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Salvina avait encore fait la grasse matinée.
Aux rayons de soleil qui pénétraient dans le salon et au calme qui régnait dans l'appartement, elle devina qu'il était neuf heures passées. Quel luxe de pouvoir ainsi traîner le matin sur le large canapé de Leonzio !
Quel bonheur de pouvoir dormir ainsi d'un sommeil sans rêves et sans heurts !
Chez Leonzio, dans ce deux-pièces exigu mais si douillet, Salvina se laissait bercer chaque nuit par le tumulte de la ville : les rires des fêtards, les exclamations des ivrognes, les sirènes lointaines et le grondement réconfortant des voitures sur les pavés. Bref, les bruits d'un lieu qui vit.
Rien à voir avec l'isolement de la maison sur la falaise, où seuls résonnaient les cris macabres des mouettes et le fracas incessant des vagues sur les rochers. Elle n'en était pas fière, mais le fait était là : Salvina dormait mieux sur le canapé de Leonzio que dans son lit conjugal.
Elle se tortilla pour s'extraire du duvet et, traînant des pieds, se rendit dans la cuisine pour se préparer un café à la Moka. Par la fenêtre, elle apercevait les pins et les lauriers roses du Giardini di Augusto et, en arrière-plan, Certosa San Giacomo, imposant monastère qui dominait Capri. Son coeur faisait un petit bond de joie chaque fois qu'elle avait cette vue devant les yeux, comblée par son luxe et sa beauté. Ici, elle avait l'impression d'être dans un autre monde, à mille lieues de sa maison branlante sur la falaise, de ses problèmes d'argent, de la lente désintégration de son ménage.
Sa tasse à la main, Salvina retourna s'asseoir sur le canapé et saisit son téléphone. Pas d'appel manqué de Galdino. Pas de message non plus. Cela faisait désormais plus de quarante-huit heures qu'il ne lui avait pas donné de nouvelles, un silence inhabituel mais, elle s'en rendit soudain compte avec un pincement de culpabilité, plutôt bienvenu.
Elle but son espresso et se dirigeait vers la salle de bains quand la sonnette retentit. Probablement Leonzio, qui avait fini son jogging et qui avait oublié ses clés. Elle appuya sur le bouton déverrouillant la porte de l'immeuble, puis ouvrit celle de l'entrée.
— C'était rapide ! lança-t-elle en direction de l'escalier.
Cependant, à la place de Leonzio gravissant les marches quatre à quatre, elle vit quelqu'un d'autre. Deux personnes, même : deux hommes en uniforme de police, l'air grave.
Le rythme cardiaque de la belle aux yeux noisette, aux lèvres charnues et aux cheveux ébène tombant au creux de ses reins, s'emballa.
— Il y a un problème ? demanda-t-elle en s'appuyant sur le chambranle de la porte.
— Un accident, répondirent les Carabinieri. Dans la maison sur la falaise.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? bredouilla Salvina.
Le malaise qui s'était insinué en elle se mouvait lentement dans son ventre, telle une masse visqueuse.
— Est-ce qu'ils se sont battus ? demanda-t-elle encore.
Les deux hommes échangèrent un regard surpris.
Ils l'invitèrent à rentrer, refermèrent la porte derrière eux et l'installèrent sur le canapé. Debout face à elle, ils lui expliquèrent la raison de leur présence : son mari avait été victime d'une agression à leur domicile, une attaque violente. À leur arrivée, les secouristes dépêchés sur les lieux n'avaient pu que constater son décès. Restait encore à établir les circonstances du drame, mais il pouvait s'agir d'un cambriolage qui aurait dégénéré.
Salvina resta silencieuse et se contenta d'écouter le son de leur voix en attendant de se réveiller. Pour accélérer le processus, elle s'enfonça les ongles dans les paumes, se pinça, mais les policiers refusaient de disparaître. Salvina ne se redressa pas en sursaut, paniquée, ébranlée par un cauchemar. Ce n'était pas un mauvais rêve. Tout cela était réel.
— Où est Leonzio ? souffla-t-elle quand elle put enfin s'exprimer. Qu'est-ce qui est arrivé à Leonzio ?
Les deux hommes échangèrent un nouveau regard surpris.
— Leonzio Pacciani ? demanda l'un d'eux en fronçant les sourcils. Il est au poste. Nos collègues sont en train de prendre sa déposition. C'est lui qui... qui a trouvé Monsieur Baldini. Et qui a appelé les secours.
— Alors il n'a rien ? insista Salvina. Leonzio n'a rien ?
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