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La première fois que Salvina avait vu la maison sur la falaise, elle l'avait comparée à une dammuso*.

Lorsqu'on imaginait une maison sur Capri, on se représentait une Villa Carolina aux murs en chaux blanche avec colonnes et patios, entourée de citronniers et d’oliviers, ou une création moderne, avec de grandes baies vitrées, piscine et terrasse. L'habitation du père de Galdino n'était ni l'un ni l'autre : bâtie dans les années 1970, c'était une construction de plain-pied on ne peut plus banale, au point que, même en s'approchant sur le chemin carrossable, on la remarquait à peine. Elle ne possédait aucune fenêtre côté terre, de sorte qu'on arrivait face à un mur de briques uniquement percé d'une porte d'entrée en bois. Ce n'est pas tant qu'elle était laide, elle était surtout déprimante.

Jusqu'à ce qu'on pénètre à l'intérieur. Rien d'exceptionnel dans la décoration, défraîchie et vieillotte, mais l'arrière de la maison consistait en une grande porte fenêtre et, comme la maison était perchée à une vingtaine de mètres du bord de la falaise, on voyait la mer s'étendre jusqu'à l'horizon.

Ce jour-là, pourtant, ce ne fut pas le paysage qui attira l'attention de Salvina mais une tache sombre maculant le béton ciré, à l'endroit où le salon rejoignait la cuisine ouverte. Viviana se plaça prestement devant Salvina pour lui bloquer la vue.

— Si vous avez besoin de faire une pause, vous me faites signe. À n'importe quel moment.

Salvina acquiesça sèchement et déclara :

— Finissons-en.

Les deux femmes se dirigèrent vers la cuisine d'un pas mal assuré du fait de leurs vêtements de protection et de leurs sur-chaussures en plastique. Elles contournèrent l'affreuse tache marron et se postèrent sous le puits de lumière au-dessus de l'îlot central.

Salvina embrassa les lieux du regard. Elle ouvrit plusieurs placards et tiroirs, examina le frigo. Tout semblait en ordre.

Elle rejoignit la pièce à vivre. Sur le mur opposé à la porte fenêtre, elle-même tachée de sel et de crasse, se dressait une cheminée en pierre hideuse, flanquée de bibliothèques contenant quelques dizaines de livres de poche et une poignée de DVD. En face, on avait installé un vieux canapé orange. Plusieurs tapis élimés étaient éparpillés au sol.

Salvina examina les étagères puis se retourna vers les fenêtres. Elle désigna la porte coulissante entrouverte qui donnait sur le jardin.

— Est-ce que c'est par là que... qu'il est entré ?

— C'est ce qu'on pense, répondit Viviana. D'après Leonzio, elle était comme ça quand il est arrivé.

— Galdino la laissait souvent ouverte, confirma Salvina. Il aimait entendre le bruit des vagues. Et il disait...

Elle hésita et conclut d'une voix tremblante :

— Il disait qu'il n'y avait rien à craindre, car on ne voyait jamais personne. Aucun risque que quelqu'un ne se retrouve par hasard près de chez nous.

Viviana s'approcha de la porte entrebâillée.

— Et le sentier de la côte ? demanda la policière en observant le jardinet mal entretenu qui précédait la falaise. Je croyais qu'il y avait beaucoup de randonneurs, dans le coin.

— C'est vrai, acquiesça Salvina, mais ils ne passent plus de ce côté-là de la maison. Il n'y a pas si longtemps, tout un pan de falaise s'est effondré dans la mer, à environ cinq cents mètres au sud, et la région a créé un sentier de contournement qui passe à l'intérieur des terres, derrière la maison, pas très loin de la route principale. Depuis le nouveau tracé, on peut apercevoir la maison, mais à mon avis, il faut savoir qu'elle est là.

Viviana s'avança encore, le nez presque collé à la vitre.

— C'est dangereux, ici ?

Salvina hocha la tête.

— À marée basse, on peut descendre sur la plage. Là, à votre droite, on voit le chemin d'accès. Cependant, il faut faire attention, car la mer monte très vite. Et chaque fois qu'il y a un orage, les vagues grignotent un peu plus la côte. À plus ou moins long terme, cette maison finira par sombrer dans les flots.

Viviana suivit Salvina dans le couloir, jusqu'à une pièce dans laquelle on trouvait un vieux canapé-lit et un petit secrétaire en pin calé dans un coin.

— Le bureau ? devina Viviana.

— La salle d'écriture de Galdino. Mais soyons franche, ajouta-t-elle en caressant le dossier de la chaise, il venait là surtout pour jouer sur sa PS5.

Elle adressa un triste sourire à Viviana et essuya vivement une larme d'un revers de main.

— La console est toujours là, dit-elle en désignant l'objet. Mais il manque l'ordinateur portable.

Au fond du couloir se trouvait la chambre principale, avec un lit double, deux tables de chevet et un fauteuil élimé sur lequel était entassée une tonne de vêtements. Il y faisait chaud, presque plus chaud que dans le reste de la maison. Salvina s'assit au bord du lit défait. Elle tira la couverture, la pressa contre sa poitrine et inspira longuement.

Sur le pas de la porte, Viviana la regarda pleurer sans un mot. Après lui avoir laissé un moment de répit, elle demanda à Salvina d'examiner la pièce et de jeter un coup d'œil dans la salle de bains et les placards.

— Il n'y a rien à voler ! s'écria Salvina, pitoyable. Nous ne possédons pas d'objets de valeur et nous sommes fauchés. Ça se voit, non ? Regardez autour de vous : pas de chaîne hi-fi haut de gamme, pas d'œuvres d'art, juste quelques reproductions minables au mur... Tout ce que nous possédons est vieux, merdique ou de seconde main.

— Pas de bijoux ?

Salvina leva la main pour lui montrer son alliance.

— Un seul.

— Galdino n'en portait pas ?

— Si, répondit Salvina, sourcils froncés. La même que la mienne, sauf que lui a mon prénom gravé à l'intérieur, et moi, le sien.

Elle retira la bague pour la montrer à Viviana.

Lorsqu'elles rejoignirent le salon, Salvina s'immobilisa soudain devant la cheminée, les yeux braqués sur un espace vide sur le manteau, entre un chandelier en cuivre et un cadre abritant une photo en noir et blanc.

— La statuette, dit-elle en désignant la tablette. Galdino avait remporté un prix pour un documentaire, il était exposé ici.

Elle se tourna vers Viviana.

— Il y a son nom dessus. Ça en fait un objet plutôt spécifique, non ?

***

*dammuso : petite maison traditionnelle en pierre de lave coiffée d’une coupole blanche, typique de Pantelleria, île de la commune de Trapani en Sicile.

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