Chapitre 11 : Être un homme.
La vie citadine reluisant dans son regard ambré, Judith accueillit le pétillant du champagne sur sa langue.
Elle adorait la nuit.
Le défilé des phares dans la pénombre, des feux des voitures ronronnant. Après une demi-heure de route, elle avait fini rêveuse, profitant du confort de la limousine.
Une flûte entre les doigts, Judith en était à son deuxième verre. Elle songea un instant être traitée comme une princesse. Rapidement, elle ravisa sa pensée. Les membres de la royauté ne payaient certainement pas pour les services d’un escort.
Sur le siège à côté, le garçon en question agitait vivement ses doigts. Habituellement, Kley n’utilisait pas son téléphone lors de leurs sorties. Lorsque ce dernier releva la tête, Judith finit son verre d’une traite, pressentant qu’ils arrivaient à destination.
- C’est là, dit-il avec un mouvement.
Le chauffeur fit le tour d’une grande bâtisse blanche qui, à première vue, ne ressemblait pas à une discothèque et continua son chemin dans un parking souterrain. Le défilé de voitures de sport garées dans les allées décrochèrent une exclamation à Judith.
- C'est un job qui peut rapporter gros, lança Kley.
Elle prenait enfin conscience du niveau de la soirée. Leur conducteur viendrait les chercher à la fermeture, vers quatre heures du matin. Autrement dit, beaucoup de temps à patienter dans le cas où elle ne s'amusait pas. Elle espérait que ce soit le cas quand Kley apparut dans son champ de vision.
Ce dernier avait constaté qu’elle avait la chaire de poule :
- Tu as froid ?
- Ça va, répondit-elle en dégageant sa chevelure.
Et il nota qu’elle était tendue.
- Stressée ?
- T’aimerais bien ! rétorqua-t-elle en lui flanquant une tape sur le torse. Alors, c’est par où qu’on rentre ?
Judith n’en ratait jamais une. Peu importe la situation, elle finissait toujours par retrouver son énergie et sa chaleur. Dans l’ascenseur, elle fit face à son reflet. Accrochée à la petite rampe, elle observait minutieusement celui de Kley qui l’imitait.
Il eut un sourire en coin.
- Quoi ? fit Judith.
Ding.
Ils arrivèrent dans un hall. Au fond du couloir, deux gardes se tenaient devant une porte.
En s’approchant, ils chuchotèrent :
- Tu te rappelles de ce que j’ai dit ?
- Il est là ? Le gardien sympa ?
- Non, donc tu fais comme on a dit.
- Bonsoir ! lança Judith, face aux bulldozers habillés de noir.
Dur d’expression, le premier s’attarda sur l’invitation de Kley tandis que le deuxième s’aventurait sur la silhouette de la rousse.
- Quel établissement ? lui demanda le plus sérieux.
- Elle vient de chez nous. C’est un test pour le moment, répondit Kley à sa place.
- Une fille… Au Major ? Tu me prends pour un idiot, gamin ? Il n’y a que des hommes chez vous.
- Est-ce que je peux…
Lorsque Kley s’approcha, le garde se braqua, et Judith reculant, l’air apeuré. Il mit ses mains en l’air et lui souffla quelque chose. Aussitôt, l’expression de l’homme se déforma.
- Putain de merde, souffla-t-il en dévisageant la rouquine comme si elle venait d’une autre planète.
Ils purent entrer dans le sas où les lourdes basses s'immisçaient sous leurs poitrines. Kley joua de ses sourcils en poussant la porte. Aussitôt, le flux de musique les assaillit. Il céda le passage à Judith qui découvrit un large endroit déjà rempli. Le plafond berçait la salle d’une lumière bleue, les flashs et néons roulant dans tous les sens.
- Waw…
Illuminée, Judith parcourut les quatre coins de la discothèque. Elle n’arrivait à en définir les limites. Des barres grimpaient jusqu’au plafond, le personnel s’y frottant, devant une foule pas plus habillée. Kley l’invita à avancer tandis qu’elle gardait le nez en l’air, constatant qu’il y avait également un étage, quelques têtes dépassant d’un balcon.
- Tu prends quoi à boire ? lui cria Kley.
Il était à l’aise. Judith déposa sa main sur son épaule pour se rapprocher de son oreille.
- Tu lui as dit quoi au garde ?
Ils se regardèrent dans le blanc des yeux le temps de quelques secondes.
Kley sourit.
- Que t'étais un mec !
- Quoi !!
Son éclat de rire la détendit. Elle l’accompagna au bar où reposaient les coudes de plusieurs de ses connaissances. Du point de vue de Judith, il s'agissait d'inconnus tous plus extravagants les uns que les autres.
Lorsqu'il la prévint que des amis l'attendait à l'étage, elle le suivit et ce, en profitant de l'énorme cocktail qu'elle avait acquis. Les lèvres pincées autour de la paille, ils furent à peine arrivés sur la mezzanine qu'une femme se rua dans les bras de Kley.
Bousculée, Judith laissa échapper un peu de la boisson sur son menton. Elle l'essuya, gênée, en détaillant la grande brunette, à la chevelure raide et typée hâlée. Celle-ci écrasa le garçon entre ses deux ballons refaits, qui étaient à peine tenus dans un haut semblable à un bikini et dont la longueur de sa jupe jouait la concurrence. Lorsque Kley l'embrassa sur la joue en entourant sa taille, le regard de la belle s'étira. Elle était superbement maquillée.
Sur les canapés, une autre femme et deux hommes l'accompagnaient.
Judith comprit qu’ils passeraient la soirée ensemble et que pour les présentations, elle devrait également se débrouiller seule. Alors, son verre à la main, elle passa sous le nez du “couple” et s'assit parmis ces personnes qu'elles ne connaissaient ni d'Eve ni d'Adam. Intéressée par son applomb, la jolie brune l'observa d'un œil avisé :
- Qui est-ce ? Une nouvelle dans le milieu ?
- Non, c'est… une cliente, hésita Kley.
- J'espère que ça ne changera pas le cours de notre soirée, lui lança-t-elle en jouant avec les boutons de sa chemise.
- Ne t'occupe pas d’elle, Alluna.
À peine trentenaire, elle était belle comme un caramel déshabillé de son emballage. Tout aussi collante, elle garda Kley entre ses griffes tandis qu’ils buvaient et riaient avec le restant du groupe.
De temps en temps, ce dernier ajustait sa tête sur le dossie et, malgré lui, lançait un coup d'œil dans la direction de Judith. Cela l’agaçait de la voir si à l’aise. Elle serpentait sur le canapé, déjà prise dans les filets de l’alcool. Boire à la paille était rarement une bonne idée, sauf si l’idée même consistait à être saoule le plus vite possible. Contrairement à ce qu'elle laissait croire, Judith n'était pas dans son élément, sauf pour le goût de la fête.
Il ne fallut pas longtemps avant qu’un bras ne l’encercle. L’escort, tout en blanc, s’appelait Maël. Il avait au moins dix ans de plus, ce qui lui rappela à quel point Kley était jeune pour exercer. Il était torse nu sous sa veste de costume, un sick pack complet, duquel la rousse avait du mal à se détacher.
Il lui racontait des histoires de sa voix chaude :
- Et toi, dis moi d’où tu viens ?
- D’ici, répondit-elle en cachant sa nervosité.
- Haha ! Non, je veux dire… Où travailles-tu ?
Sauvé par le gong.
Le couple du milieu passa sur un canapé plus loin pour gagner en place. Judith en profita pour s'hydrater de ce nouveau cocktail tombé du ciel. Kley fit de même à ses côtés, les doigts d’Alluna s’aventurant sous sa chemise. Rapprochés, les copains de classe se laissèrent tomber tous deux au dossier, soudainement silencieux. Chacun du groupe reprenait un coup. En face, le couple s’échauffait. Judith dévia le regard, puis le ramena instinctivement sur eux. La femme se plaçant à califourchon sur l’homme, elle rit nerveusement.
- Ils ne veulent pas baiser tant qu’ils y sont…
La réponse se fit tarder. Fixée sur ce qui se déroulait sous ses yeux, elle sentit la jubilation de son voisin. Celui-ci lui expliqua :
- C’est un peu le but de la soirée.
Judith pâlit. Elle ne sut où se mettre, ni ou regarder, obnubilée par les mouvements de hanches de cette femme, et reconnaissante de l’obscurité.
- Ça ne va pas ? lui demanda Kley.
Le ton employé la mit hors d’elle. Il se croyait gagnant. Avant de venir, elle avait imaginé le pire. Seulement, pas ça. Le ventre tordu par la vision du sexe à tous les coins, elle s’obligea à ne rien laisser paraître.
- Pourquoi ça n’irait pas ? C’est très… hot, ici.
La petite provocation qu’elle eut envers lui poussa Alluna à reprendre le contrôle sur son partenaire. Elle attrapa son visage et lui mordit les lèvres. Judith s’empressa de détourner la tête lorsqu’elle glissa au sol, et s’installa entre les cuisses de Kley. Celui-ci emprisonna sa main baladeuse, mais elle se fraya un chemin en glissant sa langue entre ses doigts, puis sur la bosse de son jean. Il en mourrait d’envie, mais…
De son côté, il vit que son ami avait gagné en proximité avec Judith.
- Tu es un peu timide, non ? lui lança Maël.
Ce n’était pas de la timidité. Juste du bon sens. Que faire dans cette situation ? Devrait-elle se laisser prendre au jeu ? Un homme expérimenté se présentait enfin. Tandis qu’elle essayait de profiter des baisers dans son cou, Judith se laissa basculer dans le canapé. L’escort s’aventura sur le dessus de sa poitrine. Reculée, elle s'écrasa sur l’épaule de Kley, qui la maintint assise. Est-ce qu’il était habitué à ce genre de soirée ? Elle se concentra à nouveau sur Maël quand il l’embrassa. Poussée par ses ondulations, elle manqua de tomber et se rattrapa en arrière, à la cuisse de Kley. En comprenant où avait atterri sa main, elle tomba automatiquement dans son regard. Un sourire gagna Alluna quand à cet instant, son sexe enfla entre ses doigts. Les camarades de classe se regardèrent un peu trop longuement au vu de la situation. Le doute se lisait de chaque côté.
Est-ce qu’il allait continuer son chemin alors qu’elle était là ? Est-ce qu’elle allait le faire avec lui ? S’ils le faisaient côte à côte… Judith s’emballa de la même façon, les joues chaudes. Elle avait déjà du mal à l’envisager à deux, alors à quatre ? Est-ce que ça lui ferait plaisir ? Cela voulait dire qu’il la verrait nue et peut-être qu’après Maël, il…
Cela devint difficile de réfléchir. En sentant ce dernier capturer ses hanches, elle sentit une vague de chaleur entre ses cuisses. Ce n’était pas normal. D’un coup, elle se leva et tituba entre la table et les canapés.
- He ! Doucement ! Où tu vas comme ça ?
Drôle, l’escort la laissa s’échapper. Il plongea son regard dans le verre de Judith, d'un air assombrit. Kley l’observa s’empresser de la rejoindre, l'air déterminé.
- Détends-toi un peu.
Alluna lui grimpa dessus et passa ses bras autour de son cou.
- Tu es tout tendu, qu’est-ce qui se passe ?
La jolie brune avait récupéré son attention. Il joua avec sa chevelure en espérant également retrouver ses esprits.
- C’est cette fille qui te met dans cet état-là ? Tu ne peux pas le nier, ton petit ici parle pour toi !
Elle agrippa le membre comme le stick d’un vieux jeu vidéo. Collée à son torse, Alluna amena son nez contre le sien.
- Tu veux qu’on l’attende ?
- Je ne couche pas avec elle.
- Puis-je savoir pourquoi ?
- Je t’ai dit de ne pas t’en occuper,...
- Elle ne devrait pourtant pas tarder à en avoir très envie. J’ai bien cru que ça avait déjà fait son petit effet.
Qu'est-ce que ça voulait dire ? Kley se défit doucement de sa prise.
- Comment ça ?
- Tu n'as pas vu ? Maël à mis un petit booster dans son verre, ricana-t-elle. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour devenir tout excit…
D’une traite, il se leva en repoussant Alluna. C'était donc ça. Voilà pourquoi son visage montrait autant de désir quelques instants plus tôt. Kley se traita d’idiot et la chercha dans la foule depuis le balcon. Une rousse ça ne devrait pas être difficile à… Bingo ! Elle était avec Maël, ou plutôt l'inverse.
Sur le côté de la piste, ce dernier la gardait contre lui, une main sur les fesses. Fiévreuse, Judith se trouva privée de mouvements. Elle subissait la caresse en remuant la tête, un mince filet de bave s’égouttant de sa bouche.
La claque qu'elle reçut ne lui fit pas mal. Au contraire, elle sentit ses muscles à l’intérieur se serrer. Des frissons la parcoururent quand il glissa sa main sous sa robe. Le doigt sous l'élastique, il fit claquer son string. C'était exactement l'avertissement que lui avait donné Kley dans le bassin chaud. L'envie vint pourtant remplacer la peur. Elle n'opposa aucune résistance lorsque Maël se saisit de son menton. Lubrique, il se délecta de ses pupilles dilatées, espérant qu’elle le soit également ailleurs.
Lorsqu'il la prit sous son bras pour l'attirer ailleurs, il la sentit lui échappée, tirer en arrière. Kley se mit entre eux. Il foudroya l’escorte de son regard le plus noir.
La riposte ne servirait à rien :
- Tu fais quoi que ce soit, j’appelle mon boss.
Le message était clair et suffisant. Cette fois, ce fut lui qui l'emporta avec pour première mission, l’emmener loin de ce type.
En la soutenant, Kley pesta contre lui-même. S'il ne lui avait pas permis de l'accompagner, rien de tout ça ne serait arrivé. Il avait décidé de jouer et il en payait maintenant les frais, une cliente défoncée sous le bras. Pas seulement une cliente, d'ailleurs. Une copine de classe aussi. À cet instant, il aurait souhaité qu'elle ne se soit jamais présentée au Major, mais c'était Judith. Elle était totalement imprévisible et insensée. Une vraie tête brûlée qui n’en faisait qu’à sa tête. Ce ne fut pas chose aisée de l'emmener hors de la boîte, mais une fois à l’extérieur, il arrêta le premier taxi qui passa. L'y faire rentrer fut également compliqué. Non seulement, elle ne tenait plus debout, mais elle s’accrochait fermement à lui.
Il eut une petite idée de ce qui avait été glissé dans son verre au vu de son comportement. La respiration lourde, Judith se colla à son torse. Depuis le rétroviseur, le conducteur jeta des coups d'œil au siège arrière.
- Essaye de te reposer, lui souffla Kley, alors qu'elle amenait sa bouche dans son cou.
En constatant leur proximité, le gros bonhomme éleva la voix :
- Pas de ça dans ma voiture, les jeunes.
Son visage inspirait la confiance, malgré son nez cassé.
- Je n'y tiens pas, c'est juste que…
- Que lui arrive-t-il ? Elle est malade ? compris le conducteur.
- Non, elle a été droguée.
- … C'est toi qui as fait ça ?
- Vous pensez que je vous le dirais, si c'était le cas ? Non, un connard, grogna-t-il entre ses dents. Et maintenant j'ai pas le choix que de m'occuper d'elle.
Silencieusement, l'homme s'attarda à nouveau sur Judith à travers le rétroviseur.
- La tâche ne devrait pas être trop désagréable. Une poulette comme celle-là, difficile de lui résister ! Ah, petit ! Que veux tu, je suis un homme ! se justifia-t-il, en découvrant l'expression défaite de son client.
La voix forte anima Judith, dont la tête dodelinait depuis son épaule, alors qu'elle glissa dangeureusement ses doigts vers l’intérieur de son entre-jambe. Kley les emprisonna de suite, et marmonna.
- Tu dis ? le reprit le conducteur.
Il ne répéta pas et préféra porter toute son attention à Judith, qui, les genoux serrés, se battait avec elle-même. Doucement, il amena sa main sur son visage chaud. Elle souffrait, haletante, des larmes au bord des cils. Kley lui glissa un baiser sur le haut de la tête, en espérant qu’elle s’endorme. Il en était convaincu :
“Ce n’était pas ça être un homme.”
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