Chapitre 8 Le songe
Tard dans la nuit, je me retrouvais dans la petite chambre d’hôtel plongée dans la pénombre. Je m’assis sur le lit, tout en pensant au lendemain lorsque j’entendis le bruit d’un claquement de fenêtre.
« Isa, c’est toi ? »
Je n’eus pas de réponse. Je parcourais la pièce du regard, balayant chaque recoin, y compris ceux du plafond. Soudain, je vis Isa qui se tenait près de moi, calme et silencieuse. Je sursautai en poussant un cri.
« Isa, enfin, tu m’as fait une de ces peurs ! »
Elle me regardait, mais d’une façon différente de celle de l’autre nuit. Isa semblait étrange, changée. Ses cheveux étaient plus longs, et ses yeux, plus menaçants.
« Isa ? Quelque chose ne va pas ? »
Elle ne répondit pas. À la place, elle monta doucement sur le lit et commença à s’avancer sur moi. Il n’était pas difficile de deviner ce qu’elle envisageait de faire.
« Isa, enfin, je croyais que tu ne pouvais plus !
-Effectivement, elle ne peut plus ! Dit-elle… Et cela me manque tant… Une gorgée ! Pour que tout redevienne comme avant !
-Arrête Isa, ne fais pas ça, ce n’est pas toi !
-Appelle-moi Isabelle alors… »
Alors qu’elle me chevauchait, de ses deux mains elle me fit basculer en arrière et me plaqua sur le lit à l’horizontal. Il fallait le reconnaitre, elle n’avait aucun mal à me maitriser. Le reste de mon corps était immobilisé, bloqué par l’étreinte de ses jambes. J’étais piégé sous le poids de son corps, allongé sur le mien. Toujours à l’aide de ses mains, elle neutralisa les miennes qui tentaient vainement de la repousser.
J’étais terrifié, mon cœur battait comme s’il allait exploser et en moi-même je pensais : « Non, il faut que je garde mon calme, sinon je vais perdre tout mon sang ! » Mais était-il seulement possible de contrôler ses émotions. Malheureusement je n’y parvins pas. Plus mon cœur battait et plus je pouvais ressentir mon propre sang circuler en moi. Ce précieux sang que j’allais bientôt perdre.
Ce qui devait arriver arriva. Étant donné que je ne pouvais plus bouger, Isa –ou devrais-je dire Isabelle- se précipita sur mon cou et je découvris pour la première fois la fameuse sensation tant de fois illustrée au cinéma. Mais ce n’était pas aussi brutal que je pouvais l’imaginer.
Comment décrire… Cela ressemblait un peu à un baiser, mais en plus piquant. Mais il faut savoir que les vampires ne mordent pas comme le font les serpents, les lions ou les crocodiles. C’était plus proche des lamproies, ces poissons qui se fixaient sur leur victime. D’abord elle posait ses lèvres sur ma peau après s’être assurée que je ne pouvais plus bouger, ensuite je pouvais sentir qu’elle déposait un peu de salive. En quelques instants, le venin fit son effet et comme la dernière fois, je fus paralysé. Et soudain, ses dents rétractiles firent leur travail. Deux terribles crocs plantés dans ma veine. Ils ne se plantèrent qu’une seule fois puis reprirent leur place normale. Il ne lui restait plus qu’à faire le vide dans sa bouche pour absorber toute ma vie. Le plus étonnant était que je pouvais la sentir me quitter comme s’il s’agissait de quelque chose de matériel.
Ce que je ressentais était indescriptible. Au début cela faisait mal un court instant, l’incision était très légère et très rapide. Mais une fois la douleur passée, le venin entrait en action et procurait une étrange sensation de bien être, comme un profond soulagement. Je me sentais apaisé, léger, rempli d’émotions positives. C’était peut-être la manière dont disposaient les vampires pour récompenser ceux qui les nourrissaient volontairement. Le venin de vampire avait donc un effet similaire à celui de la morphine, peut-être plus puissant encore. Sur cette dernière pensée, je me dis que je ne souffrirai pas.
« Debout la marmotte ! S’exclama Isa, tout le monde se lève ! »
Je me réveillai en sursaut tout en serrant mon propre cou.
« Wouhou ! On dirait que monsieur Alexandre a eu une nuit agitée ! Reprit-elle.
-Je… Je suis vivant ?
-Mmh ! J’en ai bien l’impression oui.
-Mais ce n’est pas possible, je devrais être mort !
-Tu es bien bavard pour un mort. Allez, lève-toi avant que tu ne meurs de malnutrition. Il est temps de déjeuner. »
Je tâtais mon cou pour en vérifier la présence d’une plaie. Mais il n’y avait rien. Pas de plaie, pas même l’ombre d’une plaie. Je courus dans la salle de bain pour aller vérifier dans le miroir. Celui-ci confirma l’absence de morsure. J’ouvris le petit placard derrière le miroir, pour y trouver un morceau de coton que je comptais utiliser pour essuyer d’éventuels résidus sanguins. Lorsque je le refermais, je pus constater qu’Isa était derrière moi un peu trop proche de mon cou. Par conséquent je sursautai à nouveau.
« Boo ! C’est pour moi que tu te fais beau comme ça ? Demanda Isa en plaisantant.
-Je veux comprendre pourquoi j’ai survécu !
-Il ne faut pas que cela te chagrine, des tas de gens sont vivants et s’en portent très bien, tu sais.
-Ne te moque pas, je crois que j’ai été mordu !
-Hein, par qui ?
-Une vampire, pendant que je dormais.
-Impossible, j’ai veillé sur toi toute la nuit, la porte était fermée et je gardais la fenêtre.
-C'est-à-dire que… Elle te ressemblait et…
-Alors là je t’arrête, je te l’ai déjà dit, je ne peux plus mordre. Pourquoi crois-tu que je me balade avec des poches ?
-C’est bizarre, elle m’a entièrement vidé, je me suis senti partir lentement.
-Mmmh… Tu as sûrement dû rêver, je t’ai d’ailleurs vu t’agiter dans ton sommeil. On aurait dit que tu essayais de repousser quelqu’un. Ça devait être chaud non ? Allez, raconte-moi.
-Un rêve ? Répétai-je. Et pourtant ça semblait si réel.
-Oui c’est ce que disent tous les rêveurs.
-Comment puis-je en être sûr ?
-Hem… »
Isa me tendit mon téléphone portable me montrant une vidéo qu’elle avait faite de moi en train de gesticuler dans mon lit, luttant contre une créature invisible. Or je me souvenais très précisément des gestes que j’avais faits pour me défendre, cette nuit-là et je pouvais les revoir sous mes yeux à travers ce petit écran. Cela avait le mérite d’être clair, c’était bien un rêve, pourtant j’avais la sensation qu’il y avait autre chose derrière.
Isa me fit un grand sourire pour me rassurer et me taquina un peu dans l’espoir de me faire rire.
« Oh, on a fait un vilain cauchemar, viens dans les bras de Tata Isa ! Il y a un déjeuner qui nous attend en bas, une poche de sang pour moi et un biberon de lait chaud pour toi. Veux-tu que je te chante une chanson ?
Je ne fis pas attention à sa boutade sur le moment. Durant un instant je m’étais perdu dans mes pensées avant de lui demander :
-Isa, est-ce que tu connais une vampire qui te ressemble et qui se fait appeler Isabelle ?
Cette fois-ci, Isa perdit soudainement son beau sourire. Peut-être était elle submergée par un passé douloureux.
-Isabelle… Murmura-t-elle. »
Après un soupir, elle reprit :
« Oui, je connais Isabelle. Enfin plutôt, je l’ai connu.
-Alors, elle existe ?
-Oui… Non… Disons qu’elle n’est plus vraiment de ce monde.
-Mais alors qui est ce ?
-C’est une longue histoire et je n’ai ni le temps ni l’envie de la raconter maintenant. Ne perdons pas de temps, habille-toi et allons déjeuner, le train part bientôt. »
Qui était donc cette Isabelle ? Une sœur jumelle maléfique ? Un fantôme ? Je restais sur ma faim. J’avais toujours soif d’en apprendre plus sur elle, même si cela lui faisait mal. Au fond c’était peut-être moi le vrai vampire.
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