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Après la lecture du dossier de Viviana, Salvina avait cherché Tania sur Facebook mais n'avait rien trouvé d'intéressant : depuis le temps, celle-ci s'était mariée, et elle ne postait plus que des photos de ses enfants. Ni Leonzio ni Galdino n'étaient très présents sur les réseaux sociaux. Cependant, Salvina était tombée sur un groupe Facebook composé d'anciens élèves de leur collège, où le trio était devenu un grand sujet de discussion. Des soi-disant camarades avaient posté des liens traitant du meurtre de Galdino, et une bonne partie d'entre eux incluait des détails macabres qui avaient fuité dans la presse. Pire, sous les articles au sujet du meurtre et de l'arrestation de Leonzio, on trouvait des dizaines de commentaires, principalement des théories fumeuses ou des ragots malsains :

Vous avez vu ça ? Ça ne m'étonne pas vraiment, ces trois-là étaient tellement bizarres.

Leonzio Pacciani a toujours été un pervers.

Galdino Baldini était gay, c'est une querelle d'amoureux, point barre.

Le ménage à trois a enfin capoté ?

Elle se débarrasse des deux et elle s'en sort, c'est ça ?

C'était déjà une connasse coincée au collège, celle-là.

Elle a forcément quelque chose à voir là-dedans, on me fera pas croire le contraire.

Salvina avait fermé le navigateur et n'avait plus consulté les réseaux sociaux depuis. Peu lui importait l'avis de ces vautours. Leonzio, Galdino et elle étaient au-dessus de ces gens-là depuis leur enfance. Tous les trois, ils jouaient dans une autre catégorie.

Mais ça, c'était avant. Alors qu'elle se levait pour jeter la lettre encore fermée de Leonzio à la corbeille, Salvina croisa son reflet dans la vitre. Un visage blafard lui rendit son regard. Le visage d'un fantôme. Misérable et seule.

Il faisait encore sombre quand Salvina quitta la maison.

Avec sa mauvaise vue, c'était dangereux d'aller courir avant le lever du soleil, mais elle n'avait pas le choix.

À cette période de l'année, le soleil ne se levait pas avant huit heures quand il daignait faire son apparition. Et Salvina avait besoin de courir. À tout prix. La course était la seule activité qui lui permettait de ne pas sombrer dans la folie. Alors elle se levait, enfilait ses baskets, calait sa frontale sur son crâne et sortait dans l'obscurité pour s'enfoncer dans les arbres, aux branches desquels des lambeaux de brouillard s'accrochaient désespérément, tels des spectres.

À son retour, ce jour-là, elle avait les jambes en plomb.

Alors qu'elle était sur le point d'entrer dans sa douche, le téléphone sonna. Elle faillit ne pas répondre. Ces derniers temps, les appels n'étaient jamais synonymes de bonnes nouvelles, mais le nom de Fiorella sur l'écran du portable la rassura et elle décrocha. Elle écouta les bavardages de son amie, qui lui raconta le tourbillon dans lequel elle était prise, en plein séjour à Naples la veille, elle avait couru de réunion en réunion, s'était arrêtée chez son coiffeur favori pour rafraîchir sa couleur, puis chez l'opticien pour acheter de nouvelles lentilles de contact. À présent, elle avait devant elle une nouvelle journée de réunions, suivie peut-être d'un rencard le soir, même si elle n'était pas encore sûre que son prétendant fût vraiment son type d'homme.

Salvina essaya d'imiter sa bonne humeur et de se montrer enjouée, mais se rendit compte qu'elle n'y parvenait pas. Honteuse, elle s'entendit se lancer dans un énième monologue pathétique sur sa solitude, son épuisement.

Elle s'entendit raconter qu'elle n'arrivait pas à se concentrer assez longtemps pour lire un livre, que regarder la télévision ne faisait que l'attrister plus encore, quel que soit le programme, comédie, drame ou documentaire animalier, parce qu'elle avait constamment le réflexe de se tourner vers Galdino pour partager ses commentaires, comme elle l'avait toujours fait.

La voix de Fiorella demeurait chaleureuse, rassurante.

— Tu sais ce qu'il te faut, Salvina ? Un compagnon. Tu devrais adopter un chien. Il y a un refuge du côté de…

— Je ne suis pas très chien, l'arrêta Salvina.

— Oh, il y a aussi des chats. On ne peut pas aller courir avec un chat, bien sûr, mais ça peut être très apaisant d'en avoir un chez soi...

— Je n'aime pas trop les animaux.

— Ah oui, j'avais oublié...

Fiorella semblait déçue.

— Je n'aime pas les animaux, ça ne fait pas de moi une mauvaise personne, se défendit Salvina.

— Mais non, évidemment ! s'esclaffa Fiorella. J'essaie juste d'avoir une idée qui puisse te remonter un peu le moral...

— Je me disais que j'allais peut-être essayer ton application de podcast. J'ai reçu une pub l'autre jour. Hier, d'ailleurs… et ça m'a fait penser que ça m'aiderait peut-être à m'endormir.

— Oh, oui, c'est parfait pour ça ! Je t'assure, des tas de gens m'ont dit qu'ils avaient trouvé ça extrêmement relaxant, que c'était comme d'avoir quelqu'un assis près de toi qui te lit une histoire. Il y en a une... attends, comment ça s'appelle... Ah, Dimmi che credi al destino de Luca Bianchini. C'est une comédie romantique, assez drôle, le genre qui met du baume au cœur. Tu devrais essayer.

Ce soir-là, après son dîner, des friarielli* et un morceau de ciabatta**, Salvina prit un bon bain chaud, pulvérisa quelques gouttes de laurier-rose sur son oreiller, connecta son téléphone à l'enceinte de la chambre et cliqua sur le lien de la fiction que lui avait recommandée Fiorella. À vingt-deux heures quarante-cinq, elle éteignit la lumière et se blottit sous sa couverture, ravie d'avoir autre chose à écouter que le bruit des vagues et les cris des mouettes. Fiorella n'avait pas menti : l'histoire était drôle ; la narratrice avait une voix apaisante. Salvina ferma les yeux. À un moment, elle se retourna pour jeter un coup d'oeil à l'horloge posée sur la table de chevet ; il était presque cinq heures.

Elle avait dormi !

Pour Salvina, cela relevait quasiment du miracle.

***

* plat napolitain à base de pousses de brocoli-rave cuits avec de l’ail frit, de l’huile d’olive et du piment.

** pain blanc à base d’huile d’olive

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