06 - Perles bleu-gris

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15e jour de la saison du soleil 2448

Un hululement perça le silence de la nuit. Était-ce la nuit? Serfantor n'en n'était plus certain. Le temps n'existait pas à Norkux mis à part le changement des saisons. Était-ce le début, le milieu ou la fin de l'été? Il ne pouvait pas plus dire. Le ciel était aussi sombre que le cœur des assassins qui rôdaient les rues brumeuses de la citée ténébreuse à la recherche de cibles qui leur accorderaient un répit rien qu'éphémère. Coincés dans un cycle vicieux comme la plupart des elfes gris, cette récompense en était juste assez pour qu'ils gardent leur raison.

Depuis le toit du château, Serfantor voyait la ville s'animer sous ses yeux attentifs. Les elfes gris, la plupart habillé de sombres habits pour promouvoir la subtilité, se faufilaient d'une rue à l'autre comme des fourmis dans leur nid. Lorsqu'il trouvait le temps long, il aimait observer le peuple. Une jeune enfant se faisait traîner dans une allée solitaire par deux adultes pour se faire tuer simplement parce qu'elle avait été née dans une maison plus puissante que la leur. La jalousie est une bête perverse, mais la soif du pouvoir l'est encore plus. Parfois, la volonté pour survivre surpasse les deux. 

La gamine dont l'âme paraissait si innocente il y a un instant de cela s'en tira alors que l'instinct animale prit contrôle de son petit corps et qu'elle empala ses assaillants avec leurs propres armes. Cela plaisait à Serfantor qui sourit légèrement alors qu'il observait la survivante nettoyer le sang de ses victimes maculé sur ses vêtements déchirés avec de l'eau provenant d'une flaque au sol. Elle n'avait même pas crié ; elle savait mieux : que personne n'allait l'aider. Qu'elle possédait cette notion à son âge attristait le dragonnier.

- La guerre des maisons elfes grises, murmura Serfantor.

Il soupira, un soupire qui semblait porter le fardeau de tout le sang versé pour la cupidité du peuple elfe gris. Malgré toutes les atrocités et son aversion pour la culture des siens, il ne pouvait rien faire. C'était trop grand et trop ancien pour lui.

- Qu'est-ce que je fais ici? Pourquoi ai-je été né elfe gris?

Il dévia ses pensées à son devoir qu'il devait à sa maison. Les paroles de sa mère résonnèrent dans sa tête, ses mots comme un fouet cruel sur son esprit. Un coup de vent refroidie sa sombre peau. Il frissonna et baissa son grave regard et aperçut une silhouette encapuchonnée quitter le château, sa soit-disant demeure. Il reconnut sans effort la démarche maladroite de l'inconnu. Il s'agrippa aux rebords de la structure sur laquelle il était perché et sauta d'une plateforme à l'autre, tous aussi familières l'une que les autres, jusqu'à ce qu'il atteigne le sol. Le son de sa dague qui frappa contre sa ceinture fit sursauter le fugueur.

- Qui va là? demanda ce dernier d'une voix incertaine.

Il s'arrêta et se tourna avec crainte, main sur le garde de son cimeterre. Serfantor reconnue la voix. Il sourit alors que son petit frère le regarda avec surprise.

- Ce n'est que moi.

Il s'approcha. Sa révélation ne calma pas Katanor autant qu'il ne l'aurait voulue. Une perle de sueur qui brillait à la lueur de la lune l'informa que le plus jeune elfe était stressé.

- Tu peux lâcher prise de ton cimeterre, petit frère. Ce n'est que moi.

Finalement, Katanor obéit et sa respiration ralentit. Il se détendit, mais resta tout de même sur ses gardes.

- Qu'est-ce que tu fais? demanda Serfantor. C'est très dangereux dans Norkux seul. Tu devrais le savoir. Nous ne sommes pas à l'académie ici.

Katanor baissa son capuchon et fit une grimace taquine.

- Es-tu en train d'essayer de me protéger?

Serfantor observa son petit frère. Celui-ci ressemblait beaucoup trop aux assassins de Norkux. Il détendit sa mâchoire. Par contre, son visage solennel ne cacha pas sa sévérité.

- Pourquoi pas? Tu es le seul avec un peu de bon sang dans cette cité de fous.

Il croisa les bras et continua.

- Alors, que fais-tu qui vaut un tel risque?

Katanor hésita. Il regarda à droite puis à gauche avec anxiété.

- Tu vois...

Il se gratta le côté de la tête en évitant soigneusement la pointe de son oreille.

- C'est le festival de la Passion...

Serfantor écarquilla les yeux.

- Partout ailleurs ce l'est.

Il remémora ses cours à l'académie. Durant le cours d'histoire, Maître Magar expliquait les divers festivals d'Aerinda et le festival de la Passion, symbole de l'amour et du soleil, a été abolie par les elfes gris avec la lumière.

- Est-ce que tu t'es pris d'affection pour les coutumes des peuples de la lumière?

Un large sourire se dessina sur ses lèvres. Les peuples de la lumière faisaient référence aux races qui vivaient pendant le jour, appréciant ce temps de la journée et qui dormaient durant la nuit.

- N-n-non, bégaya Katanor. Pas du tout. Ce n'est pas ça.

Il rougit et détourna le regard.

- Non? Alors, dit-moi pourquoi le festival de la Passion est important pour toi?

- Je suis curieux.

- Curieux? questionna-t-il en haussant un sourcil. Curieux pour quoi exactement?

Katanor baissa le regard, trop embarrassé pour répondre.

- Oh, dit Serfantor. Je vois où tu veux en venir. Mère va être furieuse si elle apprend que tu désires cela.

- Pourquoi on ne dit jamais rien quand c'est les femmes qui se payent la partie de plaisir? s'offusqua Katanor. J'ai le droit de vivre ma vie moi aussi.

Serfantor soupira. Maintenant qu'il connaissait un peu mieu les coutumes des autres peuples, il était difficile pour eux d'accepter la leur. Chez les humains, un jeune homme de quinze ans, l'âge de Katanor, avait sûrement déjà fait l'amour avec plusieurs femmes et cela était complètement normal.

- La vie est injuste. Nous sommes nés dans le peuple féministe; c'est comme ça pour les humains sauf que c'est l'inverse; les hommes ont le pouvoir. Quoi qu'il en soit, si je ne peux pas t'arrêté, je vais au moins venir avec toi.

Il leva un doigt alors que le visage de son petit frère s'illumina.

- Je ne toucherai pas à une pute.

- Mais, commença Katanor, mais tu-

- Non, interrompit Serfantor.

Katanor pouffa de rire.

- Tu es toujours si dure sur toi-même. L'honorable elfe gris, tu es plus lumière qu'ombre malgré tes racines. Quoi qu'il en soit, allons s'y avant qu'un assassin ne nous cible. Il serait un idiot de manquer sa chance de se débarrasser des héritiers de la famille royale.

Il rabattit sa capuche sur sa tête. Serfantor l'imita.

- Ne regarde pas les soleils pour trop longtemps.

Il tapa amicalement l'épaule de son frère.

- Dit comme un vrai elfe gris, répliqua Katanor.

Les deux dragonniers se mirent en route, Katanor en tête puisqu'il connaissait le chemin à la maison de prostitution.

- Comment vas-tu payer pour ça? demanda Serfantor. Le service avec une femme, même les plus laides et les plus inexpérimentées, est très dispendieux.

Contrairement aux autres royaumes, les femmes de Gosform étaient bien trop fières et importantes pour la prostitution, obligeant les hommes à satisfaire leurs besoins avec leurs frères. Les rares qui devenaient une pute étaient habituellement désespérées pour de l'argent et d'une faible maison.

- J'ai volé de mère, répondit-il nonchalamment. Elle le mérite de toute façon.

Il poussa un pan de sa cape et désigna un sac de cuir attaché à sa ceinture avant de cacher à nouveau.

- J'avais pensé en garder pour demain soir mais, je peux partager, si tu veux. J'en aie assez pour deux femmes. De plus, à ton âge, c'est à peu près le temps que tu partages ton intimité avec une femme, tu ne crois pas?

Serfantor ignora son dernier commentaire.

- Je vais seulement pour ta protection. Seul Noktow sait quels ennuis tu dénicheras.

- Oh, même pas lui, ricana Katanor.

Les deux frères se retrouvèrent au centre-ville. Du haut du château, Serfantor ne se rendait pas compte à quel point s'était étouffant d'être au centre de ce chaos. C'était une journée comme une autre pour les elfes gris, mais certain se préparaient à fêter le festival de la Passion en cachette. Les elfes gris étaient des êtres trop lubriques pour laisser passer une telle opportunité. En ce temps de l'année, les maisons de prostitution faisaient le plus de profits. La demande de service était élevée et ils se permettaient de monter les prix. Ces faits repoussaient Serfantor.

« Même ma chère mère doit être en train de se frotter contre le corps de son Sir Bregkhon, songea-t-il amèrement. »

Katanor tourna un coin de rue et se faufila au travers de la foule jusqu'à un manoir luxueux protégé d'une grille de fer. La pancarte accrochée à la grille indiquait « Le touché d'une femme ». Un nom banal mais, parfait pour indiquer qu'on trouvait des putes femmes ici et pour faire rouler l'imagination des hommes affamés pour de l'affection féminine. Le touché féminin était la maison de prostitué de la maison Undrèm, une maison féministe mais, qui était aussi bien au courant des manières de faire de l'argent avec les femmes. C'était une maison extrêmement riche et puissante, détestée par les autres maisons pour leur utilisation des femmes à des fins déshonorables. Aux yeux des Undrèm, ces méthodes étaient plutôt malignes car, en fin de compte, elles leur procuraient assez d'argent pour s'acheter la loyauté de plusieurs mercenaires. À l'entrée de la grille, deux de ces mercenaires servaient de gardes et arrêtaient chaque personne qui approchait pour des services. Plusieurs furent renvoyés d'où ils venaient. Serfantor et Katanor firent la queue.

Serfantor se surprit à trouver les deux gardes attirantes et ce, même s'il ne pouvait presque pas distinguer leur visage caché par leur heaume dont l'ouverture rappelait étrangement à une gueule d'hibou. Leurs armures de plaques argentées scintillaient à la lumière de la lune. Sous celle-ci reposait une tunique de cotte de mailles ébène. Leurs cheveux pâles étaient tressés et cascadaient le long de leur corps aux courbes généreuses et dans l'ombre des ouvertures du heaume leurs yeux perçaient les âmes des clients tels un aigle qui observe une souris du ciel.

- Mais, j'ai assez pour une heure! s'offusqua un elfe gris lorsqu'il fut rejeté par la garde.

- Retourne à ta maison pauvre, grogna la garde qui l'avait arrêté. Durant le festival de la Passion qui est bannis comme tu dois le savoir, les prix sont plus hauts. Maintenant, garde ta queue dans tes culottes et sort de ma vue sinon, l'araignée se fera lacérer par l'acier et les serres de la chouette.

L'elfe gris portait un habit de haute gamme très coloré. Il était clairement d'une maison riche et assez impétueuse pour penser éviter les dangers de la société elfe grise. Son visage était à la vue de tous et sur son dos était le blason de sa maison, une araignée noire et orange sur un champ blanc.

« Se ce bourgeois n'a pas assez d'argent... ça doit couter une fortune. »

Serfantor se retourna vers son frère.

- Tu es certain que tu en as assez?

- Ne t'inquiète pas, dit Katanor en roulant les yeux. Il peut me charger un soleil d'or s'il désire tant que ça à me décourager.

Des hurlements de rage attirèrent leur attention. C'était encore le même elfe qui se battait pour ses droits avec la garde.

- Vous, la maison Undrèm, vous n'êtes que des voleurs, cracha-t-il. J'aurai mon service.

- Ferme ta gueule, répliqua la garde avec un calme sévère. Mes oreilles ne veulent plus entendre tes lamentations de dépendant au sexe. Vil bâtard d'homme que tu es, incapable de fonctionner sans avoir ta queue dans un trou. Bah, va voir ailleurs! Il y plus qu'assez de mâles de ton espèce qui n'attendent qu'à se faire monter comme une bête le trou de cul bien écarté tellement ils sont désespérés. En plus, bonne nouvelle pour toi, ils sont bon marché ou, pour les plus crasseux, gratuit.

L'elfe serra les mains en poings, psalmodia quelques mots que Serfantor ne put comprendre. Ses mains se mirent à scintiller. La panique monta dangereusement et les instincts prirent contrôle. La garde agrippa son cimeterre, mais l'elfe fut plus rapide. Il tira une boule d'énergie en direction de la bannière accrochée au manoir qui flottait au vent. L'emblème Undrèm, une chouette grise sur un champ mauve, fondu au contact du mana.

- Voilà ce que j'en fais des Undrèm, siffla l'elfe. Espèces de volailles déshonorables.

La garde, irritée de l'impudence de l'elfe, serra sa poigne sur son cimeterre et, sans avertissement, elle ouvrit l'elfe du nombril au cou. L'elfe ne put même hurler alors que ses entrailles se déversèrent au sol. Son sang chaud éclaboussa dans le visage et sur le heaume de sa meurtrière. Il tomba, la bouche entrouverte, encore sous le choc, pour mourir.

- Esclave, hurla la garde. Ramasse-moi les restants de l'araignée sans cervelle qui est mort pour sa queue.

Elle donna un coup de pied à la tête de l'elfe pour s'assurer qu'il soit bien mort.

- Idiot. Que ça serve de leçon aux témoins. Je le répète, ce soir, les prix sont doublés. Ne me faite pas perdre mon temps sinon, vous aurez à subir la colère de la Sororité d'Acier.

Le silence s'installa et un elfe gris au torse nu, aux pantalons troués et au collier de fer, marquant son statut d'esclave, traîna le corps par les mains.

- Tu peux le baiser dans le trou de cul si ça te chante, ricana la garde à l'esclave. Il doit être encore chaud. Ça va sembler comme s'il est vivant. De plus, ça va te satisfaire un peu avant que tu ne deviennes fou comme lui.

Elle fit une pause.

- Finalement, ramène-le à sa famille et dit-leur que la chouette ne laisse pas une araignée lui grimper sur le dos. S'ils se montrent le visage ici, qu'ils paient pour nos services ou qu'ils se fassent tous tués.

L'esclave hésita au dernier ordre et se raidit. Il savait qu'aller à la famille du décédé voulait dire son arrêt de mort mais, s'il désobéissait, le résultat serait le même. Finalement, il disparut dans une ruelle sombre en évitant le regard du garde.

Serfantor avait regardé toute la scène sans broncher, sans réaction. Il était habitué à ce genre de comportement. Katanor, lui, tentait de dissimuler son stresse mais, la sueur de son front le trahissait. Il n'observait pas la cité comme son grand frère car, il avait peur. Il tentait à tout prix de ne rien voir des atrocités mais, parfois, il était impossible de les éviter. Serfantor posa une main sur son épaule.

- Tout va bien aller. Tu as l'argent. Ce soir est ta nuit de plaisir et de passion.

- Il faut juste que j'arrive à séduire la fille pour qu'elle ne fausse pas son excitation comme elle est payée pour le faire, dit Katanor.

Finalement, leur tour vint. La garde leur fit signe de venir.

- Approchez.

Katanor lui tendit une pièce d'or et quelques s'une en argent.

- C'est assez pour une heure avec une fille pour chacun de vous, dit-elle.

Elle sentait le sang et l'acier mais, lorsqu'une brise faisait tournoyer sa tresse, un parfum subtil de fruits effleurait le nez de Serfantor. Ses yeux de prédateur rencontrèrent les siens. Elle le sonda avec suspicion. Serfantor sentit son calme l'abandonner, mais il ne bougea pas. Son cœur battit la chamade lorsqu'elle lui toucha la hanche pour vérifier s'il avait des armes sur sa ceinture.

- Seulement la bardiche alors? demanda-t-elle.

Il hocha de la tête et elle laissa un petit sourire amusé s'échapper du coin de ses minces lèvres.

- Tu la laisse à l'entrée sinon...

- Je sais, répondit Serfantor avec sang-froid.

« Dans qu'est-ce que je me suis embarqué? songea-t-il alors que sa mâchoire se serra. »

- Bon garçon, dit son interlocutrice. Voici un garçon intelligent qui ne veut pas mourir ce soir.

Elle fit la même procédure pour Katanor et les laissa passer.

Au moment où les deux frères furent au seuil de la porte, ils entendirent le cimeterre de la garde siffler et la chanson de la mort résonner à nouveau. Ils suivirent les indications de la garde et passèrent à la deuxième salle où les attendait une magnifique elfe grise à la peau foncée et habillée d'une robe en soie bleu nuit.

- Bienvenue, accueilli-t-elle d'une voix enchanteresse. Faites comme chez vous. Nos filles seront bientôt à votre disposition. Vous pouvez choisir celle qui vous plait le plus.

Serfantor grimaça, incertain de s'il voulait vraiment procéder, mais il était trop tard pour refuser la dame à présent. Il se dit qu'il était aussi bien de profiter de la situation.

- Excusez mon impolitesse ma dame mais, est-ce que vos filles ont déjà eu leurs deux enfants?

Il ne voulait certainement pas se retrouver avec des enfants bâtards sous les bras, pas dans cette société, pas avec sa mère comme reine.

- Vous n'avez aucune inquiétude à vous faire là-dessus, sourit-elle. Elles ont eu tellement d'hommes qu'elles ont eu leurs deux enfants il y a longtemps.

Elle semblait impressionnée par sa politesse mais, ravis de la chose.

- Par contre, si c'est ce que vous désirez, une femme fertile, nous en avons, mais elles sont plus dispendieuses.

- Merci pour votre réponse ma dame.

Elle se retira.

Pendant l'attente, Serfantor en profita pour observer la salle. Le tout avait été décoré au goût de la maison de la chouette avec un mélange de passion. Les couleurs étaient froides et sombres ou chaudes et vibrantes. Plusieurs statues d'exquises femmes elfes grise étaient posées un peu partout, alimentant encore plus l'appétit sexuel. La voûte était creuse, haute et ovale, ce qui donnait l'impression d'être dans une église pleine de péchés. Ici était la plus splendide des maisons de prostitution que seuls les plus riches pouvaient se payer.

- Je n'ai jamais rien vus de pareil, dit Katanor. Même pas les halls de mère ne sont d'égalité à cet endroit. La tension sexuelle est intense. Ça me rend nerveux.

Serfantor ne la trouva pas drôle. Les traits de son visage creusèrent dans sa gravité alors qu'ils surveillaient les coins sombres. Tout était conçu dans le but de satisfaire sexuellement, que ce soit d'une façon douce, passionné ou violente. Il n'aimait pas ce manoir, son ambiance était trompeuse, comme tout ce qui existait dans la société elfe grise.

Des bruits de pas résonnèrent dans le corridor puis, le rire de quelques jeunes femmes. La porte s'ouvrit et elles entrèrent. Elles étaient quatre suivit de la maîtresse d'y l'y a quelques minutes et se placèrent devant les deux mâles. Deux paraissaient gênées mais, Serfantor savaient que ce n'était qu'un jeu. Le troisième souriait nonchalamment; elle paraissait s'amuser dans son métier. La dernière observait les deux clients avec curiosité, incertaine d'eux. La deuxième était la seule à la peau foncée et au visage aux traits farouches. Sa timidité ne dupa pas Serfantor mais, attira l'attention de son petit frère qui lui sourit. La première et le troisième avaient la peau d'un teint modéré et étaient aussi minces que des brins d'herbes.

« Elles sont toujours vivantes après avoir donné naissance à deux enfants, songea Serfantor. Impressionnant. Elles n'ont pas de hanches, fragiles petites choses. »

Il tourna son attention vers la quatrième. Celle-ci était la plus courte et avait la peau si pâle, un gris perle, qu'elle paraissait malade. Serfantor savait mieux. La jeune pute avait un regard plein de vie et de questions.

« Elle est intelligente, se dit-il. »

- Tu aimes bien celle-ci? demanda la maitresse qui remarqua que son client prenait longtemps a détaché son regard de la pute.

La seule réplique de Serfantor fut un rougissement de ses pommettes.

La maîtresse donna un regard d'encouragement à la courte pute qui resta sous le choc de l'inattendue. Elle sourit et lui donna une petite pousse dans le dos. La pute poursuivit son chemin jusqu'à ce qu'elle se tînt droit devant lui.

Serfantor évita son regard, trop timide pour l'affronter. Il remarqua que son frère était sous le charme des seins généreux de la pute qu'il avait choisi. Il se tourna à la droite et aperçut, sur la table à côté de lui, un crâne de la grosseur d'un melon. Le museau avait celui d'un lézard mais le reste était celui d'un canidé. Confus, il fronça les sourcils.

- C'est un alphyne, expliqua la pute.

Il se tourna vers elle, surprit par la voix délicate. Il avait presque oublié sa présence. Il dut avoir un regard de chiot perdu car, elle poussa un petit rire et s'assit sur ses genoux.

- Vous ne savez pas ce qu'est un alphyne?

- Non, admit-il. Qu'est-ce que c'est?

Elle passa ses doigts dans une mèche de ses cheveux.

- C'est une créature aux caractéristiques de loups, de lions et de dragons. On dit qu'ils sont domptables mais, c'est un accomplissement rare. Le dragon en eux les rend agressifs et chaotiques.

Serfantor retint un rire, sachant que les dragons ne sont pas si terribles qu'elle le croit.

- J'ai entendu dire que les dragons fassent équipe avec les elfes et humains lorsqu'ils apprécient l'un d'entre eux.

La pute écarquilla ses yeux illuminés par l'intérêt.

- Comment fait-on pour être apprécié par eux?

- Peut-être qu'ils ne sont pas si différents de nous dans le fond.

On lui donna un coup de coude et il se retourna pour être accueillit d'un Katanor très souriant.

- Quoi? grogna-t-il, agacé de cette interruption.

- Je savais que même toi, l'honorable Serfantor, tu avais des envies comme n'importe quel autre mâle.

Il se leva et sa pute à la peau foncée l'entraina dans une chambre. Serfantor soupira.

- Est-ce que tout va bien? demanda la pute au regard pétillant.

- Ce n'est rien, répondit-il. Ne t'inquiète pas.

- Je suis heureuse de l'entendre.

Elle prit sa main et le guida jusqu'à une grande chambre luxueuse illuminée par un chandelier pendu du plafond. Elle poussa les drapes cramoisis du lit à baldaquin et s'assis sur le coin.

- Viens. Assis-toi avec moi.

Serfantor ferma la porte derrière lui et hésita. La pute pencha la tête de côté, comme par confusion.

- C'est ta première fois dans une maison de prostitution?

Elle sourit alors qu'il hocha de la tête.

- Tu peux enlever tes bottes. Fait comme chez toi. Nous sommes ici pour relaxer. Il n'y a aucun danger. Nos gardes nous protègent.

Serfantor suivit le conseil de la jeune elfe grise et approcha. Le plancher était couvert de tapis en soie au motif lignés rouges et blancs. La douceur le détendit un peu mais, il détestait tout de même la situation. Il se mâchouilla la lèvre supérieure. Finalement, il s'assit à côté de la pute et évita son regard.

Elle s'en rendit compte et, d'un geste aussi délicat que l'affection d'une vierge, elle tourna son visage vers le sien.

Il ne pouvait plus s'échapper. Il sentit ses petits doigts qui effleuraient sa mâchoire et ne put retenir un sourire timide.

- Désolé. Je ne suis pas très expérimenté avec les femmes.

Il suivit sa main jusqu'à son décolleté. Ses seins étaient petits, mais il appréciait cela. Elle avait la peau claire, des petits seins et un corps frêle. Il assuma qu'elle ne devait pas être très populaire. Pourtant, elle était plus belle que beaucoup de femmes qu'il avait vues. C'était son âme qui l'attirait, il pouvait le voir au travers de la façade qu'elle devait se bâtir pour performer durant son emploi.

- Tu es magnifique.

La pute sourit, mais pour un moment qui n'échappa pas à Serfantor, elle parut triste.

- C'est gentil, mais pas besoin de ces flatteries. Tu reçois ce que tu as payé pour.

- Pourquoi as-tu choisis cette voie? demanda-t-il.

Je n'ai pas d'autre avenir, répondit-elle. Ceux à la peau pâle sont faibles et inutiles. Je n'ai pas été bénit dans cela.

- Tu as plus de potentiel que cela. Ce n'est qu'une couleur de peau.

- Mais, c'est ce qui détermine bien des choses.

- Ici, oui. Ailleurs, non. J'ai été dans les royaumes humains.

Elle parut surprise. Elle savait que sortir de Gosform était réservé aux elfes gris importants, souvent pour des missions dangereuses.

- Mais, tu n'as pas la peau foncé. Ta peau est gris moyen. Tu dois être assez important pour.. Es-tu un espion?

Il leva les deux mains, comme en signe d'abandon.

- Non, non. Par contre, je ne peux pas t'en dire plus.

Elle s'avança le visage et s'arrêta lorsque son nez toucha le sien. Ses mèches se mêlèrent à ses cheveux, ardoise avec argenté.

- Tu es différent.

Il voulut reculer mais, il était paralysé par une vague de chaleur qui le traversait. Il se perdit dans l'étendue de bleu-gris qu'était ses yeux. On aurait dit des parles rares provenant d'un océan lointain.

- Qui es-tu?

- Merryn, répondit-elle.

Merryn. Le prénom se grava dans son esprit.

- Merci, ma Dame.

C'était un honneur de recevoir le prénom d'un elfe gris car, il n'était pas prudent de révélé une telle information dans leur monde.

- Je suppose que vous n'allez pas me trahir, dit Merryn avec un sourire en coin. Une telle politesse chez un elfe gris est rare, particulièrement lorsqu'elle ne vient pas avec du sarcasme noir.

Serfantor déposa sa main sur la sienne.

- Vous n'allez pas me demander quel est mon nom?

- Pour ta sécurité, non.

- Que voulez-vous dire?

- Les hommes parlent beaucoup lorsqu'ils sont entre les griffes de leurs hormones. Ils deviennent aussi vulnérables qu'un jeune enfant.

Serfantor réalisa ce qu'elle voulait dire. Cette maison de prostitution n'est pas que cela. Les putes étaient probablement entraînées dans l'art de l'espionnage. Il savait trop bien que de l'information bien placé pouvait être plus efficace qu'une armée. Il lut dans les yeux de Merryn qu'il avait raison.

- Pourquoi m'avertir?

Merryn effleura ses longs cheveux argentés et sourit.

- Parce que tu n'es pas corrompu comme tous les elfes gris de cette cité et peut-être même de tout le royaume. J'aimerai avoir un cœur plus dur mais, je suis née avec un cœur tendre, comme le tien. J'aimerai voir l'extérieur de ce monde sans soleil. La lumière artificielle est tout ce qui existe ici. C'est de même pour ses gens.

- Tu peux. C'est possible.

Il fit une pause alors qu'elle le regarda avec inquiétude.

- De toute façon, je ne suis pas le genre à utiliser les gens pour du sexe. Je suis seulement venu en cause de mon frère et parce que c'était le festival de la Passion. Ne te déshonore pas pour moi.

Elle s'éloigna de lui.

- Tu es étrange mais, j'apprécie ton respect. Je ne veux pas paraitre égoïste mais, ma maitresse ne va pas bien le prendre si je te donne un rembourse parce que tu n'as pas profité du service.

- J'avais l'intention de te payer quand-même. Je sais comment les elfes gris sont et ont ne veux certainement s'attirer la colère de l'un d'entre eux, particulièrement pas un avec du pouvoir.

Les deux passèrent le temps en jasant de la vie en dehors de Gosform. Plus Serfantor donnait d'information à Merryn, plus les yeux de la jeune elfe pétillaient. Sa curiosité lui rappelait la jeune Azéna Kindirah mais, il n'osa pas la mentionné. Il prit la peine de dessiner un brouillon d'une carte des régions humaines qu'il connaissait sur un parchemin.

- Tu peux le garder.

Lorsque deux gardes vinrent les chercher, Merryn le serra dans ses bras et l'escorta jusqu'à l'entrée.

Il lui tendit un bout de parchemin dans un mouvement chaleureux.

- Ne t'inquiète pas. Fait-moi confiance.

Sans perdre plus de temps, il agrippa sa gigantesque bardiche puis, remit sa cape à capuchon. Lorsqu'il lui accorda un dernier regard, il sourit. Un sourire dissimulé dans l'ombre de sa capuche.

- Retournons à la maison, dit Katanor.

Son sourire était si grand qu'il semblait avoir oublié les horreurs de Norkux. Ils traversèrent le seuil du manoir, la maitresse derrière eux. Elle leur fit signe d'au revoir.

- Soyez prudents.

Alors qu'il quitta les lieux, Serfantor remarqua un nouveau cadavre près des gardes à la porte de la grille. Il jeta un coup d'œil derrière lui et la garde qui avait tué l'homme lorsqu'ils attendaient leur tour croisa son regard et ses doigts se faufilèrent jusqu'au pommeau de son cimeterre.

- Partons, vite.

Il pressa la marche, obligeant Katanor à se dépêcher.

✦×✦

Le lendemain, la première chose que Serfantor aperçu fut le visage furieux de la reine. Elle était accompagnée de deux femmes Heaume Noirs qui éclairaient sa chambre avec des torches.

- Ma reine, dit-il à moitié endormis.

- C'est ça, dit-elle. Réveille-toi, espèce de fainéant! Tu n'as rien fait de ton été alors que tu possèdes un grand pouvoir qui pourrait nous être utile. J'ai une tâche pour toi et elle presse. Tu pars immédiatement. Appelle ta dragonne.

Serfantor plissa les yeux et repoussa la torche que tenait une garde trop près de lui. Il voulait dire à sa mère qu'un dragon n'était pas un simple familier mais, un compagnon mais, il sut tenir sa langue.

- En autant que ça ne prenne pas trop de temps. Je dois retourner à l'académie à la fin de la saison. Qu'est-ce qui se passe?

- Les loups sont bien traîtres et voraces. La traitrise ne se pardonne pas. J'avais raison de ne pas leur faire confiance, les sales rats impulsifs.

Elle serra les dents, songea pour un moment et continua.

- Si ton éducation doit attendre, elle attendra. Heureusement, si tu performe, tu reviendras à temps pour la date prévue pour ton départ. Mes espions me confirment que si tu pars maintenant, à dos d'un dragon, tu devrais atteindre Nothar en plein cœur des festivités suite à l'annonce des noces du prince Zamir et de la dame Azéna. Ils seront tous ivres, ce sera facile. Récupère la plume. N'échoue pas une deuxième fois.

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