Chapitre 12 : Ascenseur émotionnel.

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Judith peina à ouvrir les yeux, ceux-ci collés à cause du manque de sommeil. Lourde de fatigue, elle fut accueillie par la pénombre, ainsi que par une douleur qui martelait son front. Celle-ci grimpait jusque dans ses tempes et l’empêchait de réfléchir correctement.

Où était-elle ?

Cette question, elle s’était imaginé se la poser à maintes reprises. Le scénario l’entourant, par contre, ne se déroulait pas du tout comme elle l’avait prévu.

Comme dans les films, la rouquine avait bel et bien émergé avec la chevelure défaite, mais aussi imprégnée d’une désagréable odeur. Attrapée par la nausée, elle tremblait à tel point que la douceur des draps lui parut insaisissable. Aucune lueur ne vint la saluer au petit matin. Il n’y avait que l’obscurité et l’incompréhension régnant, ainsi que cette fièvre persistante.

À tâtons, elle se mit à chercher son téléphone. Elle glissa ses mains sous l’oreiller et passa le matelas au crible, mais en vain. Judith ne trouva rien d’autre que la certitude qu’au moins l’un de ses fantasmes s’était réalisé.

Elle s’était réveillée auprès d’un homme.

Cependant, en touchant ce qui s’apparentait à un bras, elle se pétrifia. La masse qui s’éleva aussitôt dans le lit la fit reculer à toute vitesse, un cri s’envolant quand elle bascula en arrière. À terre, elle récupéra la première chose qu’elle trouva en guise d‘arme. Chose avec laquelle elle parut bien ridicule sous les spots illuminés, la chaussure pointée sur nul autre que Kley.

  • Qu’est-ce que tu fais… ? grogna ce dernier, en émergeant à son tour.

Aveuglée par la lumière, ce fut à sa voix qu'elle le reconnut. Toute force la quittant à cet instant, elle se força à plisser le regard. Dans le lit double, l’escorte était assis, la couverture ne le cachant qu’à moitié. Torse-nu, il avait les yeux aussi petits que les siens et la chevelure en bataille.

Elle soupira, soulagée :

  • C’est toi…
  • … Tu voulais que ce soit qui ? lança-t-il, un poil irrité.

Ce fut à cet instant que Judith prit également conscience que le fantasme venait de s'écrouler. L’adolescente avait toujours cru qu’un jour, elle finirait par se réveiller dans les draps d’un inconnu, avec des papillons dans le ventre. Elle se serait souvenue au fur et à mesure de leur nuit folle, le tout en ayant enfilé sa chemise, et aurait été faussement gênée de leurs ébats.

Après quelques péripéties, l’homme à ses côtés aurait fini par conquérir son cœur et l’histoire se serait bien finie.

Mais il n’y avait rien de tout ça.

Il n’y avait que Kley, qui la fixait, les sourcils froncés, et elle, qui gisait au sol, à moitié nue.

La frustration la gagna :

  • Je sais pas ! Je pensais que…

La chair de poule rongeait ses jambes.

En petite culotte, seul un t-shirt la recouvrait. Un t-shirt qui n’était pas le sien et dont le contact, contre ses seins nus, lui provoquait des frissons. Cela la traversa comme un éclair. Elle ne se souvenait plus du comment elle avait fini dans cet accoutrement.

  • Est-ce que… ?
  • Je te rassure, on a pas couché ensemble, dit Kley en se grattant la tête, d’un air ennuyé.
  • Ha ! C’est sûr ça ! répliqua-t-elle, d’un ton évident.

Elle n’en avait pourtant pas eu l’air si certaine.

  • … Mais pourquoi je suis dessapée, alors ?

Kley resta de marbre tandis qu’il se remémorait leur retour. Ils avaient été accueillis par Monsieur Gilles, qui, ayant été prévenu de la situation, n’avait pas hésité à prolonger son service.

L'homme fut désolé de trouver Judith dans cet état :

  • Cela doit cesser…
  • Je suis d’accord, avait déclaré Kley, qui tentait de la maintenir.
  • Comptes-tu l’emmener dans ta chambre ?
  • Où d'autre ?

Il comprit le malaise du réceptionniste. Dormir jusqu’au petit matin en sa compagnie réclamait un prix assez arrogant. Mais il ne voyait pas d’autre solution.

  • Mets-le sur ma note.

Il n’avait pas eu d’autre choix que de la laisser dormir au Major. L’idée ne fut pas sans déplaire à Judith. Cette dernière s’était empressée de sauter sur le lit pour s’y rouler joyeusement.

  • Ça rebondit !!
  • Chut. Moins fort.

De tout son long, elle s’était étendue sur le matelas, et se mordit la lèvre inférieure en collant ses mains à sa poitrine :

  • Huuuuum non ! Plus fort !
  • C’est pas vrai…

Aussitôt qu’il l’eut tiré vers lui, Judith s’était accrochée à son cou.

  • Encore un, s’il te plaît.
  • Non. Tu pues le vomi.

Kley n’eut pas à se battre pour défaire la fermeture éclair de sa robe. En constatant qu’elle n’avait rien prévu pour cacher sa poitrine, il prit un t-shirt dans ses affaires.

Sur le moment, cela avait beaucoup amusé la rouquine, mais il s’était douté qu’elle ne serait pas aussi contente de l’apprendre le lendemain.

  • Tu m’as vu à poil !

Il soupira et lui promis que ça n’avait pas été le cas. En effet, il l’avait obligé à se retourner et lui avait enfilé de force le t-shirt sur la tête. Quitte à la malmener, autant le faire bien. Il l’avait ensuite aidé à glisser un bras dans chaque trou pour les manches.

Tout ce qu’il avait eu le temps de voir était son dos nu, pour constater à quel point elle était fine. Concernant le rebondi de ses fesses, il jura préférable de ne pas lui en parler.

  • Merde, j’ai vraiment fait n’importe quoi, déclara-t-elle, en tentant de récolter ces précieuses informations dans sa mémoire.

Uniquement des flashs de la soirée lui revinrent, depuis le point où ils étaient rentrés dans la boîte au moment où les gens avaient commencé à se grimper les uns sur les autres. Des sueurs froides la traversèrent, mais elle ne laissa rien paraître.

Les genoux ramenés à sa poitrine, elle leva les yeux vers Kley :

  • Tu vas à des drôles de soirées, hein.

Ce dernier manqua de lui dire qu’il l’avait prévenu, mais il se contint au vu de ce que Judith y avait vécu. Cela n’était de toute manière pas nécessaire, les instants qui avaient suivi resurgissant dans son esprit.

Elle sursauta.

Kley lui tendait une bouteille d’eau, alors debout à ses côtés.

  • Bois un coup, ça va te faire du bien.

Il se dirigea ensuite vers son dressing où il enfila un ensemble de survêtements. Il en sortit un deuxième et les lui lança.

  • Va prendre une douche.
  • Ha, je peux… ? Cool ! s'exclama-t-elle en se relevant d’un coup.

L’action lui valut de tourner de la tête, ses jambes flanchant.

Elle se rattacha à Kley.

  • Ça va ? demanda ce dernier, qui s’était placé pour la rattraper.
  • Oui, je…

En rabattant ses cheveux en arrière, Judith le regarda droit dans les yeux. Arrondis dans les siens, elle battit plusieurs fois des paupières. La sensation lui parut étrange, comme familière. Le visage de Kley ne montrait rien de tel, pourtant.

  • Si jamais, j’ai mis ta robe dans la salle de bain.
  • Ha oui… ?

Elle était effectivement en train de tremper dans l’évier.

Face au vêtement, Judith se questionna :

  • Tu l’as lavé ?
  • Oui, il y avait du vomi dessus.
  • J’ai… ! Mais, je ne me rappelle pas ! Quand… et où ?
  • Dans l’ascenseur, tu ne te souviens pas… ?

Les deux mains attachées à sa tête, Judith essayait de se rappeler, mais aucun souvenir ne lui revint. Ce fut à cet instant qu’elle découvrit son reflet dans le miroir et, par la même occasion, le teint malade qu’elle portait depuis son réveil.

  • Ha ! Je suis horrible !
  • Comme tu dis, lui lança-t-il, en même temps qu’un essuie de bain. Prends ta douche, ça fera du bien à tout le monde. Pour info, il y a tout ce qu’il faut dans l’armoire, et si tu en veux un autre pour tes cheveux, c’est dans le tiroir.

Kley profita du moment où elle déplia une deuxième serviette pour se retirer. En fermant la porte derrière lui, il garda longuement la main sur la clenche, perdu dans ses pensées. Alors, elle ne s'en souvenait pas.

Un soupir le gagna.

C’était un soulagement.

***

Monsieur Gilles et Kley en étaient venus à la même conclusion.Conscients que cela allait à l’encontre de la politique du Major, ils avaient décidé de garder Judith à leurs côtés. En effet, ils n’acceptaient jamais les clientes sans rendez-vous et celles-ci devaient obligatoirement procéder au paiement avant d’accéder aux “services”. Ils ne pouvaient faire autrement. La renvoyer dans un taxi se serait avéré trop dangereux. Ils ne connaissaient même pas son adresse et il n’y aurait peut-être personne pour la réceptionner à cette heure.

Il était passé trois heures du matin, et attachée à son bras, la rousse n’arrivait plus à tenir debout. Sa longue chevelure pendouillait devant son visage.

  • Merci, lança Kley au réceptionniste, qui avait traficoté le livret d’inscriptions.
  • … Nous réglerons les détails demain. Mets là au lit tout de suite, dit-il, d’un ton soutenu.

Kley eut l’impression que l’homme doutait de lui.

  • Je suis fatigué aussi. Judith, lui souffla-t-il, allons-y.

Il la réhaussa en un mouvement et l’obligea à avancer, petit à petit. Celle-ci accéda à la requête, mais ne marchait pas droit, tout son poids s’écrasant en avant. Monsieur Gilles garda une distance de sécurité en les accompagnant à l’ascenseur. Il prit soin de l’appeler pour eux. Descendu, la sonnette retentit et les portes métalliques s’ouvrirent. Le réceptionniste les bloqua le temps qu’ils y entrent et s’écarta une fois que cela lui sembla bon.

Ils allaient au troisième.

Kley la tenait fermement, et il envoya un petit sourire à Monsieur Gilles, en espérant le rassurer. Contre lui, Judith gardait son visage enfoui au niveau de son épaule. Il sentit sa lourde respiration grimper dans son cou. Elle était humide et chaude, et la prise de ses doigts se resserrant autour de son bras, l’obligea à lui accorder un coup d'œil. Il vit le désir monter dans ses yeux.

Les portes se refermaient.

  • Ju…

Aux lèvres qu’elle planta contre les siennes, Kley se tendit, poussé en arrière. Il sentit sa nuque se réchauffer et ses doigts bouger malgré lui. Ils s’attachèrent à sa taille. En l’embrassant, il goûta l’alcool, et songea au fait qu’il avait également trop bu. Il garda une main dans son cou en se détachant. Ses prunelles dilatées luisaient. Il en oublia la déconnection qui y persistait et attrapa ses lèvres entre ses doigts, excité. Il s’en rapprocha, l’envie calée dans ses tripes, et brusqua le geste qui l’amena contre la paroi.

Ce fut à cet instant que Judith gonfla les joues. Kley recula aussi vite et évita de justesse le liquide qui s’écrasa au sol. La flaque de vomi entre eux, il porta sa main à son torse avant de lui venir en aide. Son cœur battait à toute vitesse, celui-ci pris dans les montagnes russes. En empêchant la rousse, qui se laissait tomber, de s’asseoir dedans, il fut soulagé. Sa chevelure en main, pour dégager son visage, il pensa que cela tombait à point nommé.

Autrement, et il se posa la question : aurait-il continuer ?

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