Alcey
La nuit s'apprête à tomber sur St Denis de la réunion. Au dessus de la mer, le ciel s'embrase, le soleil tombe vite sous le tropique du capricorne mais aussi bref qu'il soit, le coucher de l'astre roi n'en reste pas moins magnifique. C'est sous des cieux roses flamboyants qu'une voiture banalisée de la police nationale rentre dans la ville. Son pare-choc est abimé et si on y regarde bien il y a même quelques traces de sang sur son coffre.
Elle s'immobilise au premier feu à l'entrée de la ville, derrière toute une série d'autres véhicules. Comme toujours à St Denis la circulation est dense, et l'air irrespirable.
Au volant, Alcey un kaf/malbar*, la cinquantaine usée, fume une cigarette. Il a le regard las de ceux qui en ont trop vu et qui ne se laissent plus surprendre.
Pourtant, ce soir, il tire la gueule, plus que d'habitude, plus que son personnage habituel de l'inspecteur que vos conneries ne font plus marrer depuis longtemps.
Il jette un coup d'oeil au siège passager, dans une pochette estampillée "Police Nationale, Preuves" il y a une carte de bus. Un jeune homme de 19 ans
sur la photo d'identité semble le regarder. Il soupire.
*kaf/malbar : métis noir/indien.
Arrivé chez lui, Alcey pose son arme sur la paillasse de la cuisine et se sert un whisky. De la musique forte venant de chez un de ses connards de voisins qui écoute KOI* à fond la caisse lui casse les oreilles. Pendant un moment, il hésite à lui casser la gueule une seconde fois, puis se ravise et passe dans le salon.
Il sort un goni* d'un buffet et le pose sur sa table basse. Il en extrait une belle branche de Zamal* et se roule un joint. Pourtant au moment de l'allumer il le redépose sur le plateau en verre et se lève. En proie à une violente agitation intérieure son regard passe du joint au goni. Puis soudain, il disjoncte.
"Meeerde ! Meeerde ! Merde !"
Du pied il éclate la table en verre, projetant des éclats partouts et explose son verre de whisky contre le mur.
S'emparant du goni il sort dans son jardin en trombe. Chez le voisin qui a cru que l'éclat de rage était pour lui, la musique se coupe brusquement. On entend aussi le clac clac d'une serrure qui se ferme à double tour.
Dans son barbecue, Alcey jette le goni et l'asperge d'alcool à brûler avant de l'enflammer. Il sort de sa poche le sachet avec la carte. Le jeune homme le regarde toujours, on peut lire son nom à travers le plastique : Jimmy Hoareau.
*KOI : Radio Kanal Océan Indien.
*Goni : sac en toile de jute.
*Zamal : Canabis réunionnais.
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