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Hélas, désormais, ils n'étaient plus que deux : Salvina, recroquevillée en boule dans un coin du canapé, le sol devant elle jonché de mouchoirs, et Leonzio qui faisait les cent pas, creusant des tranchées dans l'épais tapis.

Frénétique, les yeux écarquillés, il était trop nerveux pour rester assis et trop bouleversé pour ne pas se repasser en boucle la terrible scène qu'il avait vécue le matin même et la décrire à son amie.

— Il y avait tellement de sang, Salvina, je n'ai pas pu... Je n'ai pas pu l'aider. J'ai... J'ai essayé de lui faire un massage cardiaque, mais ça n'a rien changé. Enfin, évidemment que ça n'a rien changé, il était déjà trop tard. Et ensuite, j'étais couvert de sang, assis là, et je leur ai dit : "C'est mon frère." Alors après, ils ont voulu savoir pourquoi je leur avais menti, mais je leur ai bien expliqué que je n'avais pas menti. Je n'ai pas menti !

Il secoua la tête, frustré.

— C'était ce qu'on répétait tout le temps, pas vrai ? Lui et moi, on est comme deux frères. Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça. Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça à ce moment-là. Oh, Salvina, il y avait tellement de sang...

La jeune femme inspira profondément et serra les poings.

— Leonzio, je t'en prie, arrête...

— Je suis désolé, soupira-t-il en la dévisageant un instant. Je suis désolé.

Il garda le silence vingt secondes, trente peut-être, puis reprit :

— Je l'ai attendu quelques minutes dans la voiture avant d'entrer. Sans raison, en plus, je regardais mon téléphone, je lisais deux ou trois trucs sans importance... Je passais le temps... Je perdais du temps.

Sa voix se brisa. Il allait recommencer, elle le savait, il allait encore répéter.

— Si seulement j’étais entré tout de suite. Si seulement j'avais enfoncé la porte au lieu de patienter, au lieu de faire le tour de la maison. Si seulement si seulement, si seulement...

Salvina avait l'impression qu'il lui avait déjà raconté cette histoire une bonne douzaine de fois. Ce jeudi matin, Leonzio s'était rendu chez Galdino pour leur jogging hebdomadaire. Il avait mieux roulé que d'habitude et était arrivé en avance, donc il avait patienté dans la voiture, sur son téléphone.

Quand, enfin, il s'était décidé à aller frapper, Galdino n'avait pas répondu, alors il avait fait le tour de la bâtisse pour rejoindre le côté qui donne sur la falaise. Là, il avait vu que la baie vitrée coulissante était restée entrouverte, ce qui n'avait rien d'inquiétant, Galdino la laissait souvent ainsi.

Dès l'instant où il avait pénétré dans la maison, il avait cependant compris que quelque chose n'allait pas.

L'une des chaises de la salle à manger était renversée, une étrange odeur métallique flottait dans l'air. C'était en se dirigeant vers la cuisine qu'il avait trouvé Galdino inanimé, le visage contre le carrelage. Il avait essayé de retourner son ami. Il avait dû s'y reprendre à plusieurs fois.

— Il y avait tellement de sang, bredouilla encore Leonzio. Une horreur...

— Arrête, supplia Salvina en tendant une main vers lui, les larmes roulant sur ses joues. Je t'en prie, arrête.

Leonzio lui effleura les doigts ; ce contact parut le ramener à la réalité. Il se laissa tomber à genoux devant elle et la serra contre lui. Salvina sentit l'odeur de sueur mêlée à son eau de toilette tandis qu'il lui embrassait les cheveux, puis la joue.

— Je suis désolé, Salvina. Je suis tellement désolé, murmura-t-il dans sa chevelure ébène.

Il la tint ainsi quelques minutes, avant de se lever pour aller chercher une bouteille de prosecco et deux verres dans la cuisine.

— Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire sans lui ? demanda-t-il à voix basse quand il fut revenu à côté d'elle.

Mais Salvina était obsédée par autre chose.

— Je n'arrive pas à comprendre. Je ne comprends pas comment une chose pareille a pu se produire. Comment quelqu'un a-t-il pu... Qu'est-ce qu'un cambrioleur serait allé faire là-bas, bon sang ? La maison se trouve à des kilomètres de tout, et ce n'est pas comme si on possédait quoi que ce soit de valeur...

Leonzio secoua la tête, remplit les verres.

— Il n'aurait pas dû être seul, affirma-t-il.

Salvina eut un mouvement de recul.

— Non, non ! s'empressa d'ajouter son ami en lui agrippant la main. Ce que je veux dire, c'est que moi, j'aurais dû être avec lui. J'aurais dû arriver plus tôt. Je ne supporte pas l'idée qu'il ait été seul au moment... On a toujours été là l'un pour l'autre.

Salvina se mordilla la lèvre et le laissa poursuivre.

— Je suis tellement soulagé que tu n'aies pas été là-bas, Salvina. Parce que sinon... Je refuse de penser à ce qui se serait passé.

Leonzio vida son verre d'une traite et se resservit dans la foulée. Alors qu'il se penchait pour remplir celui de Salvina, elle découvrit sur son visage une expression différente.

Elle y lut le chagrin, bien sûr, mais aussi une ombre de culpabilité. Il prit une gorgée.

— J'ai l'impression qu'on l'a trahi, avoua-t-il sans la regarder.

Salvina savait exactement à quoi il pensait. Il pensait à tout ce temps passé tous les deux, elle et lui, au cours de ces deux dernières semaines, depuis qu'elle avait claqué la porte de chez elle. Assis côte à côte sur le canapé, soir après soir, à boire du vin en s'esclaffant devant des bêtises à la télévision. Leurs cuisses qui s'effleuraient, leurs regards qui se croisaient. Les papillons dans le ventre de Salvina, dans celui de Leonzio aussi, sûrement. Chacun d'eux conscient, sans oser le dire, que ce n'était plus qu'une question de temps.

— Nous n'avons rien fait de mal, souffla Salvina.

Leonzio se servit un troisième verre. Salvina aurait voulu lui prendre la main, mais, soudain, elle eut peur qu'il se dérobe. Pire, qu'il lui en veuille pour ce qu'ils ressentaient en ce moment. Elle sentit les larmes revenir ; or, cette fois, elle ne les versa pas seulement pour Galdino, mais aussi pour Leonzio et elle. Parce qu'elle avait compris qu'à partir de ce jour, ils devraient vivre avec le fantôme de Galdino, une absence entre eux qui prendrait la forme d'une accusation permanente.

Salvina se réveilla en sursaut avec la bouche sèche et la tête dans un étau. Il lui fallut une seconde pour se rappeler, une seconde pour que l'horreur la submerge à nouveau. Galdino était mort. Son mari était mort. Ne lui restait plus que le souvenir des choses affreuses qu'elle lui avait dites le soir où elle avait quitté leur maison.

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