10 - Mauvaise réponse
18e jour de la saison du soleil 2448
Les ailes de Shalith la faisaient souffrir. Serfantor entendait son souffle haletant et un petit grognement ici et là. Il inspecta pour une troisième fois le corps épuisé de sa compagnonne. Ses écailles l'avaient protégé de plusieurs attaques mais, quelques flèches l'avaient atteint aux ailes et Tyrath avait travaillé son ventre jusqu'à ce que ses griffes labourèrent jusqu'à la peau. Il avait nettoyé le sang, mais la plaie était terrible.
- J'aimerai avoir le pouvoir d'un guérisseur en ce moment.
- Arrête de t'en faire, grogna la dragonne avec misère. Ça guérira. J'ai eu bien pire lors de notre premier combat contre Azéna et Tyrath.
Elle leva les yeux et se concentra sur l'un des soleils.
- Il reste une flèche à ma jambe droite.
Serfantor se dépêcha à la jambe et plissa les yeux afin de mieux voir dans la lumière forte du jour. Il inspecta la flèche, l'empoigna à la l'encoche et la brisa.
- Prête ?
Il attendit pour le signal de Shalith et tira. La dragonne garda le silence, mais ne put se retenir de se tortiller et s'enfoncer ses griffes dans la terre. Elle attendit que la vague de douleur se dissipe et rugit.
- Je vais la tuer, elle, son amant et la citée en son entièreté!
- Je suis profondément désolé que tu sois coincé dans cette situation avec moi, dit Serfantor. Tu sais, tu peux toujours...
- Arrête, coupa Shalith avec agressivité, mais elle se calma par la suite. Cesse ces pensées absurdes. Je t'ai choisi toi, pas ta mère. Je resterai près de toi.
Avec un mélange de douleur et d'affection, elle fit volte-face et frotta son museau contre les cheveux de l'elfe gris.
- Ce n'est pas absurde. Tu garderas la cicatrice de ce premier combat pour toute ta vie. Tu n'as rien à voir avec les problèmes de ma mère.
Il sentit le regard de Shalith sur lui. Il ne regarda pas, mais l'image de son œil meurtris lui hantait l'esprit.
- Il a guérit. On ne remarque la cicatrice que si on regarde de proche.
Elle s'étira avec précaution puis, se secoua.
- C'est mon choix de t'accompagner. Maintenant, il faut rentrer. Allez, arrête de pleurnicher comme un dragonneau et viens. Il faut sortir du territoire des enfants de la tempête.
Serfantor soupira et enfourcha Shalith.
- Les enfants de la tempête... Un nom bien puissant pour des gens si pacifiques.
Shalith poussa un grognement sourd et s'envola.
- Ils se battent pour ce qu'ils ont gagnés. Ils comprennent ce qu'est une vie difficile. Ils ne sont pas grand-chose en termes de puissance mais, ils ont la passion. Ils sont petits mais robustes. Pour cela, je les admire. Ne répète jamais ça à personne.
- Il faut bien leur donner ça.
- Promet-moi.
Serfantor sourit malgré lui.
- Si tu y tiens. Je te donne ma parole même si celle d'un elfe gris ne vaut rien.
Shalith renifla.
- Ta parole vaut quelques choses.
Elle changea de cap en tentant d'éviter un petit groupe de voyageurs. Le grand frère des soleils jumeaux directement dans les yeux, elle s'efforça de ne pas détourner le regard.
- Tu devrais dormir. Le grand soleil doit te fatiguer les yeux.
- Une chance que le petit soleil commence à se retirer pour la venue de l'hiver, dit Serfantor.
Il songea à la noirceur éternelle de son pays d'origine. L'envie d'y retourner n'y était pas. L'académie était plus sa maison que n'importe où. Ses yeux s'ajusteront éventuellement mais, aujourd'hui, il n'avait pas envie de se battre.
- J'essayerai.
Les soleils se levèrent haut dans le ciel et les rayons grandirent en puissance. Serfantor n'eut l'occasion de dormir que pendant de brèves périodes. Il se surprit à essayer de se tourner pour la centième fois. Il soupira et se redressa.
- J'abandonne le sommeil.
- Pendant que tu dormais, dit Shalith, j'y ai repensé et...
Elle hésita.
- Pourquoi as-tu été si clément avec Azéna et Tyrath ? Nous aurions pu en finir avec cette histoire. Il faut nous protéger contre nos ennemis, contre ta mère.
Serfantor soupira et leva les yeux. Les rayons du grand soleil l'aveuglèrent et une larme roula le long de sa joue.
- C'est meilleur de garder notre force pour quelque chose qui en vaut la peine et d'être sage.
- Où est la sagesse dans retourner à Norkux les pattes vides? grogna la dragonne noire, irritée.
- Est-ce que Tyrath et Azéna méritent la mort ?
- Parfois des sacrifices sont nécessaires pour survivre. C'est un principe de base.
- Peut-être pour vous les dragons, mais j'ai vu la mort trop souvent. D'où je viens, on ne prend pas la mort au sérieux. Ce n'est qu'un jeu, un prétexte pour se débarrasser de n'importe quelle petite inconvenance. Nous allons faire affaire à ma mère par nous-même, ne t'inquiète pas. Je refuse de devenir comme les miens. Si ça se passe mal, le Haut-Roi nous ordonne de retourner à l'académie. Elle n'aura pas le choix de nous laisser partir immédiatement.
- N'oublie pas que nous parlons de ta mère, répondit Shalith avec sévérité. Elle ne se soucie pas du reste du monde.
- J'en suis trop conscient.
- De toute façon, ce qui est fait est fait. Essai de retrouver le sommeil. Je crois que les soleils commencent à faiblir. Le crépuscule approche.
Serfantor s'allongea sur le ventre, s'assura qu'il était solidement attaché et ferma les yeux. Shalith avait raison, le soleil s'était affaiblit et, avec un effort, il réussit à se concentrer sur le sommeil. Ce qui poussa son esprit à relaxer fut le fredonnement réconfortant et les vibrations du ventre de Shalith.
✦×✦
21e jour de la saison du soleil 2448
- Dragon! hurla un Heaume Noir qui patrouillait au sommet de l'immense muraille de pierre noire de la citadelle de Norkux. Le prince est de retour.
La capitaine des Heaume Noirs n'eut que le temps de se retourner qu'une rafale la frappa en pleine figure et fit virevolter sa longue chevelure argentée.
Shalith atterrit au cœur de l'enceinte de la muraille intérieure qui entourait le château royal. À peine eut-elle touché le sol que des cordes furent enroulé autour de chacune de ses pattes. Elle tomba à plat ventre. Quelques Heaume Noirs attachèrent les cordes à des crochets plantés dans le sol. Shalith se secoua mais, elle ne put se défaire du piège.
- Descends, ordonna une Heaume Noire à Serfantor. Obéis et rien n'arrivera à ta dragonne.
- Qu'est-ce que cette mutinerie? hurla Serfantor, enragé. La Reine en entendra parler.
- La reine est déjà au courant, dit une nouvelle voix.
Serfantor se tourna en direction de la deuxième femme et devant lui se tenait, les bras croisés et le regard aussi dur que le fer, la reine en personne. Elle ne portait que des sous-vêtements noirs qu'on pouvait voir au travers de sa robe provocatrice. À ses poignets, elle portait des bracelets de cuir sur lesquels étaient attaché des anneaux de fer pour les chaines des esclaves qu'elle traînait avec elle comme des chiens.
Avec une cadence fauve, elle approcha de son fils:
- Descends sinon, mes Heaume Noirs se chargerons de la tâche.
Serfantor pressa les lèvres en tentant de calmer le feu de la rage qui l'agitait. La reine fit signe de se dépêcher et finalement, il obéit.
- Voilà, ma reine de la noirceur, dit-il d'une voix forcée afin de paraître polie.
- Tu vois. Ce n'était pas si difficile.
Elle marqua une pause et deux Heaume Noirs se positionnent de chaque côté de Serfantor, mains sur le manche de leur cimeterre.
- As-tu la plume? Donne-moi la réponse que je désire et la dragonne sera libéré intacte.
Serfantor sentit son cœur sauter un battement alors que la question le frappa comme un coup de poing bien placé. Son visage demeura sérieux et impassable malgré sa peine. Il savait la réponse et ce que ça allait apporter à Shalith. Il s'en voulait mais, il ne pouvait rien faire de plus.
- Non, dit-il calmement.
- Explique-moi pourquoi tu as échoué à une mission si simple?
La reine était furieuse, les veines de son cou bombaient comme des vers sous sa peau.
- J'espère pour toi que tu as une bonne raison.
- Ma reine de l'ombre, s'efforça-t-il, lorsque je suis arrivé à Nothar, la citadelle était attaqué de l'intérieure.
La souveraine parut surprise.
- Par qui?
Avant que son fils ne prononce un mot, elle continua, encore plus furieuse:
- C'est ces maudits loups, n'est-ce pas? Tsk. Continue.
- La citadelle était calme, mis à part les rires des saoulons lorsque j'ai pris la plume de la chambre de Dame Azéna. Les loups mettaient déjà leur plan en action alors que j'essayais de quitter le château. Leurs gardes partout, il me fallut du temps et de la subtilité pour retourner auprès de Shalith. Par le temps que nous étions dans le ciel, la citadelle était un chaos de rouge et de blanc, de hurlements et de morts. Des flèches atteignirent Shalith. Blessée, elle eut de la difficulté à partir. De plus, Azéna et son dragon nous ont attaqués.
- Alors, c'est elle qui a ma plume, vociféra-t-elle, ses yeux s'illuminant d'une lueur cruelle. Tu es un incompétent, Serfantor. Je suis clémente alors, tu auras une dernière chance pour te prouver. À l'académie, tu sais ce que tu as à faire. Si tu échoue encore...
Elle ne termina pas sa phrase. Serfantor savait déjà la fin.
- Oui, ma reine, dit-il en s'inclinant.
Lorsqu'il fut bien bas, on lui frappa le crâne par derrière. Du coin de l'œil, il aperçut Shalith se débattre comme une souris coincée entre les mâchoires d'une vipère.
- Non! Serfantor, bats-toi! Lutte!
Mais, l'elfe gris sonné n'avait plus de concentration. Le monde tournait et il se ne soutenait que par une main et une jambe, à genoux, devant sa mère. Il leva le regard et n'eut même pas la force de parler.
Le sourire de la reine la faisait paraitre encore plus cruelle qu'à la normal.
- Je n'ai jamais dit que tu ne seras pas puni.
Elle le gifla et laissa des égratignures à sa joue dans son sillage.
- Mon fouet.
Elle tendit la main et une Heaume Noire lui donna un long fouet de cuir noir. Elle procéda au fouettage qui durera de longues minutes. Pendant tout ce temps, Shalith fut impuissante et ne put que regarder et rugir au bout de ses poumons. Elle tenta de souffler un nuage d'ombre, mais les mages de la reine les dissipèrent à chaque tentative.
- Museler-la, ordonna la reine. Elle me distrait et c'est extrêmement impoli.
Les Heaume Noirs passèrent une corde solide autour de la gueule de Shalith. Ce fut un combat féroce ; Shalith réussit à déchirer la jambe d'une des gardes avant qu'ils réussissent enfin à la contrôler.
Un dernier coup de fouet et cette-fois, Serfantor tomba au sol. Tout devint noir et la dernière chose qu'il entendit fut le rugissement étouffé de sa compagnonne.
✦×✦
Des voix résonnèrent. Elles paraissaient si lointaines puis, s'éclaircir peu à peu.
- Emportez-le dans sa chambre, dit la reine. Ne laissez pas la bête partir avant qu'il ne soit hors de portée. Traducteur, faites-lui comprendre que son précieux Serfantor ne sera plus vivant si elle attaque.
- Oui, ma reine, répondit un elfe.
Serfantor se sentit pendu dans le vide, emporté par des bras puissants. Malgré cela, il se sentit aussi lourd, comme s'il allait tomber. Il tenta de lutter mais, son corps refusait de coopérer. Il abandonna, vidé de son énergie.
✦×✦
Une deuxième prte de mémoire hantait le prince. Combien de temps s'était écoulé? C'était difficile à dire. Il tenta de se lever, mais la douleur le paralysa. Il ne pouvait même pas ouvrir les yeux. Une pression agonisante lui arnaquait l'avant de la tête. Il porta sa main à son front, mais on l'arrêta.
- Reposez-vous mon prince, dit une voix féminine.
- Va-t-il survivre? questionna une deuxième voix, celle-ci masculine.
- Je ne crois pas. Il est réveillé, mais son esprit n'est presque pas présent. Sa fièvre doit avoir raison de sa santé mentale.
Elle porta un bol aux lèvres de Serfantor.
- Bois. Ça calmera ta douleur et t'aidera à dormir.
Serfantor avala difficilement. Le liquide épais goutait atroce. Il faillit le vomir, mais il perdit connaissance avant que cela ne se produise.
✦×✦
- Vous n'êtes pas ravie, ma reine? demanda la même voix féminine. Votre héritier survivra, robuste tel un Diramin.
- Sa poule mouillée de frère fera son travail à sa place, décida la reine.
Serfantor ouvrit un œil et tenta de se lever. La force n'était pourtant pas avec lui. Il dut s'adosser contre le dos du lit pour rester assieds.
- Mais ma reine, le prince n'est pas mort, voyez, dit la guérisseuse.
- Pour l'instant, répliqua-t-elle. Je commence à en avoir assez de sa dragonne.
Elle sortir de la salle en claquant la porte derrière elle. La guérisseuse emporta une soupe encore chaude à Serfantor.
- Contente que vous allez mieux, mon prince.
- Pas la peine de prétendre que vous avez du respect pour moi, dit Serfantor, la mine sombre.
La guérisseuse elfe grise ne répondit rien. Elle s'occupa de lui donner des médicaments pour aider à dormir.
- Elle ne vous accorde pas de reconnaissance, dit Serfantor.
Il attendit une réponse qui ne vient pas.
- Ça ne m'étonne pas. De toute façon, merci. C'est sûrement grâce à vous si je suis toujours parmi les vivants.
- Elle m'a demandé de vous guérir, dit-elle finalement, mais en même temps, elle vous désire mort.
- Elle ne sait pas ce qu'elle veut. Ne vous en faites pas. Vous avez des nouvelles de Shalith?
- Qui?
- Ma dragonne.
La demoiselle redevint silencieuse comme une tombe. Elle ne devait pas avoir le droit de parler à propos de Shalith. Il éprouva un minimum de pitié pour elle. Finalement, il se recoucha et le sommeil eut raison de lui.
- Faites attention à vous, dit la guérisseuse.
✦×✦
Plus tard en soirée, Serfantor fut éveillé par le touché familier d'un guérisseur qui changea son bandage au front.
- C'est bien, dit l'elfe gris homme. Tu guéris bien.
- Où est la demoiselle? demanda Serfantor par curiosité.
- Oh, elle se repose. C'est mon tour de veiller sur toi.
- J'en conclu que la reine a décidé de ne pas me tuer.
Le guérisseur soupira.
- Celle-là, elle me donne du fils à retordre. J'ai réussi à la calmer il y a une heure. Elle a décidé que de t'envoyer à l'académie était plus important que sa démonstration de pouvoir. Tu es chanceux. Elle est hors de contrôle. Sa furie l'emporte au-delà de la logique. Elle a failli tuer ta dragonne aussi. Encore une fois, je l'ai convaincu autrement.
- Étonnant qu'elle ait écouté un homme.
Le guérisseur pouffa de rire.
- Elle aime bien ma compagnie alors, j'ai certains privilèges.
Serfantor resta bouche-bée pendant un instant.
- Ah, toi aussi? Hé bien, pourquoi ça ne m'étonne pas? dit-il avec sarcasme.
Il s'agita soudainement, réalisant que Shalith avait été en danger mortel depuis il ne savait comment de temps.
- Shalith! beugla-t-il, ne pouvant contenir ses émotions plus longtemps.
- Elle va bien, rassura le guérisseur en faisant signe de la main que son interlocuteur se calme.
- Elle n'a pas attaqué, mais seulement parce que tu étais toujours vivant sinon, elle aurait réduit ce château en poussière. Je n'ai jamais été témoins d'une telle rage. Vous avez un loyal compagnon, c'est rare. Soyez-en reconnaissant.
- Je sais.
Il sourit, l'image de la sombre dragonne dans son esprit.
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