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Courir, manger, dormir, recommencer.

En décembre, l'hiver continua de grignoter chaque jour un peu plus de lumière. Salvina avait la sensation de vivre dans un monde à part, un monde en nuances de gris qui se résumait à sa maison, aux bois et au sentier côtier. Mais elle inspirait l'air dans ses poumons et courait, de plus en plus vite, de plus en plus loin, dix kilomètres, puis douze, puis quinze. Elle courait jusqu'à ne plus pouvoir tenir debout, jusqu'à l'épuisement. Et le soir venu, avec l'aide des histoires, elle dormait.

Parfois, elle réécoutait en boucle le même feuilleton, réconfortée par ce récit familier, rassurée de ne pas avoir besoin de suivre l'intrigue. Elle n'avait qu'à se laisser bercer par les paroles. Parfois, pendant son sommeil, une nouvelle histoire démarrait à la fin de la précédente et Salvina s'endormait au son d'une voix pour se réveiller avec une autre.

C'est ce qui arriva cette nuit de début décembre… Elle s'était assoupie en écoutant un Sicilien raconter les aventures loufoques d'une famille milanaise qui avait déménagé à la campagne, et s’éveilla au petit matin dans une atmosphère bien différente. Une femme évoquait une scène qui n'avait plus rien à voir : elle décrivait une maison isolée, cernée d'arbres, une bâtisse moderne de béton et de pierre blanche, avec tout un mur de verre face à la mer.

Le pouls de Salvina s'accéléra.

La voix détailla la salle de séjour avec sa cuisine américaine, la cheminée en pierre côté salon, le puits de lumière de la cuisine.

Salvina se redressa brusquement. Elle voulut se jeter sur son téléphone mais manqua sa cible et fit valdinguer la lampe de chevet. Après avoir réussi à attraper le portable, elle dut faire plusieurs fois glisser son doigt sur l'écran pour le déverrouiller, pendant que la voix poursuivait, dépeignant la falaise instable au fond du jardin... Enfin, Salvina parvint à fermer l'application. La voix se tut.

Durant quelques instants, elle demeura immobile, le téléphone serré contre sa poitrine. Sous la fine peau du poignet, son pouls palpitait comme les ailes d'un oiseau contre les barreaux de sa cage. La crise de panique menaçait. Salvina prit une grande inspiration et se rappela que cette maison avait été mise en location par le passé, chaque été, quand le père de Galdino partait à l'étranger, des touristes s'installaient là. Et puis, au fil des années, il avait dû recevoir ici un certain nombre d'amis ou de visiteurs. Il y avait aussi la poignée d'acheteurs potentiels qui étaient venus visiter la maison quelques semaines plus tôt...

Salvina parvint à se calmer, à se convaincre qu'elle se faisait une montagne de rien du tout. Bien sûr, c'était bizarre, mais ce n'était qu'une coïncidence. Un hasard. Encore un peu embarrassée par sa réaction, elle se leva pour ramasser la lampe, se remit sous ses couvertures et rouvrit l'application. L'histoire s'appelait Il valore delle sue azioni*. L'auteur n'apparaissait que sous ses initiales : M.G.

Oublie ça, songea Salvina. Éteins, écoute autre chose.

Mais elle en était incapable.

Elle appuya sur Lecture.

« Une chaude journée de juillet. La baie vitrée coulissante qui donne sur le bord de la falaise est ouverte. L'odeur caractéristique de la mer se faufile dans la maison, mélange de sel et d’algues bleues. À l'intérieur résonne le silence imposant d'un endroit qu'on vient juste de quitter. Un endroit il y a peu empli de vie, qui n'est désormais plus qu'un vide. Au sol est étendu un homme, mais ce n'est plus un homme, c'est un corps. Du sang suinte encore de son crâne meurtri, de la fracture marquant l'emplacement où s'est abattu violemment un lourd objet en verre ».

***

*La valeur de ses actes

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