24
Après l'orage, le silence. Un silence de mort.
Il faisait encore sombre dehors mais, à la lumière qui s'échappait de la maison, Salvina voyait tomber une fine bruine. Raide sur sa chaise, les mains dans le dos, elle se concentrait de toutes ses forces pour ne pas défaillir, pour ne pas claquer des dents, pour ne pas se mettre à trembler trop fort. Elle était terrifiée. Il n'y avait plus que la respiration de Fiorella dans son oreille et le froid du métal contre son cou.
— Allez, avoue, chuchota Fiorella. Avoue simplement que tu savais ce que Leonzio m'avait fait. Si tu le reconnais, peut-être que j'aurai pitié de toi.
Salvina ferma les yeux, déglutit. Contre sa gorge, la pression s'intensifia.
— Galdino a avoué, lui, lâcha Fiorella.
Salvina étouffa un cri lorsque la lame lui érafla la peau, mais, soudain, la pression disparut. Elle ouvrit les yeux, expira longuement. Fiorella demeurait en dehors de son champ de vision. Pourtant, Salvina percevait encore sa présence, juste derrière elle, et elle imaginait l'objet tranchant dans sa main.
— Deux ou trois jours après que tu l'as quitté, Galdino m'a écrit sur WhatsApp, il voulait que je vienne le voir, alors j'ai fait la route jusqu'ici. Il avait un coup dans le nez et j'ai dû me farcir à nouveau le disque rayé de ses pleurnicheries et de ses excuses, gronda Fiorella, la voix soudain rauque, comme si elle retenait un sanglot. Je lui ai demandé encore une fois pourquoi il n'avait rien dit, à l'époque...
Elle s'interrompit le temps de se racler la gorge.
— Il m'a répondu qu'il ne voulait pas gâcher la vie de Leonzio. Ils étaient jeunes, des gamins, pas vrai ? Et Galdino s'en voulait « tellement, tellement » pour moi, mais il savait que s'il avait dénoncé Leonzio, tu ne le lui aurais jamais pardonné. Il vous aurait perdus tous les deux. Alors, par loyauté envers Leonzio et par amour pour toi, il a préféré gâcher ma vie à moi.
Les larmes aux yeux, Salvina se mordit la lèvre. C'était tout Galdino ! Fidèle à Leonzio, dévoué à Salvina. Cela résumait parfaitement leur relation à tous les trois. Un trio à part.
Les autres avaient moins d'importance, ils n'existaient même pas, à côté d'eux ! Au fond de lui, Galdino aussi croyait en cette alliance sacrée, même si sa foi avait vacillé sur ses derniers mois.
— Allez, avoue, répéta Fiorella.
Cette fois, il y avait une menace dans sa voix, peut-être une manifestation de sa fatigue ou de son stress.
— Je veux simplement t'entendre dire la vérité.
Salvina prit une grande inspiration.
— Admettons que j'obéisse. Admettons que je prononce toutes les phrases que tu veux me faire dire. Qu'est-ce que ça changera, après ? Tu n'as plus aucune échappatoire, à présent, Fiorella. Tu voulais que je te raconte la suite de l'histoire ? Tu vas aller en prison. Ou alors, tu vas devoir te débarrasser de moi, comme tu t'es débarrassée de Galdino. Sauf que cette fois, tu n'as plus personne à qui faire porter le chapeau... Bref, quoi qu'il arrive, ça ne peut que mal finir, pour toi.
Salvina sentit la lame se plaquer sur sa gorge.
— Peut-être que ça en vaudra la peine... murmura Fiorella, et Salvina se mordit plus fort la lèvre. Ou peut-être qu'on peut conclure un marché, toi et moi. Tu me présentes tes excuses, tu me supplies de te pardonner, je m'en vais et tu me laisses partir sans me dénoncer.
— Pourquoi ? souffla Salvina, le corps agité de frissons, en sentant la lame descendre de plus en plus bas sur son cou. Pourquoi je ferais ça ?
— Pour Leonzio.
Fiorella inclina la lame et la retira subitement, arrachant un petit bout de peau au passage. Salvina poussa un cri et recommença à se débattre.
— Qu'est-ce que ça signifie ? cria-t-elle. Comment ça, « pour Leonzio » ?
Fiorella se plaça en face de Salvina, les mains dans le dos, songeuse.
— Et si je te disais que j'ai en ma possession un élément susceptible de remettre en cause toute l'affaire, et d'empêcher le procureur d'obtenir une condamnation ? Une vidéo, par exemple. Une vidéo qui, sans montrer le visage du meurtrier, pourrait cependant prouver que ce dernier était bien plus petit et plus mince que Leonzio Pacciani.
Salvina secoua la tête.
— Tu es folle à lier, tu sais ? Tu assassines mon mari, tu fais accuser son meilleur ami, tu me ligotes et tu me tortures. Et maintenant, tu veux me faire croire que tu vas laisser Leonzio s'en sortir ? Tu me prends pour une idiote ?
— J'aurai obtenu ce que je désire, déclara Fiorella en haussant les épaules. Je t'aurai entendue dire ce que j'attends depuis quinze ans, je t'aurai punie, je t'aurai fait vivre un calvaire, et à Leonzio aussi. Vous ne risquez plus de m'oublier, après ça.
Fiorella se tourna vers la mer. Salvina vit alors son arme : une paire de ciseaux de cuisine. Des ciseaux de cuisine !
Dès qu'elle les aperçut, Salvina sentit la peur la quitter. Fiorella n'allait pas la tuer ! On ne prenait pas des ciseaux pour égorger quelqu'un, surtout quand il y avait des couteaux à portée de main.
Derrière Fiorella, à travers la vitre, Salvina découvrit une fine bande de lueur grise à l'horizon, au bout du jardin. C'était le matin. Elle avait tenu une nuit entière.
— D'accord, dit-elle.
— D'accord ? répéta Fiorella en s'avançant vers elle, les ciseaux serrés dans sa main droite.
— D'accord.
Salvina releva la tête, dévoilant sa gorge, comme pour la mettre au défi.
— J'accepte ton marché.
Annotations