c’est tout, dit-il plus calmement.
  • Sinon quoi ?
  • Sinon rien ! Y a pas toujours des conditions à tout, mais ça, je m’attends pas à ce que tu le comprennes. Alors, laisse tomber.
  • He, attends, dit-elle en le voyant faire demi-tour. Erwan…
  • Je veux même pas que tu m’adresses la parole, ça tu le feras avec Kley… Celui qui se prostitue par pur plaisir.

***

Les jours qui suivirent, Judith fit baisser de nombreux yeux, égale à elle-même. Cependant, f ace à Erwan, ce fut elle qui les détourna. Elle n’avait pourtant plus évoqué le sujet une seule fois.

Une nouvelle occasion de se faire belle se présenta à Judith. Elle avait décidé d’assortir sa jupe rouge et moulante, à ses converses blanches, un simple t-shirt pour haut.

Armée de son veston et de son sac à main, elle débarqua au Major et rendit à Monsieur Gilles son faux sourire :

  • Vous allez bien ? lui demanda-t-elle sans attendre une quelconque réponse.
  • On ne peut mieux, et vous, Mademoiselle ? Contente de passer la journée avec Kley ?
  • J’aurais préféré m’envoyer en l’air avec Adam, répondit-elle en sortant ses créoles pour les ajuster à ses oreilles.
  • … Parfait ! Je le préviens de votre arrivée.

Kley ne se fit pas attendre cette fois. Tout vêtu de jean, son t-shirt noir dénotait. Judith le regarda de haut en bas à son approche. Il portait ses bijoux et il avait pris le temps de se coiffer. Jouant de son sac à main, elle songea que dans ce rôle, il n’était pas si mal.

  • Tu es très jolie, dit-il au moment de la saluer, sa main se glissant sur son avant-bras. J’ai réservé un taxi, il nous attend à l’entrée. Si tu veux bien me suivre ?
  • Où va-t-on, exactement ?
  • Tu as dit vouloir faire un peu de shopping, alors je t’emmène dans un super centre-ville. Meilleur que le notre, fais-moi confiance.

Judith accepta d’attraper sa main. Cela lui fit bizarre de la sentir dans la sienne, alors qu’il lui avait hurlé à la figure quelques jours auparavant. Les deux jeunes se dirigèrent vers le taxi qui n’avait rien du bolide jaune qu’elle s’était imaginée.

De la belle voiture noire, un homme sortit et ôta sa casquette de chauffeur en guise de salut. Adam lança un clin d'œil à la rousse qui sauta de joie.

  • Tu es là ? Mais tu n’es pas un escort ?
  • Adam fait aussi office de chauffeur quand il n’a pas assez de clientes, rétorqua Kley.
  • Tu as la langue bien acérée comme d’habitude, répondit-il, en ouvrant la portière à Judith.
  • Moi, je suis ravie ! Ce n’est pas tous les jours qu’on se fait conduire par un homme aussi sexy, gloussa-t-elle.
  • Merci, princesse. Allez, en voiture, on est parti ! Ah, et Kley…
  • Quoi ?
  • Prends-en de la graine.

Ce dernier poussa un grognement avant d’entrer dans le taxi. Sur le trajet, il constata au travers du rétroviseur les regards que Judith avait pour son collègue. Il avait beau essayé de jouer au mieux son rôle, le Erwan en lui redoutait cette journée en sa compagnie.

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