Chapitre 19 (partie 1)
- Allez Adèle, en voiture. On va finir par être en retard !
- C’est bon, j’arrive, lance la jeune fille en prenant place près de Fred, déjà au volant. Je vérifiais que je n’avais rien oublié.
- T’as bien emmené les cotillons, les confettis, les langues-de-belle-mère ?
- Quoi ?
Le garçon éclate de rire en voyant l’expression interloquée de sa chérie.
- Ah c’est vrai, c’est pas la répétition du bal de noces ! Je confonds toujours, excuse-moi, continue-t-il, toujours hilare.
- Pff… arrête Fred, sois un peu sérieux. On va avoir l’air de quoi si tu fais que te moquer ?
Les jeunes gens sont en partance pour le week-end de préparation au mariage chrétien. Frédéric, dont l’objectif est avant tout de faire plaisir à sa fiancée et ses futurs beaux-parents, a décidé de le vivre comme une expérience originale et distrayante. Et comme Adèle montre quelques signes de nervosité, tout lui sert de prétexte à la plaisanterie.
- Tu crois qu’ils ont des lits king size à l’abbaye ? demande le jeune homme, l’air coquin.
- Oh là là, ne rêve pas ! Je crois plutôt que tu auras un petit lit individuel dans une cellule de moine.
- Hum… avec les ressorts qui grincent, ça m’excite déjà.
Adèle ne peut s’empêcher de sourire aux blagues de son ami mais elle n’en mène pas large. Il en fait un peu trop, non ? Ou c’est elle qui a du mal à se détendre ? Jusqu’au dernier moment, elle a hésité à participer à ces deux jours d’accompagnement, inscrits dans le parcours obligé des candidats au sacrement du mariage. Sa mésaventure d’une nuit est encore fraîche dans sa mémoire et l’a fragilisée. Si elle aime toujours autant Fred, le sentiment de culpabilité à son égard n’a pas décru et l’empêche de profiter pleinement de leurs tête-à-tête. Elle aurait souhaité davantage de temps avant d’évoquer les thèmes de l’engagement et de la fidélité, inhérents à ce genre de session. Mais annuler revenait à s’exposer au feu des questions de sa mère. Déjà que repousser l’achat de la robe avait été sujet à soupçons à peine déguisés, elle imagine ce qu’aurait déclenché le report de ce week-end. À tout prendre, la jeune femme préfère donner le change à des inconnus pendant quarante-huit heures plutôt que risquer d’être percée à jour par sa mère.
Après une heure de trajet, le couple arrive à l’abbaye abritant le centre spirituel. Située à l’orée d’une forêt, Notre-Dame de la Fontaine déploie son enceinte sur plusieurs centaines de mètres et impose l’ocre de ses pierres au ciel sombre de ce vendredi soir. Une fois leur véhicule stationné à l’extérieur, les visiteurs franchissent la porterie et découvrent un cadre verdoyant autour duquel sont disposés de nombreux bâtiments, les uns dévolus au travail, les autres à la prière avec, en point d’orgue, l’église abbatiale du XIIIème siècle. Le frère portier leur indique une allée menant à l’hostellerie, lieu d’accueil des retraites comme la leur. La bâtisse, de facture plus récente, n’en est pas moins impressionnante. Composée de deux étages, son rez-de-chaussée aligne une série de fenêtres en ogive, ornées de vitraux. L’éclairage au-dessus de la porte d’entrée forme un halo doré crevant le froid hivernal.
- Pas mal, le relais-château ma chérie, bien joué ! commente Fred.
À l’intérieur, se trouve une dizaine d’autres couples prétendants au mariage. La haute pièce de réception a été séparée en deux par une épaisse tenture afin de lui donner une atmosphère plus conviviale et chaleureuse. Pas de sapin de Noël mais une grande crèche et quelques décorations rappellent la fête chrétienne à venir. Les derniers participants arrivés, un homme d’une soixantaine d’années prend la parole :
- Bienvenue à Notre-Dame de la Fontaine pour notre session « Amour et Alliance ». Je suis le Père de Montfort et vous accompagnerai durant ces deux jours. Je vous présente également François et Sylvie, qui animeront avec moi et vous feront partager leur expérience de trente années d’union.
Chacun se souhaite poliment la bienvenue, en se tournant vers ses voisins les plus proches, de façon aimable mais un peu figée. Fred en profite pour glisser à l’oreille de sa compagne :
- Tu crois que de l’autre côté du rideau, il y a la même chose pour les couples gays ?
Adèle lève les yeux au ciel, en signe d’agacement. Elle n’est plus du tout d’humeur à plaisanter.
- Bah quoi ? fait mine de s’étonner le jeune homme. T’as dit à ton frère qu’on était là, au fait ?
- D’après toi ? … bien sûr que non.
Tout en disant ces mots, la jeune fille imagine la moue d’Éric et se figure Manuel en train de lui crier : « N’y va pas, Adèle, rebrousse chemin : c’est une connerie ! »
Elle chasse bien vite cette pensée et reprend un sourire de circonstance.
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