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— Vous voulez décrocher ? suggéra Viviana avec un coup d'œil à l'écran, elle aussi.
— Non, non, répondit Salvina en secouant la tête. C'est juste une amie. Je ne lui ai pas encore annoncé. Je n'en ai parlé à personne, pour l'instant, à part les demi-frères de Galdino et ma famille. Mais les amis, les anciens collègues... je ne saurais même pas par où commencer.
Viviana se pencha pour lui prendre la main.
— Nous pourrons discuter ensemble de la marche à suivre, vous et moi, si vous voulez. Je peux vous aider.
Après une courte pause, elle ajouta :
— Je pense à ça maintenant parce que vous avez mentionné les demi-frères de Galdino... Est-ce que vous sauriez pourquoi Leonzio Pacciani a dit aux urgentistes que Galdino était son frère ? Est-ce qu'on vous avait mise au courant de ce détail ?
Salvina dévisagea Viviana.
— Oui, dit-elle doucement. J'étais au courant. Il n'a pas menti, si c'est ce que vous croyez. Il voulait...
Sa voix se brisa.
— C'était affectueux. Il leur arrivait de parler comme ça, tous les deux. De dire qu'ils étaient plus proches que des amis. Qu'ils étaient comme des frères.
Viviana acquiesça, songeuse. Elle regarda par la vitre un instant puis reporta son attention sur Salvina.
— Ce jour-là, Leonzio a ajouté qu'il n'avait "jamais voulu faire de mal" à Galdino. À quoi faisait-il allusion, selon vous ?
Salvina examina ses mains posées sur ses genoux. Haussa les épaules.
— Je suppose que... comme Leonzio avait accepté de m'héberger, on aurait pu croire qu'il prenait mon parti. Ce qui aurait pu blesser Galdino. On le savait, Leonzio et moi, mais c'était mon ami à moi aussi, alors...
Elle laissa sa phrase en suspens avant de conclure :
— C'était compliqué.
La voiture ralentit : ils atteignaient l'embranchement pour rejoindre la route de la côte. Salvina sentit son estomac se soulever et, tandis que le véhicule amorçait son virage, elle agrippa la poignée de maintien au-dessus de sa portière. Soudain, elle eut très chaud au visage. Sa respiration se fit haletante. Ils approchaient de leur destination et elle sentait peser sur elle le regard de Viviana et celui du conducteur, qui guettaient le moindre de ses gestes, la moindre réaction. Elle avait l'impression d'être un rat de laboratoire dans une cage.
— Ces disputes… reprit Viviana. Est-ce qu'elles ont déjà été violentes ?
Salvina la dévisagea, interloquée.
— Quoi ? Non ! Est-ce que... Attendez, qu'est-ce que ça sous-entend, votre question ?
— Rien d'incriminant à votre encontre, rassurez-vous. Nous avons consulté les images de vidéosurveillance de l'immeuble de Leonzio et nous savons que vous n'avez pas quitté son appartement de la matinée, vous ne faites donc pas partie des suspects. Cependant, nous nous demandons si quelqu'un qui tient à vous et qui vous pensait en danger aurait pu décider d'intervenir pour vous protéger. Quelqu'un qui n'avait pas prévu que ça aille aussi loin...
— Vous voulez dire... Leonzio ? s'exclama Salvina.
Elle avait presque envie de s'esclaffer.
— Vous n'avez pas écouté un mot de ce que je vous ai raconté... Leonzio adorait Galdino. Il l'aimait comme un frère. Quant à Galdino et moi, oui, nous traversions une mauvaise passe, mais il n'aurait jamais levé la main sur moi. Ce n'était pas ce genre d'homme.
— Quel genre d'homme était-ce ? insista Viviana.
Salvina sourit.
— Galdino était quelqu'un de loyal. Il voyait le bien en chacun, même chez moi. Il m'aimait tant...
Les larmes se mirent à dévaler ses joues. Viviana extirpa un paquet de Kleenex de son sac à main et lui en tendit un.
— Ça ne lui plaisait pas, que ce soit moi qui rapporte le salaire. Ça l'a toujours dérangé. Il aurait préféré que ce soit l'inverse. Son côté un peu vieux jeu. Il était têtu. Orgueilleux.
Elle s'interrompit le temps de se moucher.
— Il pouvait se montrer rêveur, par moments. La tête ailleurs.
Elle s'essuya les yeux et prit une inspiration.
— Ralentissez, indiqua-t-elle au conducteur, ce sera la prochaine.
La voiture quitta la route pour s'engager sur un chemin carrossable, et Salvina sentit son pouls s'accélérer.
— Encore un peu plus loin, ajouta-t-elle.
Elle s'agrippait de nouveau à la poignée de maintien, la tête baissée, le menton collé à la poitrine.
— Ça va, Salvina ? s'inquiéta Viviana. Vous ne vous sentez pas bien ?
— Ça va aller, chuchota-t-elle.
Ils venaient de dépasser l'endroit où Leonzio l'avait récupérée, le soir de la dispute. Elle lui avait envoyé un message WhatsApp pendant qu'elle faisait sa valise.
Viens me chercher s'il te plaît, je ne peux pas rester ici. Il était arrivé en moins de quinze minutes. Il avait dû rouler au-dessus de la vitesse autorisée tout le long du trajet. En s'installant dans la voiture, Salvina s'était retournée vers la maison. Galdino se tenait sur le seuil, mais la lumière derrière lui empêchait de distinguer son visage. À présent, elle pouvait imaginer son expression peinée, blessée. C'était la dernière fois qu'elle avait posé les yeux sur lui.
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