14

5 minutes de lecture

Quelques mois plus tard…

Presque d'aussi loin que Salvina se souvienne, ils avaient été trois : Galdino, Leonzio et elle. Avant Galdino, avant Leonzio, Salvina avait toujours été seule. Depuis six mois, voilà qu'elle se retrouvait de nouveau seule.

Seule et effrayée.

Salvina remontait aussi vite que possible les quelque huit cents mètres qui séparaient l'arrêt de bus du chemin menant à la falaise, les poignées de ses sacs de courses lui cisaillant les phalanges. Il faisait très froid et la lumière du jour s'amenuisait. Son rythme cardiaque s'accéléra. Avec sa vision nocturne catastrophique, elle ne pouvait pas se permettre d'être dehors après le coucher du soleil.

Un mois plus tôt, elle avait emménagé dans la maison sur la falaise. Elle n'avait pas eu le choix : après l'arrestation de Leonzio pour le meurtre de Galdino, elle était restée dans son appartement jusqu'à la résiliation du bail. Elle n'avait évidemment pas les moyens de payer le loyer. Ses tentatives de vendre la maison avaient échoué : il y avait bien eu une poignée de visites, mais aucune offre.

— Réessayez cet été, avait suggéré l’agent immobilier. Il fait nuit de plus en plus tôt, en ce moment, et personne ne veut acheter une maison dans le noir.

« Comprenez que personne ne souhaite acheter une maison isolée, juchée au sommet d'une falaise sur le point de s'effondrer, et dont le dernier occupant a été brutalement assassiné dans son salon ». Ça, il ne l'avait pas dit, mais elle n'était pas dupe.

Pour le moment, Salvina était donc coincée là, seule dans l'obscurité croissante de l'automne. À vol d'oiseau, la maison se situait à trois kilomètres de Capri mais, une fois sous le dôme de la nuit, elle semblait perdue aux confins de la terre. Comme elle était flanquée de deux caps boisés, au nord et au sud, on ne distinguait pas le moindre signe de vie par la baie vitrée, en dehors des lumières d'un bateau passant parfois au loin. On ne voyait rien, et on n'entendait rien non plus. Ni éclats de voix de fêtards dans la rue, ni rires d'enfants s'échappant d'une cour de récréation. Il n'y avait que le vent agitant les oliviers derrière la bâtisse, les vagues s'écrasant sur les rochers, et les cris des mouettes, auxquels Salvina ne pouvait jamais échapper, quelle que fût l'heure.

Elle ne pouvait pas non plus échapper à ses problèmes : ils l'attendaient sur le pas de la porte quand elle ouvrit celle-ci d'un coup d'épaule, le courrier du jour entassé sur celui de la veille. En majorité, des factures qu'elle serait incapable de payer. Salvina enjamba la pile, alluma la lumière et le chauffage, et se chargea d'abord de déballer ses maigres provisions. Rien que le bruit de l'air courant dans les antiques canalisations suffisait à la rendre nerveuse.

Une fois ses courses rangées, elle s'assit à la table de la cuisine et consulta ses e-mails, les doigts croisés dans l'espoir d'avoir reçu une réponse à une de ses candidatures.

Hélas, il n'y avait que des spams et des pubs, ainsi qu'un message de Fiorella, qui lui offrait un essai gratuit pour une application de lecture.

Salvina referma son ordinateur d'un geste sec et prit une grande inspiration avant de s'attaquer à son courrier. Elle mit de côté les enveloppes portant la mention « Dernière relance » et ouvrit un recommandé du procureur l'informant que le procès de Leonzio se tiendrait trois mois plus tard. Enfin, elle arriva à une lettre ornée du cachet de la prison de Poggioreale.

Salvina avait lu les premières missives que lui avait envoyées Leonzio. À chaque ligne, elle percevait son désespoir, son émoi à l'idée qu'elle puisse le croire coupable du meurtre de Galdino. Il la suppliait de venir en discuter avec lui et, après de longues tergiversations, elle avait fini par accepter et avait préparé sa visite.

C'est alors que Viviana était intervenue.

Avant que vous n'alliez là-bas, avait-elle prévenu, je pense qu'il faut que vous soyez en possession de tous les faits.

La policière avait expliqué à Salvina que le procureur avait devant lui un dossier solide, tant du point de vue des preuves matérielles que de celui du mobile. Il n'existait pas d'autre suspect. Leonzio avait bien tenté de détourner les soupçons en proférant des accusations contre l’organisation criminelle de Campanie, la Camorra. Sans succès, il s’était mis à élaborer des arguments fantaisistes contre une mystérieuse femme dont il avait oublié le prénom, et même contre le Munaciello, mais rien ne suggérait l'implication d'une tierce personne.

Ensuite, Viviana avait apporté à Salvina une épaisse pochette contenant les éléments de l'affaire. Horrifiée, la jeune veuve avait alors découvert que Leonzio était un inconnu pour elle, et qu'il en allait presque de même pour Galdino.

Ses deux amis lui mentaient depuis des années. Elle avait l'impression qu'ils menaient une existence parallèle, dont elle ignorait tout.

Pour commencer, elle n'aurait jamais imaginé l'ampleur des dettes que Galdino et elle avaient accumulées.

Régulièrement, son mari avait emprunté de grosses sommes à Leonzio, et ce depuis le début des problèmes financiers du couple. D'après les e-mails que s'échangeaient les deux hommes, il semblait qu'après que Galdino avait hérité de la maison de son père, Leonzio avait commencé à lui demander s'il récupérerait bientôt son argent. Aucun d'eux n'avait jamais soufflé mot de tout cela à Salvina.

Ils ne lui avaient pas non plus parlé du fait que Galdino avait carrément tenté de dissuader Leonzio de s'installer à Capri. Il lui avait écrit pour lui dire que Salvina et lui avaient besoin de « mettre de la distance » entre eux et avait ajouté que c'était une des raisons qui les avaient poussés à quitter Naples. Or, du point de vue de Salvina, il s'agissait d'un pur mensonge.

Dans un autre échange, Galdino évoquait « ce qui s'est passé avec Tania » et « cette histoire avec M » et demandait à Leonzio s'il voulait vraiment que Salvina « apprenne la vérité ». Salvina n'avait pas la moindre idée de ce dont il était question. Elle voyait bien qui était Tania, une fille que Leonzio avait fréquentée quelques années plus tôt et avec qui la séparation s'était plutôt mal passée. Salvina se souvenait avoir entendu Leonzio qualifier son ex de tarée et d'hystérique. Quant à « M », cela pouvait correspondre à un certain nombre de personnes, surtout plusieurs femmes parmi la ribambelle de petites copines de Leonzio. Sans se creuser la tête trop longtemps, Salvina pouvait déjà décompter au moins deux Maria, une Maddalena et une Melina.

Annotations

Vous aimez lire LauraAnco ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0