Chapitre 29 Regrets

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Un jour plus tard, nous avions gagné l’un des abris de Charlotte, où nous avions pu nous changer et nous réapprovisionner. Nous avions chargé Ella de faire jouer ses contacts dans la Police afin de récupérer la clé de Lorenzo, qui avait été saisie dans notre chambre d’hôtel, suite à notre confrontation avec les forces de l’ordre.

De son côté, Charlotte avait lancé des appels à toutes les reines de France avec qui elle s’entendait afin d’identifier notre agresseur. Nous nous sommes alors donné rendez-vous dans un bar parisien.

« Toutes mes consœurs sont formelles, elles n’ont aucun vampire copieur manquant à l’appel. Et aucun des nôtres n’a croisé la route d’Isabelle.

-Mais alors, que va-t-on faire ? Demandai-je.

-Nous allons devoir nous concentrer sur Isabelle, répondit Charlotte. Elle sera plus facile à retrouver pour toi, puisque tu es lié à elle. Le deuxième est blessé, il peut attendre pour le moment. Isabelle est celle qui m’inquiète le plus, car elle est affamée et perdue dans un monde qu’elle ne reconnait plus.

-Vous voulez dire qu’elle est toujours la jeune vampire du dix-neuvième siècle ?

-Dans un sens oui, mais elle a surement dû conserver les souvenirs d’Isa en elle.

-Pourrait-elle devenir dangereuse ?

Charlotte hésita un instant puis répondit.

-Jeune homme, il faut que tu saches qu’avant mon arrivée en France, notre espèce n’était pas aussi discrète qu’aujourd’hui. Les reines qui vivaient avant moi avaient des mœurs un peu plus, disons,… Directes.

-Que voulez-vous dire ?

-Tu dois surement savoir tout ce qu’on dit sur nous, depuis la nuit des temps. Et bien, autant dire qu’autrefois, la réalité dépassait largement la fiction.

-Les vampires étaient des tueurs ?

-Exactement. Nous étions primitifs et désorganisés. Les seigneurs étaient impuissants face au nombre et ne parvenaient pas à contrôler les reines qu’ils avaient créées. On recensait des morts dans tous les villages. Suite à la grande peste noire, les humains ont commencé à nous traquer partout dans le monde. Ceux qui se faisaient attrapés étaient impitoyablement décapités ou brûlés. Afin de sauver notre espèce, Lorenzo a décidé de tout mettre en œuvre pour empêcher les autres vampires de s’adonner à de tels massacres. Son but était de protéger le secret de notre existence en limitant au maximum les contacts avec le monde extérieur. Seule une minorité d’humains appelés les gardiens seraient autorisés à vivre parmi nous. Il y eut, cependant un seigneur qui s’opposa à cette démarche : Élizabeth. Elle appartenait à la noblesse et n’admettait pas se soumettre à une quelconque forme de démocratie, c’est à cause d’elle si les vampires sont mal vus à l’Est de l’Europe. Mais qu’importe, notre survie dépendait de notre capacité à rester dans l’ombre, nous prîmes la décision d’éliminer tous les vampires qui s’adonneraient au meurtre et nous décidâmes également de museler mentalement tous les itinérants que nous rencontrerions sur notre territoire.

Cela expliquait pourquoi les vampires comptaient tant sur les dons de sang. Ils craignaient les vagues de répressions qui avaient lieu à la suite d’un meurtre et qui les forçaient à s’enfuir de pays en pays. Cela expliquait également pourquoi ce fameux Lorenzo attachait tant d’importance à trouver un remède au vampirisme. Il rêvait d’une société où humains et vampires pourraient cohabiter, de jour comme de nuit. Je réfléchissais à tout ceci en me disant que la découverte de Lorenzo aurait pu apporter la paix depuis longtemps. Mais pour faire face aux vampires de l’Est, commandés par Élizabeth, les vampires de France ont sûrement dû continuer à consommer régulièrement du sang humain, au moins le temps que le remède soit produit en quantité suffisante. Je supposais que la mort inattendue du seigneur vénitien avait dû interrompre le grand projet du clan Bertolucci, à savoir rendre tous les vampires végétariens. Soudain je repensais au bibliothécaire et à sa confrontation avec le clan.

-Il vous a appelé Constantia…

-Pardon ?

-Ça m’est revenu d’un seul coup. Lorsque le bibliothécaire est apparu face à vous, il vous a appelé Constantia.

-Eh bien, répondit Charlotte… Constantia était mon véritable nom du temps où j’étais humaine. Je suis née esclave des Seldjoukides, sous l’empire byzantin, je me suis enfuie, un vampire m’a sauvée et ramenée avec lui. Tout cela est loin pour moi, tu sais.

-Mais comment pouvait-il être au courant ? Même à la BNF, on aurait dit qu’il savait tout de nous. Il savait pour le pouvoir d’Isabelle.

-L’école des vampires !

-Mais oui, c’est là-bas que nous l’avons rencontré !

-la salle des archives, j’y avais laissé tous les dossiers de mes anciens élèves. Il nous a bien étudiés, nous et nos capacités. Il a développé des contre-mesures. Il a dû allier ton pouvoir avec un autre pour créer une sorte de bouclier hermétique à l’air.

-C’est possible ça ?

-Toi seul peux me le dire, jeune homme, penses-tu être en mesure de créer une protection contre la chaleur avec ton pouvoir.

-Et bien, en théorie oui, puisque l’air en soi est, par nature, un mauvais conducteur thermique, il suffirait de séparer deux couches d’air autour de moi. Une couche d’air froid maintenue sur ma position servirait de barrière thermique à un front d’air chaud.

-Un anticyclone artificiel ! Ce vampire est vraiment intelligent ! C’est ce qui le rend si dangereux ! Il a dû beaucoup lire avant de venir nous affronter. Vous l’appelez « le bibliothécaire » ?

-Avant de me mordre, il m’a avoué avoir travaillé à la BNF.

-Alors, nous le tenons ! »

Tandis que Charlotte s’apprêtait à m’exposer son plan à l’abri des oreilles indiscrètes du bar où nous nous trouvions, notre attention fut attirée par un groupe de jeunes gens discutant d’apparitions fantomatiques, non loin de nous. L’un d’eux prit la parole :

« Ça s’est passé hier soir, sur la tête de ma mère… Je rentrais du travail quand j’ai vu une Dame Blanche le long de la route. Au début, je pensais que c’était une autostoppeuse un peu bizarre. Mais quand j’ai voulu m’arrêter, elle avait disparu.

-Tu déconne ! Lui dit son collègue.

-Je te jure ! Quand j’ai voulu remonter dans ma voiture, elle était derrière moi. Elle m’a tapé sur l’épaule et elle m’a demandé avec une voix glaciale si je pouvais l’emmener.

-Elle avait l’air de quoi ta Dame Blanche ?

-Blonde, teint pâle, des yeux très bleus, je n’avais jamais vu des yeux aussi bleus, même qu’ils brillaient dans le noir, comme ceux d’un chat.

-Haha, elle s’appellerait pas Bénédictine ta dame blanche !

-Oh arrête, tu sais bien que je ne bois plus ! Tenez regardez ce qu’elle m’a fait !

Il tendit son bras et exposa les traces d’une morsure. Je pris alors la parole :

-Excusez-moi monsieur, cette Dame Blanche, vous savez où elle est à présent ?

-Quoi vous avez vraiment gobé toutes ses histoires ? Il nous mène en bateau depuis qu’on est enfant. Me répondit son collègue.

-Je n’ai rien inventé cette fois, elle existe ! Honnêtement, je ne sais pas où elle se trouve. Elle m’a mordu et j’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillé, elle n’était plus là. Entre nous, elle n’avait pas l’air bien. Elle portait un long vêtement blanc, mais je crois qu’elle était nue en dessous. En fait, je pense qu’il s’agissait d’une blouse d’hôpital, comme celle que portent les médecins. »

Il quitta le bar vexé puis nous regagnâmes nos places. Charlotte était pensive suite à ce récit. Si mes suppositions étaient exactes, Isabelle était libre de mordre. Elle allait probablement se mettre à errer sans but jusqu’à ce que quelqu’un ne l’arrête. Puisque Charles était mort, notre seul espoir de calmer sa faim était à présent de retrouver le cœur de Lorenzo.

Mais pendant que nous faisions le point, Ella entra dans le bar avec un coffret entre les mains. Elle nous présenta la clé de Lorenzo.

« Je vous signale qu’à cause de vous, je suis à présent recherchée par la Police pour vol de pièce à conviction. Alors, j’espère que cela en valait la peine.

-Merci Ella, veuillez apprêter la voiture, nous partons. Répondit Charlotte. »

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