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Viviana était en avance.

Enveloppée dans une serviette de bain, Salvina vint lui ouvrir, semant au passage des gouttes d'eau sur le parquet.

— Vous aviez dit dix heures ! protesta-t-elle en laissant entrer la policière. Il n'est même pas neuf heures et demie !

— Désolée, fit Viviana avec un sourire.

Mais Salvina eut le sentiment qu'elle n'était pas désolée du tout.

Selon elle, l'agente avait fait exprès d'arriver si tôt. Mais pourquoi ? Pour la prendre au dépourvu ? Cela faisait six jours que Galdino était mort. Six jours que Salvina ne dormait pas de la nuit, au point qu'elle n'arrivait même plus à savoir quand elle était lucide et quand elle sombrait dans la paranoïa.

Elle laissa Viviana s'occuper du café dans la cuisine et retourna s'habiller dans la salle de bains. Lorsqu'elle en ressortit, elle entendit un bruit au fond du couloir, dans la chambre. Elle s'approcha à pas de loup sur l'épaisse moquette et poussa la porte pour découvrir Viviana penchée au-dessus de la table de chevet, examinant une photographie encadrée.

— Vous n'avez rien à faire là, l'interpella Salvina.

Viviana se redressa sans se démonter.

— Oups ! Je fouinais un peu...

Au salon, elles s'assirent chacune à une extrémité du canapé, tournées l'une vers l'autre.

— De quoi vouliez-vous me parler ? commença Salvina.

Mais Viviana n'avait pas l'air de l'écouter. Elle examinait la pièce comme si c'était la première fois qu'elle y mettait les pieds.

— Quel bel appartement ! s'extasia-t-elle avec un autre sourire à l'intention de Salvina. Je passe régulièrement dans cette rue et, souvent, je me fais la remarque que ça doit être génial d'habiter ici.

Elle marqua une pause avant de reprendre :

— Et cher, j'imagine.

— Sûrement, acquiesça Salvina. Leonzio travaille pour un fonds de capital-risque. Il gagne très bien sa vie.

Elle suivit le regard de Viviana et admira à son tour les fauteuils élégants aux couleurs soutenues, les rideaux de soie aux fenêtres, les tableaux aux murs. Presque sans y penser, elle ajouta :

— Il est issu d'une famille aisée. Il a toujours eu le goût des belles choses.

— Je vois ça, approuva Viviana avant de boire une gorgée de café. Est-ce que... Comment dire? Est-ce que ça posait des soucis dans votre relation, à tous les trois ? Le fait que Leonzio soit si riche alors que Galdino et vous aviez des soucis d'argent ?

— Pas vraiment.

Salvina se détourna un instant. Elle se remémora la première fois que Galdino et elle avaient rendu visite à Leonzio dans cet appartement, et l'expression de Galdino quand il avait vu combien elle était impressionnée.

— On n'abordait pas trop ce genre de sujets.

Viviana but une nouvelle gorgée et reposa sa tasse sur la table pour regarder Salvina en face.

— Salvina, est-ce que vous saviez si Galdino avait des dettes ? Nous avons appris pour la petite hypothèque sur la maison, mais, en dehors de ça, est-ce qu'il aurait pu emprunter de l'argent à quelqu'un ?

— La petite hypothèque ? répéta Salvina. Oui, l'hypothèque, bien sûr. Je ne pense pas que... Non, nous n'avions pas de dettes. Je veux dire, pas d'autres dettes.

— Mais si c'était le cas, Galdino vous en aurait parlé ?

Salvina eut soudain les joues en feu. Viviana n'avait probablement eu aucun mal à lire sur son visage qu'elle ne savait rien de cette histoire d'hypothèque.

— Oh, j'imagine, oui, répondit-elle enfin.

— Mais vous n'en êtes pas sûre ?

Salvina soupira et se frotta les yeux avec les poings, comme un enfant ensommeillé. Elle n'avait pas la force de rester sur ses gardes.

— Je vous l'ai dit, il était orgueilleux. Et c'était compliqué entre nous, alors...

Elle laissa sa phrase en suspens. Une nouvelle fois, elle repensa à cette dernière dispute, au moment où elle l'avait traité de raté. Évidemment qu'il ne lui avait pas parlé de l'hypothèque. Et évidemment que, s'il avait eu besoin d'emprunter de l'argent à quelqu'un, il ne lui en aurait pas parlé non plus. Pourquoi fournir à son épouse de nouvelles munitions pour les disputes à venir ?

Salvina se rendit compte que Viviana l'observait, attendant la suite.

— Il faut savoir que Galdino a eu du succès très tôt dans sa carrière, expliqua-t-elle à la policière. À vingt-cinq ans, il a vendu un documentaire qui a été retenu par le directeur de la Rai Due. Ce n'était pas un grand sujet, juste un petit film indépendant sur le quartier populaire Rione Sanità de Naples, mais il a été sélectionné par une chaine de télévision nationale. Galdino a même reçu une récompense pour son documentaire, la fameuse statuette qui a disparu.

Elle se leva.

— D'ailleurs, je peux vous montrer une photo. Leonzio en a une quelque part ici...

Sur une des étagères de la bibliothèque, près de la cheminée, on trouvait plusieurs petits cadres. Salvina en attrapa un et l'apporta à Viviana. La photo avait été prise le soir de la sélection. On y voyait un Galdino triomphant, brandissant son trophée, tandis que Leonzio sautait à côté de lui pour faire mine de le lui prendre. En tendant le cadre à Viviana, Salvina ne put s'empêcher de sourire à travers ses larmes.

— Ils étaient tellement heureux, ce soir-là. Leonzio faisait l'idiot, comme d'habitude... Il disait souvent pour plaisanter que le rebondissement final du film était son idée, et qu'ils auraient dû se partager les droits d'auteur.

— Ah oui ?

Viviana avait levé les yeux de l'image pour la regarder, un sourcil levé.

— Et de quoi parlait-il, ce film ? reprit-elle en se penchant de nouveau sur le cadre.

— C'est juste un documentaire sur un quartier surpeuplé situé au nord de la Vieille ville, devenu un ghetto où la pauvreté et la violence sont le quotidien des résidents. Et même si aujourd’hui ce quartier est en pleine mutation, il reste un quartier déconseillé aux touristes.

— Intéressant. Et quel était ce fameux rebondissement final ?

— En réalité, le quartier est aux mains de la Camorra.

Viviana releva la tête.

— Ça a l'air plutôt dangereux.

Soudain mal à l'aise, Salvina se détourna.

— Effectivement, mais... Il s'agit d'un documentaire. Le principe est d’informer…

Viviana se leva pour aller reposer le cadre à sa place sur l'étagère. Elle en attrapa un autre qu'elle montra à Salvina.

— Vous êtes beaux, sur celle-là ! commenta-t-elle avec un sourire.

Sur la photo, Salvina, Galdino et Leonzio, bronzés et rayonnants, posaient dans un petit jardin, chacun sur un transat.

— Elle a été prise dans notre ancien appartement de Mergellina, à Naples, raconta Salvina. On a vécu là juste après notre mariage. C'était un minuscule trois-pièces en rez-de-chaussée. On se marchait un peu dessus, à trois là-dedans, mais on y était très heureux.

— À trois ?

— Oui, Leonzio vivait avec nous.

— Alors que vous veniez de vous marier ? demanda encore Viviana, perplexe.

— Mais juste un temps. Il...

Salvina se sentit rougir et s'en voulut de sa réaction. Elle n'avait pas à avoir honte de quoi que ce soit, il n'y avait rien d'incongru à héberger un ami.

— Il venait de se séparer de sa petite amie, je crois. Je ne me souviens pas des détails. De toute façon, ça n'a pas duré longtemps. Bref, ajouta-t-elle en regardant ses pieds, on a été très heureux dans cet appartement, tous les trois.

Salvina perçut le regard de Viviana peser sur elle tandis que la policière revenait s'asseoir sur le canapé.

— Ça n'a pas dû être facile tous les jours, à trois dans un si petit espace. Pas trop de disputes ?

— Pas vraiment, lâcha Salvina en se détournant.

— Jamais ?

— Eh bien, Galdino et Leonzio ont toujours eu l'esprit de compétition. Enfants, c'était à qui courait le plus vite, à qui montait mieux aux arbres, à qui inscrivait le plus de buts au foot. Quand on a été plus âgés, c'est devenu à qui effectuait le meilleur temps sur un marathon, à qui faisait le plus de pompes... Des trucs de mecs, quoi.

Salvina retira ses chaussons, s'assit en tailleur et se blottit contre l'accoudoir du canapé.

— Rien de très sérieux, donc ?

Salvina poussa un soupir agacé.

— Pourquoi vous me posez ces questions ? Non, ils ne se disputaient pas souvent ! Ça a dû arriver quand on était gosses, peut-être. Oui, une fois, ils ont arrêté de se parler, l'espace de quelques mois. Un désaccord idiot... Galdino avait cassé l'appareil photo de Leonzio.

Comme elle sentait ses joues s'embraser à nouveau, elle se tourna vers la fenêtre.

— Une histoire de ce genre, en tout cas.

Viviana s'approcha d'elle sur le canapé.

— La raison pour laquelle je vous pose ces questions, Salvina, c'est parce que quand mes collègues vous ont annoncé le meurtre de Galdino, votre première réaction a été de demander s'ils s'étaient battus. Et vous saviez que Leonzio était là-bas, car il courait avec Galdino tous les jeudis matin. Pourquoi avez-vous dit ça ?

Salvina prit appui sur l'accoudoir pour se redresser, piquée.

— Attendez, c'est un interrogatoire, maintenant ?

— Non, répondit calmement Viviana. Je souhaite juste comprendre pourquoi vous êtes partie du principe que Galdino et Leonzio risquaient d'en venir aux mains.

— Pourquoi est-ce qu'on parle de ça ? s'énerva Salvina. D'abord, vous me dites que c'est un cambriolage qui a mal tourné, ensuite, vous voulez discuter de nos dettes, et voilà que vous me parlez de Leonzio. Alors quoi, poursuivit-elle en entendant sa voix se faire plus stridente à chaque phrase, vous avez abandonné la piste du cambriolage ?

— À première vue, il pouvait s'agir d'un cambriolage, concéda Viviana. Cependant, l'enquête patine depuis six jours. Nous n'avons trouvé aucun signe d'effraction. Les serrures n'ont pas été forcées, les vitres sont intactes, la télévision et la PS5 sont à leur place et le portefeuille de Galdino était rangé dans la poche de sa veste, avec soixante euros en liquide à l'intérieur.

Salvina soupira et se pencha pour reposer le menton sur ses poings.

— Vous avez constaté vous-même que la porte était ouverte, c'est donc normal qu'il n'y ait pas de signe d'effraction ! Quant au portefeuille, peut-être que les cambrioleurs ne l'ont pas trouvé, tout simplement. Et la statuette qui a disparu, hein ? Celle dont on parlait à l'instant ?

Viviana s'éclaircit la gorge.

— En fait... commença-t-elle et, à son ton, Salvina devina que la suite n'allait pas lui plaire. Je ne vous l'ai pas expliqué jusque-là parce que je ne voulais pas vous perturber plus que de raison, mais la récompense n'a pas disparu.

Salvina la dévisagea, estomaquée.

— Les agents chargés d'étudier les indices dans votre maison l'ont envoyée au labo pour analyse dès le premier jour, et les résultats indiquent qu'elle pourrait être l'arme du crime.

— Mon Dieu, souffla Salvina, bouleversée, avant d'enfouir de nouveau le visage dans ses paumes.

— Pour le moment, la police scientifique a relevé les empreintes de trois personnes dessus. Celles de Galdino, les vôtres et, bien sûr, celles de Leonzio.

Salvina releva brusquement la tête.

— Comment ça, "bien sûr, celles de Leonzio" ?

— Nous savons que Leonzio a eu la statuette en main, répondit Viviana tout en surveillant attentivement son interlocutrice. Il dit qu'il l'a ramassée lorsqu'il a bougé le corps de Galdino. D'ailleurs, il la tenait toujours à l'arrivée des secouristes. D'après eux, il semblait presque...

— Presque quoi ?

— Eh bien... Presque réticent à la lâcher.

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