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La tempête se levait.
La météo avait décrété une alerte de niveau rouge : beaucoup de pluie et des vents à soixante-quinze kilomètres à l'heure, avec des rafales pouvant monter jusqu'à cent vingt. Parfait, songea Salvina en descendant du bateau qui la ramenait de la prison. Sous des nuages déjà bien sombres, des bourrasques fouettaient violemment les vagues. Que la tempête vienne, qu'elle dévore la falaise et précipite sa maudite bicoque dans les flots.
Une fois rentrée, presque aussi destructrice qu'un ouragan, Salvina retourna l'intérieur de la maison à la recherche de preuves de ce que Leonzio lui avait raconté. Elle mit le bureau de Galdino sens dessus dessous, vidant le contenu des tiroirs sur le sol. Elle arracha tous les vêtements à leur portant, renifla chaque col de chemise pour tenter d'identifier un parfum inconnu, mais ne perçut que les vestiges de l'odeur de son mari. Elle inspecta chaque manteau, guettant un long cheveu brun qui s'y serait perdu. Elle fouilla ses poches en quête d'un ticket de caisse accablant. Rien.
Fiorella ? Galdino et Fiorella ? Cela lui semblait inconcevable.
Salvina téléphona à Fiorella une bonne dizaine de fois, lui laissa autant de messages : « Rappelle-moi, s'il te plait. » « C'est urgent. » « Fiorella, j'ai vraiment besoin de te parler... »
Elle se creusa la tête à essayer de répertorier toutes les fois où Galdino et Fiorella s'étaient retrouvés dans la même pièce.
Il n'y en avait pas eu beaucoup. Un soir, ils avaient pris un verre en ville, tous les trois. L'année précédente, Fiorella et Salvina avaient couru un semi-marathon et, après, Fiorella était venue dîner chez eux. Ils avaient tous beaucoup trop bu et Galdino était parti se coucher, laissant les deux amies bavarder dehors sous les assauts des moustiques.
Deux fois, donc.
À moins que... Salvina repensa à l'attitude de Galdino, les derniers mois avant sa mort. Sa paranoïa, sa jalousie délirante, sa réaction quand elle lui avait dit qu'elle avait reçu un message de Fiorella. Est-ce qu'elle avait tout compris à l'envers ? Peut-être qu'il agissait bizarrement non pas parce qu'il ne lui faisait pas confiance... mais parce qu'il se sentait coupable.
Salvina prit une des vestes de Galdino sur ses épaules, celui qu'elle préférait, et s'enveloppa dedans. Dévastée, elle retraversa lentement la maison pour rejoindre la cuisine.
Sur le plan de travail trônait l'ordinateur de Galdino dans un sachet transparent. La police analysait encore le téléphone mais elle avait renvoyé le PC quinze jours plus tôt. Salvina n'avait même pas ouvert le plastique. Lorsque son regard tomba dessus, l'adrénaline reprit sa course dans son corps.
S’il existait des traces d'une liaison, c'était dans l'ordinateur qu'elle les trouverait, pas planquées entre une facture d'électricité et une lettre de refus d'une chaîne de télé. Il détenait sûrement des réponses. Une question demeurait : avait-elle vraiment envie de savoir ?
Il ne lui fallut que quelques tentatives pour deviner le mot de passe de Galdino. La date de leur mariage. Quelle ironie de choisir le jour où ils s'étaient juré fidélité comme barrière pour cacher l'existence de sa maîtresse !
Dans la messagerie, Salvina ne trouva rien d'intéressant. Pas d'e-mails échangés avec Fiorella, ni avec une quelconque autre femme, d'ailleurs.
Elle ouvrit ensuite le dossier contenant tout ce qui traitait du travail, parcourut des idées de séries, des débuts de résumés pour des studios. Dans un dossier nommé « PHOTOS », elle découvrit les fichiers numériques de leurs photos de mariage. Il y avait là également des clichés pris lors de leurs vacances en Angleterre avec Leonzio, quelques années plus tôt, et d'autres de divers pique-niques dans le parc près de leur ancien appartement, à Naples.
Dans le sous-dossier « PHOTOS1 », Salvina dénicha alors un autre sous-dossier intitulé « F.M ». Son cœur se serra.
Certaine de tomber sur des images sordides comme Fiorella en sous-vêtements ou, pire, une vidéo, elle rassembla tout son courage et cliqua. Il n'y avait que deux fichiers. Le premier était bien une photo de Fiorella, mais rien d'affriolant : on la voyait après le semi-marathon de Naples de l’année précédente, flanquée de Salvina et de Galdino. Tous trois souriaient à l'objectif, les deux femmes encore rouges et en sueur.
Le second n'avait rien à voir : c'était une vieille photo de l'équipe d'athlétisme du collège. En plissant les yeux, on pouvait reconnaître Salvina au premier rang, avec ses cheveux attachés en queue de cheval. Derrière elle, au deuxième rang, Leonzio et Galdino se tenaient côte à côte, les bras croisés sur la poitrine.
Salvina referma le fichier. Elle se leva pour mettre de l'eau à bouillir, son cerveau tournant et retournant toutes ces informations. Quelque chose la chiffonnait dans ce dernier cliché. Elle revint à l'ordinateur et le rouvrit. Penchée sur l'écran, elle zooma et... là ! Au premier rang, à deux ou trois élèves d'écart avec Salvina, était assise une fille au visage rond, aux cheveux noirs avec des mèches rousses et une coupe au bol peu flatteuse : Mirella.
Dans la poche de son jean, son téléphone se mit à vibrer.
Un message WhatsApp, encore de ce numéro inconnu.
« Ça y est, tu as compris ? »
Puis un autre :
« Et ensuite ? »
Salvina sursauta comme si elle venait de prendre une décharge électrique. Elle rouvrit la première photo et examina d'abord Fiorella, avec sa belle chevelure blonde, ses yeux noisettes, ses bras musclés, puis Mirella, petite brune aux yeux noirs, tout en rondeurs. Non. C'était impossible.
Salvina eut l'impression de tomber. Elle resta longtemps fixée sur Fiorella, Fiorella qui devait se rendre à Naples au moins une fois par mois, car il n'y avait qu'un seul coiffeur à qui elle acceptait de confier sa couleur, Fiorella qui portait des lentilles de contact, Fiorella qui, une fois, en fin de soirée au café, lui avait avoué qu'elle était potelée à l'adolescence et qu'elle devait faire beaucoup de sport pour conserver son apparence actuelle. Fiorella et Mirella, côte à côte dans un dossier que Galdino avait intitulé « F.M ».
Le téléphone de Salvina vibra deux fois. Elle le fixa du regard, presque trop effrayée pour y toucher, avant de l'attraper.
Deux nouveaux messages provenant du numéro inconnu.
Elle ouvrit le premier. Une image, qui mit une seconde avant de charger. C'était la photo de l'équipe d'athlétisme, mais on avait barré d'une croix le visage de Galdino et celui de Leonzio. Le second message contenait une unique phrase :
Celle qui refuse de venir en aide à une autre femme en paiera tôt ou tard le prix.
Salvina lâcha l'appareil comme s'il lui avait brûlé la main.
Au moment où il atteignait la table, il se mit à sonner.
Elle recula, terrifiée, le regarda tourner sur la table sous l'effet des vibrations, et tressaillit lorsqu'un puissant coup de tonnerre fit trembler la maison. Enfin, elle reprit le smartphone et décrocha. Elle entendit quelqu'un respirer, mais elle ignorait s'il s'agissait de l'autre personne en ligne ou d'elle-même. Puis la voix d'une femme résonna :
— Alors, ça y est, tu as compris ? Allez, dis-moi ! Et ensuite ?
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