Chapitre 9 : Les bons menteurs.

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Une fête.

En repensant à sa querelle avec Kley, ou Erwan, ou Kley… ? Elle ne savait plus comment l’appeler, Judith sentit la colère l’envahir. La tête dans sa penderie, elle fit voltiger les cintres à l'intérieur. Le constat restait le même au plus les heures passaient : elle n’avait rien à se mettre pour cette soirée. Rien qui ne lui plaisait, car elle ne manquait pas d'habits à enfiler.

Tel le renard se faufilant dans son terrier, elle se fraya un chemin entre les piles de vêtements abandonnées sur son lit. Assise, les genoux ramenés à sa poitrine, elle resta inerte un moment, réfléchissant.

Elle se rappelait de la menace de Kley : “Si tu te pointes au Major samedi prochain, t'auras pas le choix que de me suivre là-bas.”

Quel abruti ce type. C’était le but. Sauf si peut-être, elle ne trouvait pas de tenue… Mais et puis quoi encore ? Après tout, elle avait payé pour ce moment avec lui. Bien évidemment qu’elle irait au Major, comme tous les précédents week-ends. S’il ne pouvait pas baiser, ce n’était pas son problème.

Quant à la robe, elle en trouverait une du tonnerre d’ici là.

***

D’un air embêté, Eloïse referma son journal de classe :

  • Désolée Judith, mais depuis notre dernière sortie… Mes parents estiment que j’ai eu mon quota.
  • … Tu peux pas les amadouer ? Appelle-les. Dis-leur que tu fais juste du shopping avec moi… Si tu veux, moi, je leur demande.
  • Ju’… Non, je ne préfère pas. Ils n’apprécieront pas, et à leurs yeux tu n’es pas vraiment la copine référence.

Nullement blessée, la rouquine tira sa chevelure en arrière. Discrètement, son amie lui fit signe de se rapprocher.

  • J’aimerais conserver ma prochaine sortie pour voir Chris, lui chuchota-t-elle, le concerné gardant un œil sur elle depuis son siège.
  • Je vois. L’amour avant les potes.
  • Tu parles vraiment comme un mec, s’immisça Clara dans leur conversation, les attrapant chacune par le cou.
  • Mais c’est vrai !
  • Chuut ! firent les deux filles.

Judith roula des yeux.

  • Et toi, Clara ?
  • Nan. Pas possible.
  • Mais pourquoi ?? se plaignit-elle en tombant à genoux devant son bureau.

Les mains liées, elle lui pria de l’accompagner en lui jetant un regard de cocker.

  • Je vois Seb.
  • Vous n’êtes que des lâcheuses ! s’écria-t-elle en tapant des poings sur la table. Tout ça pour des mecs, en plus. Tu peux pas le voir à un autre moment ?
  • Certainement pas, déclara la blonde. Mes parents me surveillent constamment et pour une fois les siens ne seront pas là un mercredi après-midi. Les miens rentrent tard, donc…
  • Ouais, voilà. Tu penses juste à t’envoyer en l’air…

Clara possédait un regard à tomber par terre, ses lourdes paupières révélant une couleur claire. Souvent las, ils s'illuminaient de manière malicieuse. Cette fille avait conquis Judith grâce à sa franchise légendaire.

  • Tu choisirais quoi, toi ?
  • Profite, soupira-t-elle. Je voulais vraiment faire du shopping moi. Vos parents sont nuls… Des vrais flics, dit-elle de manière pensive.
  • C’est qu’on a pas tous la chance d’avoir des parents laxistes.

Quant à Eloïse, ce fut son sarcasme qui lui plut. Derrière l’adolescente modèle, il y avait une guêpe. Parfois, elle enfonçait le dard trop loin. Judith acquiesça en levant les sourcils d’agacement.

Ce n’était pas qu’ils étaient laxistes, mais plutôt qu’ils s’en foutaient royalement.


***


Perdue dans ses pensées, Judith avait à peine entendu les coups à sa porte. Elle sursauta pris en flagrant délit par l’homme de maison.

Ce dernier grimaça face au désordre alarmant.

  • J’ai eu peur… !
  • … Vous êtes contrariée ? demanda-t-il d’un ton peu assuré.

Elle avait un caractère bien trempé, et au fond de lui, l’homme espérait ne pas y faire face. La question fâcha Judith :

  • Maintenant, oui, déclara-t-elle en se levant. Il faut que je vois papa et maman… Quoi ? se tourna-t-elle en l’entendant bégayer, déjà engagée dans le couloir.
  • C’est qu’ils sont déjà partis…

Le poing qui l'avait aidé à trouver sa détermination s’ouvrit doucement. Elle fixa le sol.

  • Ils sont partis au restaurant pour un dîner d’affaires.
  • Je m’en fous.

D’un regard détaché, elle observait maintenant celui de son domestique, qui devenait de plus en plus mal à l’aise.

  • Ils m’ont laissé de la thune, j’espère ?
  • … Bien sûr…
  • Sur la table ?

Avant même qu’il n’ait pu lui répondre, Judith avait déjà fait le chemin jusqu’à leur cuisine. Elle trouva une enveloppe prête à exploser sur la table de la cuisine. Aucun mot.

  • … Combien ?
  • Mille…
  • Mille balles, rigola-t-elle.

Les affaires devaient fonctionner pour son père. En tâtant les billets, elle ne chercha pas à savoir pourquoi elle recevait toujours son argent de poche en espèces.

  • Qu’ils sont prévoyants… Je comptais justement m’acheter une robe ! Tu les remercieras de ma part si tu les as au téléphone, ajouta-t-elle, d'un ton amer.

L’homme hocha de la tête.

  • Pour souper…
  • Je n’ai pas faim. Je vais juste prendre…

Elle ouvrit l’armoire à bonbons.

Il y avait du choix.

  • Une bouteille de vin blanc, cette fois. Tu peux me l’apporter dans ma chambre pendant que je prends ma douche. En attendant… Des chips ! Bon app’, Ernest.

***

C’était tellement cliché. Avoir des parents plein aux as jamais présents. Judith ne s’étala pas sur le sujet, sans se vexer que ses amies puissent penser de cette manière. Elle offrait généralement les sorties. Plus riche que ces dernières. Le restant passait en shopping et plus récemment, dans les services de Kley.

Avant cela, elle n’avait jamais vraiment fait de folie, amassant une petite fortune.

  • Pourquoi tu n’y vas pas toute seule ? Ce serait pas la première fois.
  • C’est vrai, répondit-elle à Clara.

Sans se prononcer, elle laissa tomber le besoin d’avoir un avis. Les garçons discutaient entre eux au fond de la classe. Depuis, elle n’avait plus adressé la parole à Kley. En temps normal, Judith aurait réservé son mercredi pour aller faire les vitrines avec lui.

Cette fois, il en était hors de question.

En se rongeant les ongles, elle s’imaginait arriver comme une reine au Major. Il fallait que sa tenue envoie du lourd, car elle s’attendait à un endroit où les femmes montraient plus de peau que de tissu. Valait mieux pour lui qu’il ne l’ait pas encore une fois trompée.

Judith faisait la moue, les sourcils serrés.

  • De mauvaise humeur, l’infernale ?
  • Me cherche pas, Noah.
  • Vous lui avez fait quoi ? On s’entend plus à force qu’elle gueule, s’adressa ce dernier aux filles.

Une ampoule s’alluma au-dessus de la tête d’Eloïse.

  • Malheureusement, on ne peut pas l’accompagner à son shopping, alors elle est tristoune…
  • Je suis pas triste ! Juste…
  • Tu devrais l’accompagner, proposa la brunette.
  • Carrément, enchérit Clara.

Noah, sous ses mèches foncées, leur lança un regard rieur. Il se prêta immédiatement au jeu, plaçant sa main sur son torse d’un air dépité.

  • … Ah, soupira-t-il. J’aimerais bien…
  • Quoi ?? Toi aussi t’es occupé ?
  • Pas si tu acceptes que je t'accompagne, mais… Je sais d’avance que tu ne voudras pas de moi à tes côtés.

Les garçons, amusés, les rejoignirent à l’avant de la classe. Chris et Seb à chaque épaule, tel un ange et un démon, lançaient des signaux à la rousse qui tirait la gueule.

Erwan s’était assis sur un banc, les bras croisés.

  • C’est clair que j’ai pas…

Judith réfléchit. Serait-il content si elle acceptait de faire les magasins avec Noah ? Bizarrement, malgré ce qu’ils s’étaient dits dans le jacuzzi, cela ne semblait pas être le cas.

  • Je te préviens. C’est moi qui décide d’où on va…
  • Je te suivrais partout, mon amour.

Elle grimaça, puis détailla son collègue de classe avec attention. Il ne pouvait pas être de si mauvaise compagnie.

  • Ce sera mercredi après l’école, alors…
  • Ah, merde. C’est le jour où j’ai tennis…

Plus rien n’étonna Judith. Le poing dans sa joue, elle se fit une raison.

  • Mais je peux annuler.
  • … ?
  • Suffit que je dise à mes parents que j’ai un gros contrôle à travailler et l’entraîneur est toujours débordé, il sera content de ne pas me voir. Je suis pas si bon au tennis.
  • ...Si ça peut se faire, répondit-elle, dubitative.
  • Pour toi, aucun souci.

Alors que tout le reste du groupe se moquait de son attitude de lèche-cul, Judith se sentit plus légère.

Quelqu’un prenait enfin la peine de décaler ses plans pour elle.

Cela signifiait beaucoup.

***

Le jour J, ce sentiment la quitta.

Elle marchait côte à côte avec Noah et ce dernier la fixait intensément. Elle dut lui mentir une nouvelle fois.

  • Tu cherches une robe pour ce week-end ? Mais tu n’avais pas dit que tu allais aux thermes avec tes parents ?

En entrant dans son magasin préféré, où les prix s’enflammaient, Judith essaya rapidement de trouver une excuse valable.

  • C’est vrai.

Un bon mensonge commençait toujours pas l’affirmation du mensonge initial. Elle lui afficha un super sourire avant de s’enfoncer dans une allée de vêtements.

  • Je suis trop impatiente, dit-elle en passant sa main entre les vêtements. Ça fait longtemps que je n’ai plus été aux thermes. Tu y as déjà été, toi ?

Détourner la conversation pour prendre le temps de réfléchir à son bobard, et revenir sur le sujet initial avant même que le concerné ne revienne dessus lui-même. Noah avait à peine hoché la tête qu’elle lui présenta son index.

  • Mais ! Vendredi soir, mon père nous emmène avec maman à un rendez-vous important. Pour faire bonne figure, tout ça, tu vois ce que je veux dire ? dit-elle en levant les yeux au ciel.

Dans sa tête, cela arriverait. Elle imagina le scénario afin de croire elle-même en son mensonge. Il fallait le rendre crédible.

  • Je vois très bien quel genre de repas… souffla Noah qui avait de l’expérience dans ce domaine.
  • Mais tu me connais.
  • … Plutôt, dit-il, un petit sourire le gagnant.
  • Papa veut que je fasse bonne impression en m’habillant correctement, sauf que moi... J’ai pas envie !

Fourbe, elle sortit d'un geste vif une robe courte à paillettes du rayon et la colla contre sa poitrine.

  • Là, c’est clair qu’il ne sera pas content.

Ils rirent ensemble.

Le con avait avalé l’histoire.

  • Je pense que t’as très bien choisi ton partenaire de shopping si tu cherches à provoquer “papa”, se vanta ce dernier.

Judith eut une courte pensée pour Kley. Elle lui sourit, son regard se plissant légèrement.

  • Celle-là ? T’en penses quoi ?
  • Alors là, je dois te dire… Que tu vas plutôt être la risée de tout le monde si tu prends celle-ci.
  • Pourquoi, je la trouve super, moi ?
  • Pouah, arrête, dit-il, embarrassé, en la voyant se dandiner.

Noah jetait des coups d'œil autour de lui, une main accrochée à sa nuque. Pour un soi-disant provocateur, il se montrait un peu trop attentif à la réaction des autres clients. De plus en plus lourde, Judith se ravisa. Garder son sérieux l’aiderait peut-être à trouver rapidement une super robe. Elle en attrapa plusieurs sous le bras et se dirigea vers les cabines où son toutou du jour la suivit.

Il fallut plusieurs essayages pour trouver la petite pépite qui fit vibrer son cœur.

  • Je crois que j’ai trouvé, déclara-t-elle en ouvrant le rideau.
  • … Waw… Heu…
  • Quoi ? Tu la trouves pas bien ?
  • Ah si, dit-il en la regardant de haut en bas. Mais tu comptes draguer ses collègues ou quoi ?

Elle pivota plusieurs fois sur elle-même en s’observant dans le miroir.

  • Pourquoi pas ? fit-elle en déplaçant toute sa chevelure d’un côté. Ça va, je plaisante, se rattrapa-t-elle en le voyant rire à moitié. T'es pas drôle. Ça ne te plaît pas de me voir habillée comme ça ? C'est un exclusif auquel tu n'auras plus jamais droit…
  • … Alors je devrais en profiter maintenant ? tenta-t-il le flirt en s'approchant de son visage.
  • Je crois pas nan.

Quel piment ! Il l'aurait un jour. Les mains sur la taille, Judith le dévisagea et disparut ensuite. Elle avait fait son choix.

***

Fier d’avoir enfin dégoté un rendez-vous avec Judith, Noah s’était échauffé avec ses copains :

  • Je vais lui proposer de manger un bout après ça et de boire un petit verre, je suis certain que ça va le faire ! Avec un peu de chance… On boira à la même paille, dit-il en jouant de ses sourcils.
  • Mec, reparle-lui de ton cours de tennis et je pense que tu vas gagner des points ! s’exclama Seb.
  • Parle pas si fort !

Erwan ne disait pas grand chose, comme à son habitude. Il suivait la bande, un écouteur dans une oreille, préférant n’entendre qu’à moitié leurs bêtises.

  • Faudrait pas qu’elle apprenne que t’as jamais fait de tennis de ta vie, se plia Chris en deux.
  • C'est bon, chacun sa stratégie.

Il connaissait Noah depuis longtemps et bien sûr qu’il savait que ce dernier n’avait jamais touché à une raquette de sa vie. Pour autant, il n’avait aucune envie de mettre Judith au courant de ce mensonge. Elle ne valait pas mieux, et lui non plus.

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