21

5 minutes de lecture

La tempête faisait rage. De véritables seaux de pluie et d'écume inondaient les vitres de la maison et le vent hurlait dans le bosquet derrière la bâtisse.

On aurait cru entendre les arbres eux-mêmes gémir de douleur, écartelés par les bourrasques qui s'évertuaient à les déraciner.

Profitant d'une brève accalmie, Salvina prit la parole.

— Mirella ? dit-elle en écrasant le téléphone contre son oreille.

Malgré la peur qui s'était infiltrée jusque dans sa colonne vertébrale, elle emprunta le couloir pour rejoindre sa chambre et se réfugier dans son lit, sous les couvertures.

— Mirella ? répéta-t-elle. C'est toi ?

— Appelle-moi Fiorella, répondit la voix. Mirella n'existe plus depuis douze ans. J’ai changé de prénom à ma sortie de l'hôpital.

Elle s'interrompit et, dans le silence, Salvina reconnut le déclic et le chuintement d'un briquet qu'on actionne.

— Oui, parce que j’ai fait un petit séjour en psychiatrie. Tu étais au courant ? Enfin, maintenant tu le sais, vu que je l'ai raconté dans le feuilleton. J'ai essayé de me suicider et on m'a collée là-bas.

Après une autre pause, elle reprit :

— Au fait, elle t'a plu, mon histoire ?

Elle parlait d'un ton étrangement léger, comme si cette conversation l'amusait beaucoup.

— J’ai trouvé ça plutôt pas mal, moi, pour une première tentative de fiction. Ou de non-fiction ? Je ne sais plus trop. Bref. Le début s'est quasiment écrit tout seul mais là, je galère avec la suite. Je me suis dit que tu pourrais peut-être m'aider.

Elle rit, un rire cassant qui fit frissonner Salvina.

— Qu'est-ce que tu veux, Fiorella?

— Une fin satisfaisante ! Ça va faire deux ans que je bosse sur ce projet. Je me suis donné beaucoup de mal. Il faut dire que ça me tenait tellement à cœur.

— Tu planifies tout ça depuis qu'on s'est rencontrées ?

— "Retrouvées", tu veux dire. Avant ça, je vivais ma petite vie, j'avais réussi à laisser le passé derrière moi. À tirer un trait sur ma souffrance, sur toutes les épreuves que j'avais traversées. Je m'en sortais vraiment bien ! Je commençais à monter ma boîte, j'avais emménagé dans une nouvelle ville, un endroit qui ne recelait aucun mauvais souvenir. Et un beau jour, alors que je me rends à mon Club de course à pied, qui je vois, comme surgie des enfers pour me poursuivre ? Salvina Russo...

— Baldini.

— Oui, bien sûr. Salvina Baldini, qui a épousé son amour d'enfance. Enfin, un de ses deux amours d'enfance.

— Et donc tu as décidé de me l'arracher ? gémit Salvina, brisée.

— Pas sur le moment. Au début, j'étais trop abasourdie. Ce premier jour, pendant qu'on courait, j'ai attendu que tu aies le déclic. J'étais sûre que j'allais finir par voir la surprise ou la honte sur ton visage, mais non, rien. Tu as continué de me regarder sans te douter de rien, tu es restée plantée là avec ton sourire idiot sur la figure.

À l'autre bout du fil, Salvina entendit un grondement, comme un camion qui passe, et la voix de Fiorella se tut un instant avant de se faire de nouveau entendre.

— Après avoir bousillé ma vie, tu m'as complètement oubliée, n'est-ce pas ? Ensuite, j'ai rencontré ton mari, et lui non plus ne s'est pas souvenu de moi. À croire que cet épisode n'avait jamais eu lieu, que cette pauvre Mirella, cette cruche sans amis, n'avait jamais existé. Alors j'ai décidé qu'il était peut-être temps de vous rafraîchir la mémoire.

— Et tu l'as... séduit ?

— C'est ça qui te reste en travers de la gorge ? s'esclaffa Fiorella. Pas que je l'aie tué, pas que je lui aie explosé le crâne, mais que j'aie couché avec lui ?

De nouveau, ce rire cruel.

— Tu es sacrément égocentrique, Salvina, tu sais ? Rassure-toi, va. Nous n'avons pas couché ensemble. Je lui ai simplement laissé croire qu'il avait ses chances. Après, entre nous… reprit-elle avant d'émettre un petit bruit dégoûté, ce n'était pas non plus le type le plus attirant de la planète, hein ? Un minable fauché et geignard, constamment à se plaindre de sa méchante femme qui s'apprêtait à le quitter pour son meilleur ami...

— Je t'interdis de parler de Galdino en ces termes, je te l'interdis !

— Pourquoi, au juste ? Pourquoi je ne pourrais pas le traiter de minable ? Tu ne t'es pas gênée pour le faire, toi !

Salvina tressaillit.

— Et je ne m'apprêtais pas à le quitter. Je ne lui aurais jamais fait ça.

— Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu venais de partir en claquant la porte !

— Ce n'était pas définitif. On traversait une mauvaise passe, mais je serais revenue...

— Parce que tu l'aimais à la folie, ou parce que tu avais compris que Leonzio ne voulait pas de toi ? demanda Fiorella. De toute façon, je ne suis pas sûre que Galdino aurait accepté de te reprendre. Tu sais, quand j'ai commencé à instiller le doute dans son esprit, à lui parler de Leonzio et de toi, je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi simple. Mais il a tout gobé ! Quand je lui ai raconté que tu ne venais presque jamais courir, il m'a crue. Quand je lui ai raconté que tu ne faisais que parler de Leonzio, il m'a crue aussi. Il avalait sans broncher la moindre saleté que je lui susurrais à ton sujet. Je n'ai jamais bien compris pourquoi il n'essayait même pas de te défendre. Peut-être qu'au fond, il ne t'aimait pas ? Ou peut-être qu'il se sentait trop coupable de ce que vous m'aviez fait, lui et toi.

Une pleine seconde, un éclair illumina la surface de la mer. Salvina se recroquevilla sous sa couverture.

— Tu veux dire que Galdino avait deviné ? Qu'il savait qui tu étais ?

— Il n'était pas aussi aveugle que toi, en tout cas. Tu te souviens, l'année dernière, quand je suis venue chez vous après le semi-marathon ? On a vidé une bouteille de vin dehors, et il y avait des tonnes de moustiques. À un moment, tu es rentrée chercher l'insecticide, et j'ai remarqué qu'il me dévisageait. J’ai cru qu'il allait me faire du rentre-dedans. Mais d'un coup, il s'est décomposé. J'ai vu l'horreur et la honte sur son visage. Pas trop tôt ! Quelques jours plus tard, il m'a contactée sur WhatsApp pour me demander si on pouvait discuter. On s'est retrouvés au bar de l'hôtel La Scalinatella. Il a enchaîné les verres en pleurnichant sur son sort et m'a suppliée de lui pardonner...

— Je ne te crois pas ! cria Salvina, soudain galvanisée. Tu mens, Galdino ne t'a pas violée, Fiorella !

— Non, concéda l'autre d'une voix plus grave et plus rauque, qui n'était pas sans rappeler celle du feuilleton. Tu as raison. C'est Leonzio qui m'a violée, pas Galdino. Lui, il était simplement dans la pièce avec nous.

Un sifflement bizarre retentit à l'autre bout de la ligne, et la communication fut coupée.

Annotations

Vous aimez lire LauraAnco ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0